Jack se réveilla encore tôt ce matin là.
Depuis des mois, il sautait du lit au premier chant du pinson pour se replonger dans la faramineuse quête qui mobilisait toute son énergie.
Il alluma le proto-projecteur en lançant son premier café. Le journaliste holographique portait une étrange combinaison à cravate. Il interviewait un célèbre historien assez âgé, qui exposait les vicissitudes des mouvements de désobéissance civile électronique : leurs craintes, et leurs échecs.
« L’informatique a depuis la fin du XX ème siècle présidé à un vaste mouvement de numérisation de l’ensemble des informations potentiellement disponibles sur les personnes. Ainsi, les systèmes perfectionnés d’écoute électronique alliées aux lois d’urgence réprimant l’utilisation de la cryptographie permettent de violer facilement les correspondances privées dès 2003. La généralisation des systèmes d’identification - les caméras, abonnements de péage, carte de sécu, de transport, de paiements, identification biométrique, - et les amendements Gouaillod de 2004 imposant leur interconnections au système central du SRPJ permet rapidement d’obtenir une traçabilité excellente de tout individu moyen. La mise en place de l’identifiant biogénétique unique a aussi assuré une bonne clef de recoupement de ces données, avec un taux d’erreur de un sur un million... »
Jack coupa le proto agacé. Il connaissait la suite par cœur : les premières victimes des bugs et l’étouffement de ces affaires, le développement du logage généralisé des flux numériques, les tentatives des hackers et autres gauchistes pour ralentir la machine, et leur impuissance face à l’impératif sécuritaire. Puis, la naissance de l’activisme radical qu’il avait suivi dans sa jeunesse.
Les diffusions par ces groupements des clefs d’accès des annuaires NetService du SRPJ, sporadiques mais régulières, permettaient à tout un chacun possédant un peu de motivation et de savoir faire, l’accès provisoire à cet océan de données interconnectées. Encore fallait il maîtriser l’usage des machines cognitives, seules capables d’extraire du sens de la marrée de bits, mais ça, ça ne lui faisait pas peur à Jack.
Depuis des mois, il passait chacune de ses heures de veille à peaufiner une interface neuronale, qui donnait à sa pensée un accès direct aux fuseaux de sens renvoyés par ce type de machine. Depuis quelques semaines, il touchait au but. Le transcodeur fonctionnait bien en inter-stockage mémoire, flux processeur-conscience, et le générateur d’images interne tournait à merveille. Quand à l’extracteur synaptique de bases Net Services, ça n’avait pas été une mince affaire. L’idée était simple, mais sa réalisation lui avait coûté un bon nombre de nuits blanches.
Jack s’était appuyé sur les développements récents de l’interconnectique SuperBrain qui avait sorti pas mal de produits d’ANMC (assistance numérique au mouvement corporel), à l’usage des conducteurs ou des handicapés. En utilisant leurs dernières trouvailles, il était parvenu à réaliser l’intégration mentale directe de la plupart des types d’informations numériques reformatées par la machine cognitive. Le prototype de transcodeur était déjà suffisamment avancé pour qu’il l’utilise quotidiennement à l’appui de ses recherches.
Il avait beaucoup réfléchit aux conséquences de son travail. L’immensité des enjeux de sa divulgation généralisée lui donnait un tel vertige qu’il s’était débrouillé pour avancer dans le plus grand secret. Mais stopper net cette aventure, c’était une idée qui ne lui avait même pas traversé l’esprit.
Préoccupé, il s’installa devant la machine cognitive et brancha le connecteur neuronique. Immédiatement, la machine cognitive lui transmis l’information correspondant au meilleur ratio importance/urgence : « Une nouvelle release des clefs SRPJ vient d’être divulguée par une source non identifiée. » Et elle ajouta : « Potentialité associée de test générique de l’interconnecteur neuronal sur Base NetService SRPJ validée. »
Jack cligna deux ou trois fois de l’œil. Puis il valida la connexion. Dans quelques secondes, il verrait tout, il connaîtrait intimement l’histoire et le présent de chacun, les secrets les mieux gardés et les parcours les plus fous. Il allait se muter en voyeur universel.
Il deviendrait alors le premier voyant numérique.