Charles Petrie, du Stanford Networking Research Center, s’en amuse encore : « lors de la dernière réunion de l’IETF (Internet Engineering Task Force), en mars 2001, pendant que les orateurs dissertaient sur l’internet mobile 3G (pour simplifier, UMTS) d’un futur incertain, toutes l’assistance recevait et écrivait ses e-mail, assis par terre, le portable sur les genoux, connecté sans fil à l’internet grâce à la technologie des réseaux locaux sans fil (WLAN ou RLR pour réseaux Radio Locaux Radioélectriques) ».
I - WIFI ?
Les réseaux locaux sans fil se basent le plus généralement sur la norme 802.11b définie en 1999 et récemment rebaptisée Wi-Fi (Wireless fidelity)
Wi-Fi permet d’échanger des données sans fil avec un débit maximum de 11 Mbps (soit 20 fois plus qu’une connexion adsl pour particulier) et une portée qui dépend de la puissance des bornes, mais peut s’étendre de 30 m à quelques centaines de mètres, voire plus si l’on installe des relais ou nodes. (Voir Wireless-fr)
Wi-Fi exploite la fréquence radio de 2,4 GHz, non régulée dans de nombreux pays, mais en partie utilisée par les militaires en France.
L’IEEE, qui en est à l’origine, travaille par ailleurs à faire évoluer le standard 802.11 pour en améliorer le niveau de sécurité, le débit, la portée et l’efficience énergétique.
L’équipement wifi est extrêmement bon marché, et permet aux particuliers ou structures associatives de développer des pratiques sans fil pour des coûts ridicules au regard des alternatives existante.
En particulier, par rapport aux offres commerciales des opérateurs réseau et télécoms, une différence majeure est que le seul coût supporté par les utilisateurs porte sur l’achat et l’installation du matériel.
Par la suite, les coûts d’interconnexion sont nuls, et n’engagent pas de frais liés à la durée de connexion ou au volume de données échangées [1].
II - Les applications
Cette technique toute jeune, extrêmement souple et facile à configurer, supportant des débits très importants, et disponible à un coût abordable a engendré spontanément un catalogue touffu de projets, d’idées, ou de fantasmes d’applications potentielles, commerciales ou non.
Pourtant, en France, l’utilisation du Wifi reste extrêmement réglementé, et soumis à un cadre contraignant défini par l’ART (Autorité de Régulation des Telecoms)
Ainsi, un important mouvement de défenseurs du wifi s’est constitué, dont l’objectif principal est d’obtenir la libéralisation des usages permettant la multiplication des expérimentations.
Les projets foisonnent, et beaucoup enragent de ne pouvoir les déployer. Les critiques des décisions de l’ART se multiplient, contestant particulièrement la mise en place d’un système d’autorisation préalable, de limitation des puissances d’émission et de la densité géographique des points d’accès, ainsi que la multiplication d’exclusions territoriales contraignantes.
Pour les supporter de la libération du wifi, les ressort du mode de régulation retenu par l’ART sont à rechercher dans les actions de lobbying des opérateurs réseau ou télécoms. Ces critiques s’appuient sur une contestation de la régulation retenue qui s’interroge en ces termes : mais a qui profite(rait) le crime ?
Précisons qu’à ce jour, la restriction de la ressource wifi s’apparente plus à un avortement qu’à un crime, puisque la plupart des usages repérés n’ont pas pu se déployer et n’existent qu’à l’état de projets, dont la viabilité n’est pas toujours évidente.
Mais quels sont ces usages qui seraient étouffés dans l’œuf par une régulation trop contraignante ? Dans sa réponse a la consultation publique de l’autorité de régulation des télécommunications, la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération) propose un aperçu très complet des pistes d’utilisation des systèmes wifi que nous vous proposons de parcourir avec nous.
II - 1 Les réseaux locaux sans fil comme alternative aux autres modes de connexion ou comme moyen de connexion là où il n’y a pas de connexion.
La capacité en débit des réseaux locaux sans fil par rapport à d’autres technologies d’accès à Internet, leur simplicité de mise en place, la commodité d’usage qu’ils proposent et leur coût peu élevé, laissent à penser que les RLR peuvent représenter, à terme, une part significative de l’accès à l’Internet.
Solution possible au problème des derniers kilomètres, alternative aux autres modes de connexion - en particulier en milieu rural.
Scénarios :
Un fournisseur d’accès à Internet propose une offre de connexion concurrente aux autres accès (BLR, xDSL, Câble, Satellite…) sur une zone géographique couverte par une borne ou par un réseau de bornes.
Un fournisseur d’accès Internet propose une solution de connexion à haut débit en zone rurale (marché de niches, mais coûts de déploiement peu élevés), ou sur une zone géographique mal couverte par d’autres offres à moyen-haut débit, ou encore dont les caractéristiques se prêtent mieux à un accès « sans prise ». Le modem est remplacé par une carte réseau sans fil.
Un WMAN (Wireless Metropolitan Area Network) libre et gratuit se développe sur une ville l’accès à l’Internet repose sur des opérateurs classiques qui offrent ce service sur le MAN.
II - 2 Les RLR comme complément ou relais à des connexions existantes
Il s’agit des connexions sans fil, domotique, hot spots...
Scénarios :
Un fournisseur d’accès à Internet propose une offre de connexion Internet sur plusieurs « points chauds » : aéroports, gares, bars branchés…
Un fournisseur d’accès à Internet propose une offre de connexion à un public particulier sur un ensemble de sites dont ce public est familier : une connexion unique et gratuite sur tous les campus pour tous les universitaires et étudiants, une connexion unique sur tous les salons et centres de congrès…
- Des sociétés de transports publics proposent un accès RLR libre et gratuit dans les trains, bus, métros, tramway… Des sociétés de transports privés complètent et relaient l’offre dans des taxis.
Une société de production facilite les tournées des spectacles en réalisant toute la connexion par RLR. La billeterie, les lumières, les hauts-parleurs eux-mêmes sont reliés par ondes radios. Plus besoin de poser des câbles à chaque nouvelle représentation.
Dans la maison, jusque dans le jardin, tous les appareils restent connectés et échangent des informations.
La mairie, l’école de village mutualisent leur accès Internet et créent un miniréseau accessible par tous autour du point d’accès…
II - 3 Les réseaux locaux : nouvelles communautés d’échanges.
Toutes les communautés n’étant pas dispersées géographiquement, mais au contraire parfois regroupées sur des zones géographiques bien délimitées, elles créent un réseau local pour développer leurs échanges. Une pépinière d’entreprise, un espace public numérique, un lycée, une association, un hôpital, un immeuble peut développer unréseau local sans fil, connecté ou non à l’internet.
Scénarios :
Un MAN non connecté à Internet se développe sur une commune étendue. De nouveaux usages apparaissent sur cet « Intranet » local à haut débit : eadministration et démocratie locale, échanges de fichiers avec des voisins, de données entre entreprises, le vidéo-club propose des films en téléchargement,…
Une pépinière d’entreprise propose une connexion radio à toutes les entreprises du site, comme un service en plus, pouvant servir à la logistique générale, aux échanges de données (vidéos ou fichiers images pour des sociétés de productions numériques par exemple) interentreprises.
Un hôpital permet à chaque médecin de consulter le dossier médical de n’importe quel patient depuis son PDA, de l’ambulance jusqu’à la salle de chirurgie.
Un lycée ou un Espace public numérique déploient un réseau sur leur zone « d’emprise » pour permettre aux professeurs de travailler en réseaux sur de la préparation de cours, ou permettre à des élèves d’accéder à du soutien scolaire le soir, de faire un travail à plusieurs.
Dans un quartier, des mordus de jeux installent un réseau radio local pour s’entraîner avant le prochain Lan Arena.
Dans un immeuble, les habitants créent un intranet résidentiel, échangent horaires de baby sitters ou une vidéo de la dernière fête. Certains partagent leur connexion grâce à une antenne qui irrigue depuis la cour intérieure. Des webcams, reliées au réseau, permettent également de surveiller l’entrée et les parkings.
Une société de transport relie ses sites par Internet et équipe chaque site d’un RLR permettant une surveillance en temps réel des entrepôts, des stocks, des livraisons, etc. En circulant avec un PDA dans les entrepôts, comme depuis un camion avec un téléphone 3G, la base de donnée est accessible et actualisable en permanence.
II - 4 Les réseaux ad hoc : des réseaux « éphémères »
Bâtis « à la volée », immédiats et ultra-mobiles pour favoriser la communication de groupe et la conception interpersonnelle.
Scénarios :
Lors de la visite de chantier hebdomadaire (site classé, monument historique ou site non aménagé), architectes et entrepreneurs créent, en ouvrant leurs tablettes PC, un réseau à la volée, pour échanger nouvelles directives, modifier un bout de plan, valider des modifications avec le maître d’ouvrage depuis son bureau…
Constitution à la volée d’un réseau local dans une classe, une salle de conférence pour des échanges particuliers…
Un journaliste-animateur amateur équipé d’une caméra DV sans fil transmet en direct son reportage à une régie vidéo qui le distribue le soir sur les télévisions de tous les bars du quartier par RLR ou par des moyens traditionnels (câble, TNT…).
Dans un centre d’exposition, un réseau ad hoc est monté pour offrir la possibilité d’échanger des données, des références, des commandes avec un exposant, de chatter avec un autre participant. Une réunion s’improvise entre plusieurs participants et une personne distante…
Durant les Jeux Olympiques, la santé des sportifs et leurs performances sont suivies à distance par des médecins et chaque sportif est renseigné sur les performances des autres grâce à un bracelet connecté et une connexion radio qui couvre tout le site des Jeux.
Dans une boîte de nuit, des bracelets Bluetooth relaient les danseurs à un DJ électronique qui mixe la musique en fonction des signaux reçus par les danseurs en mouvements. La musique ralentit ou accélère selon l’état des nightclubers.
« Wireless peer to peer » : Le réseau radio permet de faire communiquer des ordinateurs entre eux, d’échanger des fichiers d’une manière asynchrone, de les faire circuler selon l’état de la connexion. Certains systèmes proposent de supprimer purement et simplement les bases fixes. Dans ces réseaux « Ad-Hoc », les données se propagent de mobile en mobile. Chaque terminal mobile devient un routeur et achemine le signal à ses voisins. Un tel système est particulièrement bien adapté à un flot de véhicules par exemple. Cela permet de propager les communications dans le flot jusqu’à un endroit équipé d’une base fixe reliée au reste du monde. Cela permet également d’échanger des informations entre les voitures aux alentours tels que la position, la vitesse et les moments de freinage.
La voiture du technicien devient le support d’un Intranet mobile, un centre de communication connecté au technicien lors de son intervention à l’extérieur.
II - 5 Les liaisons points à points concentrent les communications de personne à personne…
Les technologies radios ne sont certes pas les seules utilisables dans ce contexte, mais dans certains cas, elles offrent des caractéristiques de souplesse et de coût tout à faire intéressantes.
Scénarios :
Une liaison entre des collèges frontaliers permet de mettre en place un réseau pour développer des échanges entre collégiens pour intensifier l’échange culturel.
Des agents de presse locaux communiquent depuis leur antenne local par RLR au siège du quotidien pour l’expédition de photos, vidéos et autres informations.
Réseau haut débit mieux adapté à besoins spécifiques, communication point à point pour relier points éloignés.
Une liaison radio point à point permet de relier une vallée isolée à fort développement touristique saisonnier mais où aucune connexion autre que RTC n’était envisageable. Des applications en télémédecine avec le Centre hospitalier régional permettent de télésurveiller les derniers habitants de la vallée l’hiver, malgré les coupures de connexion liées aux intempéries.
II - 6 Les RLR pour localiser, échanger, communiquer et rester « connecté » en bougeant
Logistique, maintenance, suivis itinérants et réseaux itinérants, accès aux données..
Scénarios :
Société d’optimisation de nettoyage de graffiti répertorie et repère les graffitis et les télétransmet sur son réseau personnel aux nettoyeurs itinérants.
Bornes de téléchargement de contenus pour PDA, e-books, ordinateurs portables… Avant de prendre le train, plutôt que de louer un lecteur de DVD ou un e-book, vous téléchargez votre film ou votre livre en passant dans la gare.
Accès au données de son compte en banque depuis son PDA, accès aux données de sa société depuis n’importe où dans la rue, quel que soit le mode de connexion (roaming). Un webmaster à un accès permanent à son site pour réparation à n’importe quel moment du jour où de la nuit.
Grâce aux RLR, les touristes peuvent louer des visio-casques qui leur permet de se repérer dans la ville, qui leur donne des informations dans leur langue quand ils parviennent devant des monuments touristiques (réalité augmentée).
II - 7 Les RLR comme moyen de création continue ou intuitif.
Scénarios :
Un musicien à l’idée d’une mélodie dans la rue. Il pianote sur sa veste piano les premières notes et les envoie grâce au RLR à un ordinateur distant qui stocke la partition ou directement à un commanditaire.
III - Limites techniques
Ami lecteur, à ce point de notre article, vos yeux brillent et l’enthousiasme vous submerge ? Une technologie haut débit simple et souple, à coût réduit, testée et disponible, des projets d’usage sur-excitants et foisonnants…
Mais ou est le HIC vous demandez vous ! L’ART est elle réellement manipulée par les opérateurs de télécom qui souhaiteraient bénéficier d’autorisation d’usage exclusif de cette manne pour leur plus grand bénéfice, et bloquerait les possibilité d’utilisation gratuite par les intervenants non marchands, particuliers et associations ?
Le questionnement de la régulation administrée des déploiements wifi en extérieur s’appuie avant tout sur un certain nombre de limites techniques de la norme wifi.
III - 1 La question de l’engorgement
La principale faiblesse du wifi concerne les problèmes de recouvrement des émetteurs. Pour bien la comprendre, ayez en tête votre expérience de la bande FM : tout comme celle ci, la technologie wifi se déploie sur une bande hertzienne limitée. En fonction de la puissance des émetteurs et de leur positionnement géographique, il peut exister des zones de recouvrement, si deux émetteurs voisins choisissent la même bande fréquence.
Le réseau peut alors être brouillé, à moins que celui qui a mis le plus gros émetteur ne neutralise carrément ceux des voisins. On connaît suffisamment les problèmes de mise en place d’émetteurs surpuissant par les gros opérateurs privés sur la bande FM, en dépit d’une réglementation contraignante, pour imaginer les dérives potentielles d’une libéralisation totale de la bande Wifi.
III - 2 Les limites fonctionnelles
D’autres limites liées au wifi existent, sans cependant avoir le même impact sur la question de la régulation de l’affectation de la ressource.
Ces problèmes portent sur la possibilité de roaming (déplacement pendant l’utilisation et passage d’un relai à un autre), la sécurité (pratiques de piratages des connexions privées), la qualité de service, le nombre de canaux disponibles ( 11 à 17 selon l’étude de la FING, en intégrant les fréquences 5 Ghz), la taille des cellules relativement limitée.
III - 3 L’utilisation militaire
Enfin, l’utilisation de ces fréquences par les militaires gène encore en France l’extension géographique potentielle du wifi, l’armée s’étant cependant engagée à libérer peu à peu ces fréquences pour les restituer au domaine public.
IV - Régulation, quand tu nous tiens.
Du fait des caractéristiques techniques du wifi, du mode de distribution des technologies concurrente des opérateurs télécoms et de l’histoire de l’attribution des bandes fréquences en France, on peut donc distinguer trois types de problèmes potentiels posés par la libéralisation totale et inconditionnelle des fréquences wifi :
IV - 1 Les problèmes potentiels de la dérégulation totale
Le gaspillage de la ressource
Le gaspillage, ou l’accaparation privative de la ressource peut intervenir quand de multiples acteurs entrent en concurrence pour son utilisation.
En effet, dans un système de libéralisation totale ou chacun peut monter son réseau wifi extérieur sans contraintes, il est possible que des zones de recouvrement se forment occasionnant un brouillage des émissions, et qu’en réaction, une course à la puissance soit observée.
Les sociétés sans scrupules souhaitant vendre des services wifi et ayant les moyens les plus important pourraient alors squatter l’ensemble de la bande en disposant des émetteurs surpuissant, tout au moins dans les lieux les plus fréquentés. Le nombre de points d’accès pourrait également se multiplier à un point tel que l’espace hertzien des des zones densément peuplées forme un méli mélo incompatible avec la moindre qualité de service, un peu comme si 5000 stations se partageaient l’étroite bande FM.
Le brouillage des appareillages militaires
D’un point de vue totalement différent, la libération complète des fréquence wifi est aujourd’hui limitée par les besoins persistant de l’armée d’un accès à ces gammes de fréquence au sein de certaines zones géographiques.
Le lobbying des opérateurs de télécom
Certains observateurs pensent que le wifi pourrait menacer les intérêts des opérateurs telecoms et les opérateurs de réseau, en concurrençant l’UMTS, ou en permettant à long terme le développement de services gratuits sur des réseaux coopératifs (vidéo, voix, connexion internet... etc).
Cette réalité n’est pas une limitation intrinsèque du wifi, mais peut constituer une clef de compréhension de la radicalité de certaines positions pro-régulationnistes (en clair, pour certains, les opérateurs auraient peur du wifi, ou voudraient bien se réserver les bénéfices potentiels liés à son exploitation).
IV - II Comment réguler ?
Du fait des problèmes potentiels (liés à la saturation de la ressource hertzienne et à la menace éventuelle d’intérêts privés puissant), la question de la gestion de l’espace wifi peu à peu libéré par les militaires se pose.
L’approche économique classique :
La discipline économique s’est particulièrement intéressé à la question de la découverte de la meilleure manière de gérer ce type particulier de bien que sont les biens publics « impurs ».
On parle de bien public lorsqu’un individu peut profiter de l’existence d’un service ou attribut de l’environnement (ici les ondes) sans qu’on puisse l’en empêcher (non exclusion) et sans diminuer la valeur d’usage du bien pour les autres (non rivalité).
Dans le cas des ondes hertzienne, et en se plaçant en amont de toute régulation, il y a bien non exclusivité, mais une rivalité existe : plus le bien est utilisé, plus sa valeur d’usage baisse, du fait de son encombrement ; un peu comme une plage encombrée est moins agréable qu’une plage déserte.
Pour les économistes, la question à résoudre est alors celle de la mise en place d’un mécanisme d’exclusion permettant de conserver une ressource utilisable (conserver la valeur d’usage, c’est à dire une bande hertzienne non brouillée), puis d’un mécanisme de discrimination, permettant de déterminer à qui l’on va attribuer la ressource, en essayant de la réserver à ceux qui en feront le meilleur usage.
La réponse classique à la question de l’exclusion passe par une régulation administrée (les droits d’émissions).
En ce qui concerne la discrimination, la solution proposée porte sur une privatisation des droits d’usage (licences d’émission) permettant de fixer un prix : les acteurs ayant le consentement à payer le plus important sont alors théoriquement ceux qui tirent la plus grande utilité de la ressource.
Pour cette approche, adoptée par exemple pour l’UMTS, ou dans le cadre des émissions de permis de polluer pour assurer la gestion environnementale au USA, la privatisation permet au prix d’exister, et donc à la régulation par le marché de jouer son rôle de discrimination, afin de trancher la question de l’attribution de la ressource rare.
Précisons tout de suite que le modèle que nous décrivons ici constitue la base de travail du courant néo-classique, mais que de multiples et complexes raffinements existent en nombre dans la littérature scientifique : on se reportera par exemple à "Public Goods and Market Failures : A Critical Examination, ed. by Tyler Cowen (New Brunswick : Transaction Publishers, 1992)" ou " OLSON M. (1965), The Logic of Collective Action, Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press, fourth Edition, Cambridge.".
La régulation administrée
Cependant, de nombreuses critiques existent concernant le modèle théorique de base des économistes : la confrontation des modèles à la réalité montre l’existence d’inefficacités majeures de la régulation par la marchandisation (cf les dérives de l’UMTS par exemple). Certains critères politiques peuvent aussi aller à l’encontre d’une régulation par les prix : on peut par exemple estimer que celle ci exclue un certains nombre d’usages « hors marché », sans prix, comme la création de communautés, le renforcement des liens de proximité… ou que la marchandisation risque de conduire à des modèles d’utilisation monolithiques, tuant dans l’œuf un éco-système d’usages potentiels qui demandent du temps pour se développer, ou ne peuvent par nature être rentables.
Ainsi, une autre réponse possible aux problèmes d’engorgement du wifi est celle d’une régulation administrée : des autorisations d’émettre subsistent, afin d’éviter l’engorgement de la bande, mais ce sont des institutions autres que le marché qui décident de l’attribution des fréquences. La régulation administrée peut alors prendre différente forme : autorité indépendante, organisation paritaire représentative des usagers, organisme étatique pur, organisme de gestion territorialisés….
C’est le modèle de gestion de la bande Fm, pour laquelle les licences sont offertes aux opérateurs en fonction de l’évaluation de leur dossier par l’autorité administrative.
L’autorégulation
Mais cette approche administrée ne satisfait pas non plus tout le monde : un certain nombre de courants prônent l’autorégulation, ou la formation de structures de médiation localisées. Dans ce modèle, chacun est libre d’émettre ou il veut, quand il veut, et éventuellement à la puissance qu’il souhaite.
Les arguments des défenseurs de ce modèle insistent sur l’intérêt de conserver une très grande souplesse de mise en œuvre des projets wifi, certains pouvant être temporaires. L’idée est de soutenir une écologie wifi foisonnante, ou chacun peut sans moyen et sans paperasse monter facilement ses propres projets.
En utilisant les bandes 2.4 et 5 Ghz, il est possible de créer de 11 à 17 canaux sur la bande wifi. Pour les auto-régulateurs, si les puissances sont limitées, les problèmes d’encombrement de fréquence ne se produiront que dans des zones localisées très urbanisée.
Ainsi, la déclaration d’intention du réseau Elektrosmog propose une vision de la connectivité wifi totalement libérée : « Nous imaginons un nuage de connectivité internet gratuite qui couvrira la plupart des zones habitées. La couverture peut être parcellaire, variable dans le temps et difficile à contrôler ou à prédire, comme un brouillard ».
Les approches mixtes
Il est également possible de mixer les approches, quoi que la réalisation pratique des contrôles puisse alors être relativement complexe. Ainsi, on peut imaginer que l’on réserve certaines bandes de fréquence à des usages sur « autorisés » afin de réserver une partie du spectre à la mise en place de services de bonne qualité ; et laisser libre d’autres gammes de fréquences en limitant éventuellement les puissances. On peut ainsi permettre aux logiques administrée, et autogestionnaire de cohabiter, alors que la solution de privatisation existe simultanément sur d’autres bandes de fréquence (UMTS par exemple). On peut ainsi penser que la diversité des modes de régulations est favorable à l’éco-diversité des usages hertzien.
La régulation en France
La régulation française actuelle repose clairement sur le modèle administré : on peut imaginer que l’existence d’une autorité administrative dont la destination est de produire de la régulation (et d’une tradition étatique française en la matière) renforce les positions favorables à ce mode de gestion.
La gestion de la répartition des fréquences wifi est donc confiée à l’ART, qui a récemment précisé les règles d’émission à respecter (décision du 7/11/02) après une période de consultation publique
A ce jour, la régulation porte uniquement sur l’émission wifi en extérieur, et se concentre sur les modalité d’autorisation d’émission, de puissance des points d’accès, de densité des antennes, et des zones géographiques autorisées.
La décision du 7/11/2002 de l’ART propose de libéraliser l’usage du wifi en extérieur dans les cas suivants :
Les implantations ne sont possible que dans 38 départements
Dans les départements autorisés, il est possible d’implanter des antennes extérieures sous condition de puissance et de densité. Les opérateurs télécom peuvent le faire sans autorisation, mais toutes les autres personnes morales ou privées doivent déposer un dossier permettant d’obtenir l’autorisation de l’ART, et éventuellement de l’armée.
Les autorisations sont données à titre d’expérimentation, pour une période de 18 mois ("Les expérimentations ne pourront être conduites qu’après la délivrance d’une autorisation, qui sera délivrée gratuitement, sur la base de l’article L.33-1 du code des postes et télécommunications pour une durée maximale de dix-huit mois.
V - Les questions en suspens
Pour terminer, nous souhaitons aborder quelques questions qui font débat aujourd’hui, arbitrairement choisies, et expliquer ce que nous avons compris.
V- 1 Le wifi n’est pas « libéralisé » à cause du lobbying des opérateurs qui craignent que leurs services soient concurrencés.
A priori, le wifi viendra plutôt en complément des offres opérateurs : celui ci ne permet pas le roaming (se déplacer en conservant la connexion) contrairement à l’UMTS, le partage de connexion adsl peut être proposé avec une qualité de service garantie par des opérateurs, les wlan d’immeubles peuvent déjà être créés avec la législation actuelle... etc
L’utopie du MLAN (réseau métropolitain) omniprésent et gratuit, capable de transporter de la voix ou des applications haut débits (...) n’est hélas probablement pas à portée d’onde, même si certaines expériences (Seattle), peuvent aboutir à des résultats intéressants. Ce type d’expérimentation n’est du reste pas exclu par la règle actuelle, à condition de se situer dans une « zone démilitarisée », et de remplir la demande d’autorisation auprès de l’ART.
L’article de la FING « qui a peur du wifi » résume bien l’état de la question : « Remplacer la 3G, tuer les opérateurs téléphoniques, puis succéder à l’internet : on demande un peu trop à un modeste standard technologique. Mais on aurait sans doute tort de sous-estimer le potentiel déstabilisateur qu’il représente, ou libère. Les débats autour des réseaux locaux sans fil nous rappellent que la collision entre l’économie des réseaux internet et celle des réseaux de télécommunications classiques n’a pas encore vraiment eu lieu, et que certains ne se contentent toujours pas du statu quo. Ils nous contraignent enfin à nous interroger sur les chemins qui nous mèneront à la mobilité rapide et « sans couture », à leur pertinence économique et à leur adéquation aux réels contextes d’usages ».
V - 2 L’air appartient à tous
Hélas, l’autorégulation peut signifier le l’accaparation de la ressource par les plus riches des organisations sans scrupules, comme nous l’avons vu dans notre scénario de course à la puissance. L’autorégulation « pure » nous semble une mauvaise solution, quand à l’autorégulation avec condition de puissance d’émission, pourquoi pas, sur certaines bandes wifi ?
V - 3 Les autorisations favorisent les actions institutionnelles
A notre avis, un des principaux défauts de la régulation actuelle : le dépôt d’un dossier de demande d’autorisation est relativement complexe, et doit être réalisé très rapidement. De plus, la masse d’information demandée, favorisant une discrimination des intervenants les plus qualifiés techniquement, implique l’existence d’un net avantage aux structures constituées (entreprises, collectivités publiques, associations...) par rapport aux petits projets individuels ou informels.
V - 4 Wifi externe, wifi interne
Monter votre petit projet wifi à l’échelle de votre quartier ou de votre commune, partager l’accès adsl de voter cousin qui habite à 2 km, ... autant de projets pour lesquels la réglementation actuelle n’est pas très favorable, du fait de la lourdeur de la procédure d’autorisation.
Très clairement, l’objectif de l’ART est d’obtenir des retours d’expériences structurés, et non de permettre au plus grand nombre d’essayer la technique et d’inventer les usages. On le regrette.
Mais n’oubliez pas, wifi est toujours libre en intérieur.
Alors n’hésitez pas, montez un intranet dans votre cité U, partagez l’accès Internet dans votre copropriété, équipez votre école, installez des points d’accès dans les cafés ou les hôtels, n’hésitez plus à monter rapidement un réseau pour jouer avec vos amis ou pour faire une démonstration Internet, installez des web cams wifi dans votre garage ou dans la chambre de votre petite dernière...
Et quand vous serez entraîné, rejoignez les nombreux projets associatifs suffisamment structurés pour obtenir les autorisations nécessaires, et participez, vous aussi, à la libéralisation du wifi (par exemple : wireless-fr).