Il était une fois, dans une vilaine ville pleine de voitures, de fumées, de
complexes vitrés et de boulevards désastreux posée dans un écrin alpin,
un Beau Grand Parc.
C’était pas le Luxembourg, le parc Boreli ou le parc de la Tête d’Or, oh
non ! Mais dans cette ville un peu moche, quand on avait pas de bagnole
ou pas le temps de s’échapper, on aimait bien s’y retrouver.
Les mariés se faisaient photographier, les mamans promenaient
leurs gamins, les vieux jouaient aux boules, les amoureux s’embrassaient,
les étudiants y buvaient des bières en jouant au foot sur les pelouses, et
nos amis gays aimaient à s’y retrouver les soirs sans Lune...
Il était une fois un gentil maire. Il avait plein de bonnes idées, on
avait encore voté pour lui pour le réélire, vu qu’il nous disait qu’il
adorait consulter « la population ». Ce gentil maire, il faut préciser
qu’il avait été nommé grâce à la complicité de très gentils écologistes,
qui avaient eu pas mal de voix, vu la gueule de la ville, c’était pas
surprenant.
Un jour, cependant, les gentils habitants apprirent par le journal de
la mairie que, Oh victoire !, pour fêter l’avènement de l’équipe de
football au nirvana de la deuxième division, la gentille communauté
d’agglomération offrait aux citoyens un superbe stade d’un genre
très particulier : ce stade serait très grand à l’intérieur (presque
autant de places qu’au parc des Princes de la Capitale, la classe !) mais
tout petit à l’extérieur : on pouvait voir distinctement sur les plans
en perspective du journal de la ville le petit carré du stade au fond
du joli parc.
Et oui ! Le gentil maire et ses amis avaient décidé tout seuls
comme des grands de placer le nouveau petit-grand stade à cet endroit.
C’est bien pratique qu’ils disaient : les terrains sont à la ville, y’a
plus qu’à les donner. Ca coûtera moins cher et les gens pourront
prendre les transports en commun pour venir.
Les gentils habitants qui habitaient près du joli parc n’étaient pas
très contents : même avec un tout petit grand stade, un mur de
béton et 25 mois de travaux, c’est moins sympa que des arbres et
des oiseaux, qu’ils disaient.
Comme certains savaient lire, ils ont lu les documents techniques
qui expliquaient en détail le projet du petit grand stade. Pas le genre
de truc marrant à lire, pas de photos, des dessins pas beaux...
Le gentil maire avait pas mis ça dans le journal, attentionné qu’il
était à pas ennuyer ses gentils électeurs.
Les voisins du parc, déjà que ça leur plaisait pas trop d’avoir un stade
à la place d’un parc, ils se sont dit que les gens aimeraient peut-être
savoir, qu’ils étaient peut-être pas d’accord non plus.
Ils ont fait ce qu’on fait dans ces cas-là : les tracts, les pétitions,
chercher de l’argent, alerter les médias... Mais c’était pas facile :
même en étant en vacances, même à beaucoup, même très dynamiques,
pfff... C’était épuisant.
Par contre, y’avait un truc sympa : dans les amis du parc, certains
avaient fréquenté d’étranges groupuscules à nom industriel dans des
paradis virtuels. Avec cette expérience et un poil de technique, y’zont
donc monté un petit site ouaibe. Un copain qui prête un bout de serveur,
un nom de domaine gratuit, et hop !
Comme la ville était très technologique, la nouvelle a vite circulé à
travers les emails. Et puis, de fil en aiguille, les gens signaient la
pétition en ligne, donnaient leur opinion, proposaient de l’aide.
Un graphiste envoya de superbes affiches A3 qu’il avait réalisées pendant
ses nuits, le mot passait, l’information rendue fluide circulait à vive
allure. On discutait, en virtuel ou en vrai, les gens imprimaient
les pétitions pour ceux qui avaient pas le réseau, d’autres questions
sortaient... Un vrai mouvement local de citoyens était vraiment en
train de naître, moins de dix jours après la conception du site.
Faut dire que les ouaibemasters un peu malicieux, envoyaient par
un tour de passe-passe, un mail à chaque signature en ligne dans
les boîtes des élus. Puis la presse commençait aussi à s’intéresser à
la question : elle trouvait sur le site bien des documents et réflexions utiles.
Les forums donnaient la température des opinions de la population :
le parc, fallait pas y toucher.
Et puis ce soir, j’ai reçu dans ma petite boite aux lettres un gentil
courrier du parti des verts, qui annonce une conférence de presse :
après avoir en partie voté pour le projet, cette composante essentielle
de la majorité plurielle locale comme on dit en novlangue, va annoncer
son opposition.
Que va-t-il se passer ?
Le petit stade géant va-t-il être construit ?
Le conte de fées de l’internet citoyen local va-t-il déboucher sur du concret ?