Flash forward. Après avoir un instant vacillé sous la pression de l’Ennemi Intérieur[1], l’odyssée du Minirezo reprit son cours jusqu’à la Victoire par les armes, après un buffer overflow réussi sur elysee.fr et un spontané take over populaire de #Palaisdhiver. Rapidement, la Webolution Nationale a créé une nouvelle Civilisation, d’un niveau inconnu depuis, au moins, l’Empire Inca. L’Indépendantisme a été élevé au rang de Science par Arno*, le petit Père du Web, et l’Ordre règne sur le Reicho. L’annonce d’un Plan de 20 ans qui conduira la France aux félicités de la société indépendantiste a suscité l’enthousiasme et l’engagement inébranlable de toutes les couches de la population. Afin de faire du passé table rase, toutefois, et pour mieux comprendre les événements qui faillirent tuer dans l’œuf la Webolution en mars 2001, la Haute Commission Suprême de Répression de la Contre-Révolution a été mise sur pied par l’Ober Kommando Der WSR afin de châtier comme il se doit les chacals félons encore tapis dans nos rangs. Notre FC tente de nous restituer l’atmosphère houleuse de ces débats cathartiques.
Ushuaïa, Sibérie Orientale, de notre correspondant permanent.
[18h00]. Pas de répit, même le dimanche, pour la Haute Commission Suprême réunie une fois de plus au grand complet pour juger une ultime fournée de hyènes madelinistes contre-révolutionnaires. La salle est emplie de simples Citernautes, de dignitaires du WSR en tenues d’apparat et de FCI[2] des plus grands quotidiens nationaux, d’InterOueb Actu au Webnal du Jour en passant par TransNerd.
Les débats, streamés en direct live dans l’e-pays tout entier sur le site officiel du gouvernement (HorsLeWeb.DeSalut.net), et en stéreo sur France InterNet, se déroulent sous le prestigieux hémicycle de l’IRC national, au Palais Bouton. Par les larges baies vitrées on peut admirer les Grands Travaux Wepublicains en cours, le luisant marbre de Carrare de la statue de Vinton Cerf brandissant sa souris de 14 mètres de haut, et plus loin, sur la Place Orange, l’imposant dôme du mausolée Linus rougeoyant sous les ors vespéraux du jour finissant.
[18h10]. Les héliastes surgissent dans la mélopée lancinante des fifres électroniques, et la rumeur des chats s’éteint doucement sous les claquements de bottes purificatoires. Dans le froufrou des orfrois chamarrés, la Cour s’installe en bon ordre devant les bas-reliefs et oriflammes frappés du spartiate MR bien-aimé. Monsieur le Président, qui arbore son visage grave des grands jours, entame son habituel exorde réquisitorial de bienvenue :
« Citernautes, nous sommes aujourd’hui rassemblés pour éradiquer une bonne fois pour toute les mauvais virus qui prospèrent encore sur les données pourtant saines de notre glorieuse Wepublique. J’entends bien écraser sans pitié aucune ces lubriques vipères, les extirper à jamais du code source de la nation et les renvoyer à cette terne poubelle windowsiene qu’ils n’auraient jamais dû quitter, en repassant avec PGP Wipe à 26 reprises pour plus de sûreté. Mais auparavant, communions dans l’esprit du Libre avec l’hymne national réglementaire ! »
Debout, le poing droit sur le cœur et la main gauche sur la ceinture (à la hauteur du portable), le public tout entier scande religieusement en cadence, sauf les Accusés qui regarde servilement leurs pieds.
« Debout les damnés du Napster,
Debout les forçats de la FAQ,
Le Web va changer de database,
Nous ne sommes rien soyons partout,
(refrain, fortissimo)
C’est le log final,
Connectons-nous et demain,
L’Internationale sera le Web humain. »
L’assistance se rassied comme un seul homme, prise à la gorge par une émotion non dissimulée. Le Président, bouleversé, donne la Parole au Procureur Torquemadov Laimé Diatribovskii pour la lecture de l’Acte d’Accusation :
« Accusé Marcelle, vous êtes inculpé pour avoir instigué un complot koulako-phallangiste attentatoire à l’élan Webolutionnaire, vous répandant en assertions mensongères dans des torche-culs facho-centristes. Vous expierez vos crimes sans votre lâche collègue Val, qui pour échapper aux foudres de la Justice et sous le poids du remords s’est récemment suicidé à coups de piolet dans son exil mexicain. » (voir notre édition du 12/06/03, NDLR)
« Accusée Martine, vous êtes inculpée pour sens de l’humour déviationniste, usurpation de titre scientifique, sabotage grammatical et stakhanovisme foromique de mauvais aloi. Je rappelle au Tribunal que jusqu’à sa capture le sous-commandant Martine, vélite d’élite, a multiplié les actions de guérilla et de propagande désinformationiste, menant une guerre psychologique sans merci aux Forces du Progrès. »
(Huées dans l’assistance. M. Lirresponsable : « Qu’on la pende ! »)
« Accusé Kyrou, vous eûtes le vomitif honneur d’être le premier Quisling du Net. Vous êtes convaincu d’intelligence avec l’Ennemi pour avoir frayé avec das Grand Kapital® sur de révulsants serveurs mencheviks, ainsi que pour l’animation honteuse d’émissions d’agitprop vantant sordidement une culture livresque dégénérée, infâmement offline. Nous versons en outre au Dossier un document tendant à prouver vos habitudes fromagères petites-bourgeoises. »
(Indignation sur les bancs du WSR. Cri : « C’est un scandale ! »)
[19h00]. Après une pause-Java, la Commission appelle à la barre le Webmarshall Martinez, au titre d’Expert du Dessous des Cartes.
L’Officier s’avance, très digne, sanglé dans son seyant uniforme orange à brassard radioactif. Son visage franc couturé de cicatrices et ses inflexibles yeux gris en disent long sur son sens du Devoir : il est grand, il est beau, il sent bon le sable chaud. La salle, qui connaît le passé aventureux de l’homme et son intime connaissance des arcanes du Web underground, retient son souffle. On entendrait un modem downloader.
Elle n’est pas déçue[3] : visiblement, le jeune parvenu est disposé à dire toute la vérité dans les limites de la sûreté de l’Etat. Après avoir rappelé avec professionnalisme qu’il est judicieux de s’informer un peu avant de dire n’importe quoi, il brosse au Tribunal un tableau précis des différents niveaux de lectures possibles, partant du Premier Niveau, superficiellement compréhensible pour le néophyte, jusqu’au Septième Niveau où la possession de toutes les Clefs amène l’Initié à la Fusion avec le Cosmos.
Levant le voile sur des informations jusque là strictement Konfidentiel-Défense, le Webmarshall nous révèle que si l’ultra-secrète technologie SPIP devait tomber entre de mauvaises mains, les conséquences à long terme seraient effroyables pour l’ensemble de l’humanité. Certaines puissances occultes –telle la secte satanique SIRI-US- seraient prêtes a payer des sommes énormes pour en obtenir les plans cabalistiques, fort heureusement protégés nuit et jour dans l’inexpugnable Chancellerie du WSR par l’Elite du Korps Prétorien, nous rassure l’Officier avant de se rasseoir sous les acclamations dans un cliquetis de décorations à l’héraldique crépusculaire[4].
[19h45]. Dans sa grande magnanimité, le Glorieux Tribunal octroie quelques minutes aux sournoises raclures de la Défense pour s’exprimer. Aucun avocat n’a accepté de les représenter, car défendre des traîtres, qui plus est fornicateurs salaces comme le rappelle opportunément Monsieur le Président, c’est déjà conspirer.
La voix chevrotante, les larmes aux yeux, l’Accusé Marcelle fait acte de contrition et demande humblement la clémence de la Commission, mais est rapidement coupé par un Procureur rugissant : « Je vais t’en donner moi, de la clémence ! Un aller simple pour Katyn, oui ! Adieu M. Marcelle, adieu, nous ne vous lirons plus ! ». Accablé, l’Accusé baisse la tête sans un mot, fixant convulsivement la poussière qu’il s’apprête à mordre.
Prenant le contre-pied de cette exemplaire resipiscence, et ne reculant devant aucune infâmie, l’agent provocateur Martine aggrave son cas en éructant une admonestation diffamatoire qui ne convainc guère le Tribunal :
« C’est la Censure Permanente ici, c’est la Nuit des Long Ciseaux, le Front National c’était de la bibine à côté, c’est pas des Safranes qu’il vous faut, c’est des Citroëns noires à traction avant, je vous préviens que j’ai constitué d’épais Dossiers et… »
(Brouhaha assourdissant, sifflets. Cri : « Mais qu’est-ce que vous attendez pour la pendre !? ». Monsieur le President requiert le silence et menace de déconnecter la salle. Le calme se rétablit peu à peu ; le Webmarshall Martinez a disparu avec l’Accusée Martine.)
Cauteleux, le dernier Accusé, triturant nerveusement sa multi-casquette entre ses mains moites, tente d’émouvoir en évoquant l’aventure des radios libres mais est à son tour rapidement interrompu par les lazzis des Citernautes, qu’on ne berne pas si facilement après 4 ans de catéchisme Webolutionnaire. Visiblement, l’homme n’a plus toute sa raison et les graves troubles psychologiques mentionnés dans le Dossier d’Accusation sont bien fondés. De concert avec l’Accusé Marcelle et l’Accusée Martine -revenue aimablement soutenue par deux sympathiques Chemises Oranges- il finit d’ailleurs par avouer tous ses crimes et réclame les peines les plus sévères :
« Nous avons travaillé au profit de la Bourgeoisie contre-révolutionnaire internationale, organisé la guerre contre l’Indépendantisme, psalmodient-ils. Nous avons préparé, déblayé la route aux Régulationnistes. Tel fut notre chemin, et tel est le fossé d’abominables abjections dans lequel nous avons roulé. Nous avouons notre culpabilité entièrement et sans réserve, et supplions la Haute Commission de nous accorder une fin rapide et sans gloire. »
(Rumeurs sur les bancs du WSR)
[20h25]. Très attendue, la péroraison castratrice du Procureur Torquemadov Laimé Diatribovskii, Grand Protecteur du Web dans le civil, dont la faconde et les effets de manche sont particulièrement redoutés par la Défense :
« Funeste sera le sort réservé aux vautours qui complotaient dans l’unique but d’un jour s’approprier le travail Kollectif. Nous avons devant nous les représentants les plus dangereux, les plus invétérés de cette incompréhensible Dissidence cryptogénétique si impitoyable à l’égard de nos Idéaux. On ne peut épargner l’Ennemi perfide. Le Peuple entier se dresse, frémit, s’indigne ! »
(Applaudissements, clameurs approbatrices.)
Très en verve et indifférent aux remous, le Procureur poursuit, byzantin, auréolé de sa superbe et sous les aiselles[5], ponctuant sa harangue de moulinets énergiques :
« Ces rosses vaniteuses(TM), ces pygmées misérables ont gravement manqué à la Wepublique, trahi plus de 120 millions de Webmestres français et failli à la déclaration des Devoirs de l’Homme et du Citernaute. Un seul châtiment pour ces ignominieux crimes contre le Peuple : la Mort, de préférence au petit matin sous une lumière blafarde. »
(Applaudissements frénétiques.)
[23h50]. Après quelques minutes de peu fébriles délibérations, sans surprise, le Tribunal compatissant accède à l’unanimité au fervent désir des Accusés et les condamne à la Peine Capitale. Tous devront surfer sur vizzavi.fr jusqu’à ce que mort s’ensuive, par occlusion cérébrale.
Après l’hymne national réglementaire, la séance est levée sous les applaudissements.
Longue vie au WSR, et vive l’e-France !
* * *
[1] Voir notre édition du 11/03/01.
[2] Fournisseurs de Contenu sur Internet (anciennement « journalistes »)
[3] La salle, NDLR.
[4] C’est vraiment n’importe quoi.
[5] Désolé Marc, je n’ai pas su résister au subtil plaisir du zeugma.