Dans la folle course à la respectabilité que s’imposent les sites marchands
pour conquérir les coeurs, les esprits et surtout les porte-monnaie des internautes,
il est une mesure de façade particulièrement en vogue : la charte de respect
de la vie privée.
Il n’est plus un seul site de vente de disques, de location d’appareils à
vocation hygiénique, voire de toilettage d’animaux de compagnie virtuels qui n’affiche,
en plus des habituelles et déjà pénibles « conditions d’utilisation » de ses services,
les quinze pages de sa déclaration de « protection des données personnelles ».
Désormais, même les e-mails publicitaires envoyés par une agence de pompes
funèbres australienne déclarent respecter votre vie privée.
Nous refusons cette hypocrisie,
voyant combien elle cache une centralisation de plus en plus grande du
stockage et de l’exploitation des données personnelles qu’on nous oblige -
parfois même par le biais d’une législation ubuesque comme les amendements Bloche -
à dévoiler pour utiliser les services fournis par les marchands.
Une « charte de protection des données personnelles » est comme un
contrat d’utilisation imposé par le fournisseur : plus elle est longue,
plus il est probable que l’on cherche à cacher
quelque chose sous l’apparence rassurante de certains termes
sans valeur juridique. La charte idéale devrait tenir en quelques
phrases. Par exemple : « Seuls les renseignements indispensables à l’utilisation
du service seront demandés. Ils seront totalement effacés de façon périodique.
Ils ne seront
jamais communiqués à quiconque, ni exploités à des fins directement ou
indirectement commerciales (autres que la fourniture du service souscrit).
Aucune modification de cette charte ne pourra avoir un effet rétroactif sur
les données déjà accumulées. »
Nonobstant l’ampleur des méandres lexico-sémantiques qu’elles ont
déployé afin de faire bonne figure, nombreux sont les exemples d’entreprises
ayant fait volte-face (Amazon, Ebay...) et décidé tout d’un coup de
vendre les données personnelles qu’elles avaient auparavant récolté.
Nul besoin donc de chercher à discerner les chausse-trapes en les
interminables chartes
des marchands, car demain elles seront peut-être déjà caduques.
En outre, l’utilisation d’Internet fait appel à une multitude
d’intermédiaires tant logiciels que matériels auxquels il faut même
ajouter, dans certains pays (y compris démocratiques),
l’écoute permanente et officielle par les services secrets.
Une démarche complète de vérification du respect de l’intimité des
internautes et de la protection des données personnelles devrait donc
passer par l’examen des conditions d’utilisation et de
protection des données personnelles de tous les prestataires impliqués,
et non uniquement du site Web que l’on visite. L’internaute particulier
n’en a pas les moyens, et les marchands n’y ont aucun intérêt.
La loi pourrait garantir ou tout du moins promouvoir l’intimité des
citoyens du Réseau si la volonté politique des gouvernants n’était pas si
faillible.
Las, même dans les
pays où la loi existe en partie (comme en France), les moyens
accordés à son application sont tellement dérisoires
qu’elle ne sert in fine qu’à afficher une
bonne conscience idéologique. Les directives européennes
ne sont pas répercutées par les pays membres.
Et si les gouvernements occidentaux semblent vouloir
libéraliser la cryptographie, ne vous réjouissez pas : c’est
uniquement afin de favoriser le commerce électronique
et de permettre aux entreprises nationales de lutter contre
l’espionnage économique.
Si vous n’êtes pas une société commerciale, prenez garde
que pour l’instant, du point de vue de nos représentants élus, vouloir
protéger votre intimité est aussi suspect que de transporter un
fusil d’assaut sur vous.
De par les éléments ci-dessus, nous
sommes pleinement conscients
de la fragilité de notre intimité sur le Réseau. Nous savons ce que nous
réserve l’ordre numérique rêvé par les marchands et leurs relais
institutionnels. Nous savons également que chercher à protéger
nous-mêmes notre intimité requiert un certain temps
d’apprentissage et de mise en pratique, que nous aimerions être
dispensés d’avoir à consacrer à une cause purement défensive.
Toutefois, nous nous jouons autant que possible des formulaires
d’identification en entrant de fausses coordonnées, nous refusons
l’affichage de bandeaux publicitaires et la collecte silencieuse
de données qui y est associée, nous choisissons autant que possible
des prestataires alternatifs, indépendants, non-marchands ; enfin,
en tout nous ne faisons
confiance ni aux déclarations trompeuses des marchands,
ni aux promesses gratuites de nos gouvernants.