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Les cyber-résistants du Libre

par Taz
 

Pour beaucoup, le logiciel libre, fortement lié à l’Internet et à ses modes de communication associés n’est que le prémisse d’une cyber-révolution en marche. D’ailleurs, au vu d’évènements relativement récents (mobilisation de Seattle du 30 nov 99, succès d’ATTAC, etc.), on ne peut nier que les outils électroniques de communication prennent une place de plus en plus importante dans la mobilisation citoyenne. Le fantasme du cyber-résistant prend forme. On peut même rêver que, malgré le lobbying intense de grosses structures américaines et de spécialistes en propriété intellectuelle, le Parlement Européen ne procède pas à l’imminente modification de l’exception logicielle des paragraphes de la convention de Munich sur le brevetage.

Pour autant, comme le rappelle Serge Halimi [1], les formes de mobilisation progressistes les plus efficaces et les plus démocratiques ne sont pas
nécessairement les plus modernes. Il cite notamment parmi les écueils à éviter, celui de négliger l’impératif de l’organisation.

Nul ne peut nier qu’Internet, notamment par l’instauration de relations transversales entre individus, par l’accès rapide et facile à de l’information, par
l’interconnexion globalisante des esprits humains, par la rapidité de circulation des communications est un lieu idéal pour l’action, mais l’action rapide,
immédiate, vite organisée, vite oubliée. Pas l’action à long terme.

Souvenons-nous que le préfix « cyber » de l’expression cyberculture vient du grec cyber, dont l’éthymologie est partagée par les mots « gouverner » et
« gouvernail ». Ainsi, on peut considérer la cyberculture comme une culture du gouvernail et du gouvernement. Le gouvernail étant la partie d’un bateau, d’un
avion qui assure sa direction. La cyber-résistance, dont l’un des plus beaux fleurons, qui est aussi le seul produit réel de la cyberculture, est le logiciel libre ne
peut se passer de gouvernail. Et un groupe d’individus communiquant principalement par des moyens électroniques doit tenir compte de règles de gouvernance,
au risque sinon de ne rien produire du tout. Le cyber nous fournit un gouvernail, et Richard Stallman nous fournit sans doute un cap à suivre.

En effet, le succès du logiciel libre est principalement la conséquence d’une volonté, celle de Richard Stallman, qui a su matérialiser une idée révolutionnaire
basée sur une réelle réflexion/vision politique à long terme. Le libre n’a pas été une révolution immédiate, mais plutôt un long changement de société. Richard
Stallman lui-même conçoit le libre comme une révolution pratique et anti-utopique.

Ainsi, la réussite de Richard M. Stallman dans sa lutte vient de son habileté à éviter les écueils cités par Halimi. Au niveau des associations françaises,
prenons l’exemple de l’APRIL à laquelle j’ai le bonheur de participer et dont la force est justement de tenir compte des limites de la cyber-résistance et de
mettre en place une structure adequate. A bien y regarder, alors même que tenant compte du changement de mentalité où le militant est un incitateur d’action, participant à la définition de la stratégie politique et activiste globale, une association comme l’APRIL fonctionne principalement par le bon usage de
l’intelligence distribuée, utilisant au mieux la capacité de chacun, distribuant les tâches, entraînant une mobilisation dans l’organisation [2].

Si on se base sur le nombre d’acteurs (et notamment les LUGS), on pourrait penser qu’il y a de nombreux militants prêts à agir pour leurs idées. Le problème
est que la majorité d’entre eux se contentent d’aspects techniques et assimilent le débat d’idées à une vaine querelle. Les forts en gueule sont également
légion, rois du verbiage, producteurs d’opinions et de sentences, mais plus rarement d’actions. L’activisme n’est pas seulement déterminé par la capacité à créér une liste de discussion (et encore). Ceux qui le pensent ne sont finalement que des « cyber-neuneus se taillant des pipes virtuelles » à longueur de journée.

Pour citer Philippe Quéau, à qui je dois la métaphore précédente du gouvernail : « La cyberculture est une culture de gouvernail et de gouverment : navigation et gouvernement de soi-même, gouvernement du collectif, gouvernement de personnes libres s’assemblant virtuellement sur la nouvelle agora du monde. »

Le logiciel libre est l’expression la plus parfaite de cette agora, mais, pour autant, la résistance technique, politique et culturelle dans l’espace électronique a
tout intérêt à tenir compte de l’expérience de l’activité militante traditionnelle. Scander « Linux, Linux, Linux » derrière son clavier ne fait pas de vous un
cyber-résistant ou un hacktiviste.

 

[1Serge Halimi, « Des "cyber-résistants" trop euphoriques », Le Monde Diplomatique, août 2000

[2Voir par exemple l’opération Amazon.

 
 
Taz
 

Copyright (C) 2000 Jérôme Dominguez.
Les copies conformes et versions intégrales de cet article sont autorisées sur tout support pour peu que cette notice soit préservée.

Cet article est paru initialement dans la revue Linux Loader numéro 4.

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