A quoi ça sert de s’identifier ? Ben à rien, en fait. Sinon à faciliter le travail de cette « nouvelle économie » qui tourne au flicage. La section « Bloche m’a tuer » de la « Loi sur la Liberté de Communication » nous invite à nous identifier auprès des prestataires techniques avant de nous exprimer. Officiellement, il s’agit de garantir notre... anonymat. N’importe quoi !
Hypothèse 1 : vous êtes dangereux
Mettons que, a priori, vous soyez un dangereux pédo-nazi qui fassiez, en plus et tant qu’à faire, dans le blanchiment d’argent. A priori, vous n’allez tout de même pas donner vos noms, prénoms, adresses, numéro de téléphone, numéro de Sécu et de cartes bancaires. A fortiori, vous allez vous débrouiller pour vivre caché, en tout cas essayer. Donc, vous allez passer par toute une série de prestataires techniques situés dans d’autre pays que le vôtre, histoire de brouiller les pistes, ce que font d’ailleurs tous ceux qui se servent de l’internet pour commettre des méfaits. De plus, vous allez vous servir des méthodes librement disponibles sur l’internet permettant de rester anonyme. Cela n’empêchera d’ailleurs pas les cyber-forces de l’ordre, qui disposent de moyens matériels et financiers sans commune mesure avec vous, de trouver « le » coupable... avec un taux de réussite tout aussi aléatoire que dans la vie « réelle » en tout cas.
Vous faites dans l’illégalité la plus totale, et utilisez les méthodes appropriées, la loi ne vous touche pas, et ne sert donc à rien (enfin si : à faire peur aux citoyens lambdas, avec toutes ces histoires de cybercriminels pédonazis).
Hypothèse 2 : vous êtes subversif
Mettons donc que, a priori, vous ayez la fameuse fibre « libertaire » si « propre » à l’internet et que vous vouliez publier des révélations sur les méthodes contestables de votre patron ou encore le système français, classé secret défense, de surveillance des communications électroniques. A priori, vous avez le droit, si vous avez les preuves de ce que vous avancez. Mais comme cela pourrait tout de même se retourner contre vous, que votre patron pourrait vous faire un procès ou tout simplement vous licencier, vous préférez finalement ne pas tenter le diable, sortir couvert et donc user d’un pseudonyme tout en publiant sur un serveur étranger. Pourquoi ? Pour vous protéger, tout simplement : ZDNet, leader du journalisme en ligne, a ainsi préféré publier les premières photos de Frenchelon (notre Echelon national, affectueusement surnommé ainsi par les anglo-saxons) sur ZDNet.co.uk, sa filiale anglaise, et pas ZDNet.fr. Comme vous n’avez pas vraiment l’âme d’un véritable cybercriminel et que vous êtes surtout motivés par votre liberté d’expression, vous ne prenez pas de mesures de protection « lourdes » et les cyber-forces de l’ordre pourront de toute façon vous retrouver : les données de connexion (adresse IP -qui identifie votre ordinateur quand vous vous connectez- et n° de téléphone) sont là pour ça ! Mais comme vous n’êtes jamais que du menu fretin, vous ne craignez (quasiment) rien, au pire, ces protections préalables de votre vie privée vous donneront le temps de médiatiser votre affaire.
Vous faites dans le subversif, vous apprenez à ne pas tendre la joue, la loi ne vous touche pas, et ne sert donc à rien (enfin si : à vous pousser à la clandestinité, au lieu de garantir votre liberté d’expression).
Hypothèse 3 : vous êtes légaliste
Mettons donc, enfin, et a priori, que vous ne soyez ni dangereux, ni subversif et que vous vouliez scrupuleusement respecter la loi, sinon l’ordre : à quoi ça sert de s’identifier, sinon à remplir les cases de la base de données de tel ou tel provider de la nouvelle économie ? Qui, par ailleurs, pourra se faire un plaisir, sinon un devoir, de recouper vos achats en ligne avec ce que vous écrivez sur le web, qui vous fichera comme aimant les chats, ou bien Robert Hue, ou bien les DVD de cul. Parce que les cyber-flics, a priori, ne vous rechercheront jamais ! Donc ça ne sert jamais qu’à engraisser les bases de données des « prestataires techniques » de la nouvelle économie, qui vivent (quel coïncidence !) de leurs fichiers clients, et qui peuvent donc remercier l’état de cette incitation quasi-fiscale à vous ficher à tout va. On ne saurait d’ailleurs que trop vous conseiller d’apprendre à vous protéger et de remplir les cases par de vraies-fausses infos : fôtes d’aurtograffes à vos noms, prénoms et adresses (histoire d’effectuer une traçabilité des reventes et croisements de fichiers), infos fantaisistes dans les autres cases (âge : 85, salaires : 999 KF, juste histoire de recevoir la pub’ qui visent les riches et les puissants, genre). En plus, c’est tout à fait légal ! La loi ne vous oblige pas, en effet, à décliner votre véritable identité...
Vous êtes légaliste, vous pouvez même légalement vous jouer des marchands de données personnelles, la loi ne vous touche pas, et ne sert donc à rien (enfin si : à vous obliger à être plus et mieux harcelés de publicités « personnalisées »).
Conclusion : à qui profite le crime ?
A quoi ça sert alors de s’identifier ? Ben c’est simple : à permettre aux marchands du Temple (de l’Internet) à remplir plus et mieux leurs bases de données et leurs fichiers clients. Accessoirement, et c’est le plus important, « ça » sert surtout à faire peur aux gens et à tenter de les intimider question liberté d’expression, ainsi qu’à faciliter le travail des cabinets d’avocats plus ou moins vendus aux intérêts de ceux qui ont de l’argent pour entamer des procès : essayez donc de faire un site qui se moque ou critique telle ou telle société, publique ou privée... Le pire a déjà eu lieu : une parodie du site de la RATP a valu à son auteur la modique somme de... 265 000 francs de dommages et intérêts (il avait copié la charte graphique du site « officiel », ce qui, en terme juridique, revenait à être accusé de contrefaçon de 21 marques dûment déposées...). L’internet n’est pas une zone de non-droit, la preuve : on n’a jamais vu autant de procès visant la libre expression des citoyens ! Pourtant, leurs auteurs n’étaient pas forcément identifiés : ça n’empêche pas... On observera également que le Conseil Constitutionnel a écarté le volet portant sur les « diligences appropriées », qui ne plaisait guère aux prestataires techniques, tout en laissant en l’état la section « identification préalable », qui ne plaisait guère aux internautes. On n’aura de cesse de le répéter : à qui profite le crime ?
Vous êtes internaute, et quel que soit ce que vous fassiez, la loi ne vous touche pas, et ne sert donc à rien (enfin si : à permettre aux politiques de ne pas être dépassés, et de « réguler »... même si c’est complètement hypocrite, et inefficace). Bon, vous voulez toujours vous identifier ?