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6 janvier 2001
 
lundi 15 janvier 2001

Pleurs sélectifs

par Java
 

Certains accidents du travail mériteraient les pleurs de la Nation tout entière. On parle alors de sacrifice, de dévouement.
Les valeurs que ces métiers défendent ne seraient-elles pas l’objet de la surmédiatisation d’événements pourtant banals ?

Le vendredi 12 janvier, Monsieur Vaillant, actuel ministre de l’Intérieur, se rendait, la larme à l’œil, aux obsèques des deux policiers morts alors qu’ils faisaient leur métier : interpeller un type armé. Pas de chance, ce dernier savait se servir de son arme. Et comme Lucky Luke, il a tiré plus vite que son ombre (en tout cas plus vite que les deux policiers !). Et comme Zorro, il s’est déjoué du sergent Garcia pour disparaître dans la nature. Chouette scénario ! Il pourrait presque passer pour un héros, mais bon… il a quand même tué deux civils, alors c’est pas un type si bien que ça… l’est même plutôt dangereux, voire fou… donc fou dangereux.

D’ailleurs, la Justice le dit, que c’est pas un type si bien que ça : le meurtrier est en effet aujourd’hui inculpé pour quatre meurtres. Mais attention ! pas quatre meurtres identiques ! Pour les civils, il est inculpé d’homicide volontaire (classique quand on tue quelqu’un), alors que pour les deux policiers, le chef d’inculpation est proche du « meurtre aggravé sur agent de police en fonction ». Tuer un citoyen est donc moins grave que tuer un agent de police. Soit.

C’est donc probablement en raison de cette indéniable ’gravité des faits’ que Vaillant est allé pleurer avec les familles, les commerçants et les gens bien sur les cercueils des fonctionnaires de police mis hors d’état de vivre par un pauvre type. Et pas un mot sur les deux autres morts, mais passons, puisqu’elles sont moins graves que celles des policiers.
Le sacrifice des deux Longtarin est émouvant, très émouvant. Tellement émouvant d’ailleurs qu’une fois enterrés, ils sont encore plus valeureux que vivants, puisque le ministre de l’intérieur les a décorés à titre posthume des insignes de chevalier de la Légion d’honneur, de la médaille d’or des actes de courage et de dévouement ainsi que de la médaille d’honneur de la police nationale. Ils seraient meilleurs entre quatre planches que matraque à la main ?

Le mobile du quadruple meurtre, par contre, fait moins de bruit. Tuer des confrères (assureurs) sous-entend que le mobile a une origine sociale, mais insister sur cette évidence risquerait de faire passer le meurtrier pour une victime et ça, c’est impensable ! On préfère le qualifier, comme Vaillant l’a fait pendant son discours, de « fou dangereux ».
Légitime puisqu’une dangereuse folie habite le fugitif. Mais pas un mot sur les affaires d’argent pas tout à fait propre, rien non plus sur la faillite du cabinet d’assurance et le désœuvrement social du meurtrier ; bref, rien sur les raisons de la folie meurtrière. C’est un fou dangereux et puis c’est tout. Il faut l’arrêter, l’enfermer et protéger la société. Et plus vite que ça, s’il vous plait, merci.
Mais pas trop vite quand même…
Cette affaire fait grand bruit et émeut beaucoup pour plusieurs raisons. D’abord, c’est palpitant : un fuyard qui échappe aux filets de la police, du sang, des morts, des règlements de compte, une population qui a peur de croiser son chemin, des justiciers abattus, les larmes des hautes autorités, tous les ingrédients pour de longs débats de comptoir ! Et plus la fuite sera longue, plus le sentiment d’insécurité s’amplifiera, et plus la mort des policiers sera dramatique.

Toute cette histoire fait beaucoup penser à d’autres obsèques, celles d’un convoyeur de fonds inhumé le 5 janvier dernier à Montfermeil. Mais pas de ministre pour pleurer, juste Arlette, puisque la victime était membre de Force Ouvrière. Là encore, c’est le côté, « attaque de la diligence », ce côté bandit à la Jessy James qui plait et qui fait parler.

Ces deux tueries ont deux autres points communs : le premier est que les victimes faisaient leur métier (je mets de côté les deux victimes civiles du midi puisque personne n’en parle) ; le deuxième est que les voyous s’en sont pris aux plus hautes valeurs de la société d’aujourd’hui : la sécurité et l’argent. Je ne vais pas m’étendre sur celles-ci, même si la médiatisation de ces événements leur est évidemment due puisqu’elles sont à la fois le mobile du crime et l’objet du matraquage médiatique ; ces deux derniers se nourrissant mutuellement, l’entretien du fantasme sécuritaire est à son comble.

Je ne vais pas non plus m’étendre sur l’accident du travail dont sont victimes les sujets. Ils ont servi la France, ils ont servi la nation… ils ont servi l’ordre, la sécurité et le pognon, et c’est en ce sens que leur mort revêt un caractère sacrificatoire. Et c’est en ce sens que les médias nous demandent de compatir, comme l’a fait Vaillant en s’adressant aux familles : « […] le sacrifice restera à jamais gravé dans nos mémoires et dans nos cœurs. […] En ces instants cruels, soyez aussi assurés de la solidarité de l’ensemble de la Nation, au lendemain de ces actes barbares  ». La Nation pleure puisque ses valeurs de prédilection sont ébranlées. Mais la Nation bande quand même puisqu’elles sont exaltées !

Si personne ne pense à pleurer pour les deux victimes civiles, personne ne verse larme sur des milliers d’autres sacrifiés sur l’autel de la société. Les accidentés du travail, tous les ouvriers, sacrifiés au nom de la cause commune, tous ces larbins qui se meurent à petit feu dans les chaînes bruyantes des usines froides et humides. Eux aussi s’usent, puis périssent.
A quand le ministre de la pêche aux obsèques du marin mort en mer ? A quand la compassion de toute la Nation pour le paysan mort sous son tracteur ? A quand le ministre de la fonction publique aux obsèques du facteur mort à vélo, renversé par un tracteur qui venait d’écraser son paysan ? A quand la compassion de « l’ensemble de la Nation » pour chaque accident du travail, chaque sacrifice perpétré pour le bien de la société ?

Et les sacrifices des millions d’ouvriers esclaves de leur patrons ?
A quand la ministre de l’emploi aux obsèques d’un jeune retraité mort de fatigue, trop usé pour vivre après avoir monté pendant quarante ans des tubes cathodiques sur des télés qui véhiculent aujourd’hui les fantasmes sécuritaires précités ? Eux aussi se sont sacrifiés pour cette société, non ? A quand le ou la ministre de la santé aux obsèques de chaque amianté qui s’est sacrifié dans telle usine ou tel bâtiment sans savoir qu’il se faisait empoisonner, qu’il se sacrifiait ?

« Mais là c’est pas pareil, il n’y a pas meurtre avec préméditation ! » me direz-vous ! et bien si ! c’est moins spectaculaire, moins flagrant, mais l’amiante, on savait que c’était mortellement dangereux ; on sait aussi que porter des tubes cathodiques pendant quarante ans laisse forcément des séquelles irrémédiables diminuant par conséquent l’espérance de vie. Et ce ne sont que des exemples.

Mais il y a des valeurs qui n’en valent pas d’autres… la vie d’un pauvre citoyen lambda qui s’use jour après jour ou celle d’un facteur mort pour une lettre à expédier ; ces morts dont on n’entend pas parler éclaboussent moins qu’une fusillade, que des millions dérobés ou que des policiers tombés au champ de bataille… et personne n’a l’idée d’aller inculper les patrons qui exploitent… puisqu’ils sont eux même commanditaires des discours et fantasmes dont les médias se font les relais les plus efficaces.

 
 
Java
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> Pleurs sélectifs
15 janvier 2001, message de Croa33
 

Il y a bien des victimes dans cette histoire... Des histoires navrantes comme celle-ci il y en a plus qu’on croit !

Simplement ça finit plus généralement par un suicide... Et le silence !

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> Pleurs sélectifs
15 janvier 2001, message de Greg.fr
 

Tiens, je vais jouer les anar’ de base : désolé pour les familles mais si les deux poulets de service avaient fait chef de gare, ils seraient encore vivants. Pas demain la veille que je vais pleurer sur un flicard. Sur un être humain, peut-être (quoique, des futurs macchabés, on en croise tous les jours, et ça ne nous émeut pas plus que ça, finalement), mais sur un flic !

Oui, alors, tout ça, c’est quand même des hommes, des pères de famille, on peut pas parler comme ça d’un mort... Foutaises, tout ça. On les avait pas forcés à faire flic, ils avaient choisi leur profession et connaissaient les risques. Même les appelés à l’armée n’ont pas le choix.

J’imagine que les ceusses qui nous gouvernent paniquent à l’idée que cela donne des idées aux autres.

Et puis décorer deux gugusses censés être des professionnels qui se sont fait avoir comme des bleus, c’est franchement minable. Bah ! il fallait bient le remplir, ce jité de 20 heures. Et puis rassurer les autres flics du coin : vous inquiétez pas, vos camarades seront vengés, etc. Encore un qui va avoir un procès équitable, avec un avocat calibre 9mm.

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> Pleurs sélectifs, titoine, 15 janvier 2001

Je trouve ces deux textes absolument ignobles.

Ok ces policiers avaient peut être choisi leur métier, ok ils connaissaient les risques. Et alors, quand on a dit ça on a dit quoi ?
Parce qu’un type sait qu’il a peut avoir la malchance de rester sur le carreau un jour on doit se réjouir de sa mort, on ne doit pas trouver révoltant qu’il se fasse descendre !!! Foutaises oui. Mais vous avez la haine qui vous aveugle c’est dingue ça !!

Pour moi il n’y a pas deux poids, deux mesures. Les quatre morts, ils valent pas moins cher les uns que les autres.

En revanche du point de vue de la société, oui, je trouve normal qu’un type qui descend des flics il ait des cheveux blancs à se faire. Les flics sont garants de l’ordre social. Ca vous plait pas ça "L’ordre Social", mais c’est ce qui vous permet d’avoir une espérance de vie un peu supérieure qu’en vivant dans le Bronx, ou à Moscou.

Au fait, les chefs de gare aussi ils se font descendre aujourd’hui, et pourtant ils ne portent pas de flingue. Vous vous rappelez pas du pauvre controleur de la RATP qui ne faisait que controler un mec et qui s’est fait poignarder ?
De mémoire c’était à Barbès il y a moins de 18 mois.

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> Pleurs sélectifs, 15 janvier 2001

Mais vous avez la haine qui vous aveugle c’est
dingue ça ! !

Et toi la poutre te rentre dans l’oeil jusqu’au coccyx (c’est une poutre
recourbée :-)).

Ce que l’article constate c’est simplement qu’il y a une différence de
traitement entre les morts anonymes de tous les jours, et les flics
morts pendant leur service et présentés comme des martyrs de l’Etat
républicain, alors qu’eux au contraire savaient à quoi ils
s’exposaient en faisant leur métier et l’ont choisi en connaissance
de cause.

Je vois pas ce qu’il y a de choquant là-dedans. Ce qui me choque moi,
c’est que jusque dans l’appareil judiciaire il y ait deux poids deux
mesures, selon que la victime d’un meurtre est un flic ou non.
Il y a aussi les chefs d’accusation scandaleusement iniques et
sources d’arbitraire tels
que "outrage à magistrat" ou "insulte à agent des forces de l’ordre".
Il y a évidemment tout le poids du conservatisme social de
certains juges qui fait que les policiers, lorsqu’ils enfreignent
la loi, sont traités moins sévèrement que les autres (alors
qu’au contraire ils devraient l’être plus, puisqu’ils ont abusé
du pouvoir qui leur a été délégué par le peuple sans remplir
la contrepartie de respecter et faire respecter la loi).

Ce sont des faits, bien plus choquants que quelques mots peut-être
un peu excessifs.

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> Pleurs sélectifs, Java, 16 janvier 2001

J’ai beau me relire, je n’arrive pas à voir où je me réjouis de la mort de ces deux policiers. Par contre, je suis atterré par le foin médiatique que ces décès suscitent.

Ces deux flics sont victimes d’un fou furieux. Soit.

Mais si ces accidents sont tant médiatisés, alors pourquoi passe-t-on sous silence les très fréquents suicides évoqués par Croa33, les quotidiens accidents qui résultent de conditions de travail déplorables ? Parce que les victimes sont considérées comme de simples larbins et leur sort n’intéresse personne sinon leur petite famille qu’ils tentent de nourrir jour après jour.

Eux sont victimes d’une toute autre violence. Elle les pose dans une incertitude quotidienne, dans une angoissante précarité qui les rend par conséquent dociles puisqu’en danger. Cette violence est d’autant plus choquante qu’elle est contrôlé, posée, réfléchie et, de fait, effroyablement cynique.

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> Pleurs sélectifs, Yan Marchal, 15 janvier 2001

Désolé Greg, mais je suis consterné de lire des propos aussi radicaux et irréfléchis. A moins que ce ne soit un subtil mélange de premier et de second degré dont la teneur m’échappe ? ...

Certes, on peut légitimement dénoncer certains dysfonctionnements dans la police : manque de compétence et de formation des agents, partialité dans l’exercice de leurs fonctions, idées nationalistes et racistes beaucoup trop largement répandues, et surtout inaptitude de l’administration policière à reconnaitre publiquement les bavures et à prendre des sanctions contre les agents incriminés. Je suis le premier à déplorer tout ça.

Dans une société idéale, chaque citoyen serait responsable et respectueux des autres, si bien qu’aucune forme de répression ne serait nécessaire. Il est sain d’essayer de tendre vers ce modèle, et de ramener la répression à la portion congrue.
Mais l’absence totale de répression reste encore un mythe. Pour l’expérience que j’en ai, quand je prends le métro à 23 heures, j’apprécie davantage la présence de policiers, malgré les désagréments que que ça amène, que la seule présence d’individus mal intentionnés (j’ai déjà été agressé). La liberté n’a de sens que si le monde dans lequel on vit nous garantit un minimum de sécurité.
Et sur ce point, la contribution des flics reste nécessaire. En dépit des actes ou propos inacceptables de certains flics, en dépit des dysfonctionnement de l’administration policière, il arrive aussi que certains flics fassent bien leur boulot et contribuent dans leur modeste mesure à rendre le monde vivable.
Et que leur sert-on en remerciement ? Parfois des médailles et des distinctions ridicules comme la légion d’honneur. Mais plus souvent, de la haine anti-flic systématique. On comprend, dans ces conditions, que ce ne soit pas un boulot motivant.

Dire que certains flics font mal leur boulot, soit. Se plaindre de l’impunité relative dont ils abusent parfois, soit. Regretter, ou tout au moins nuancer la gloire et l’héroïsme que la classe politico-médiatique leur offre, soit.
Mais dire "il est mort, je ne le plains pas", ou encore "les flics ne sont pas des êtres humains", ça n’est pas plus acceptable que de dire "les juifs ne sont pas des êtres humains", ou "les pédés ne sont pas des êtres humains".

Yan.

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> Pleurs sélectifs, Greg.fr, 16 janvier 2001

Hello Yan.

En effet, c’était un peu violent comme réaction, mais il aurait fallu que je ponde une réponse bien trop longue. Pour ne développer qu’un seul point, effleuré par Java : le fait que l’on décrive la personne en fuite (je ne connais même pas son nom) comme un "fou furieux". Facile comme raccourci. Grâce à cela, personne ne viendra pleurer une larme sur son sort le jour où il se fera attraper, et vraisemblablement descendre (vous comprenez, il était armé et dangereux). Ce type d’étiquettes que l’on colle au dos des gens pour excuser par avance leur mise à mort arbitraire. Tout est bien qui finit bien. Le méchant est mort, les gentils (nous, quoi) s’en sortent "mais-on-ne-fait-pas-d’omelettes -sans-casser-d’oeufs", donc quatre personnes sur le carreau.

Un peu comme cette prise d’otages dans cette école à Neuilly, il y a quelques années. "Tout est bien qui finit bien : le preneur d’otages a été tué". J’imagine que le ministère de l’Intérieur a dûment chapitré les journalistes habilités à couvrir l’événement. Il n’était pas possible que le preneur d’otage s’en sorte. Même s’il avait lâché son arme. Et ces journalistes ont dû être priés de ne pas verser une larme sur son sort. Ni écrire une seule ligne sur lui, expliquant, par exemple, son attitude. Les preneur d’otages doivent savoir (et c’est fondamental) qu’au bout de leur aventure, il n’y a qu’une issue possible : la mort. Afin de décourager les autres. Et de maintenir la cohésion de la "Société". Quitte à excuser les "bavures".

Bof, après tout, on était pas là au moment des faits, alors à quoi bon épiloguer. C’est juste très triste pour les gamins qui restent derrière. Que leur papa se soient fait descendre "en service commandé" ou parce qu’ils étaient là au mauvais moment ne change rien pour eux.

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> Pleurs sélectifs, kuruchie, 4 mai 2004

Quand on lit ton "SUPER ARTICLE"on se demande ce que tu as dans le crâne.Qui es tu pour te permettre de parler comme ça de personnes que tu ne connais pas et de leur manquer de respect alors qu’ils ne sont plus là pour se défendre ou même mieux pour qu’ils soient devant toi pour que tu leur craches ton venin à la gueule !
Je ne te souhaite pas qu’un malheur t’arrive, mais si ça arrivait à un de tes gosses ou à un être cher, je me demande si tu accepterais qu’on parle ainsi d’eux.
Si un jour tu fais appel aux services de police ou de gendarmerie pour qu’ils te sortent de la merde tu repenseras à ton article d’enfer, j’espère aussi que ce sera moi qui serait là devant toi histoire de te rappeler à ton bon souvenir et si par malheur c’est un de mes collègue qui prend une balle pour toi(même si c un bleu), repense encore à ton super édito. Peut-être que tu auras la joie de faire le 20 heures mais pas lui,et repense encore à ce que tu as écris. MERCI POUR EUX.
PS:je suis flic peut être pas pâr cocation au départ mais je le suis devenu.j’ai perdu mon bras lors d’une intervention pour protéger un mec et surement aussi con que toi, mais lui au moins s’est excusé des injures qu’ils nous avait fociférées à pa face, quand l’intervention fût terminée.
Peut être un jour ce sera TOI !

 
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