L’humour décalé du nouveau webzine toutelagauche.org fait passer de la fraîcheur dans les austères échanges post et pré électoraux. Certes, on n’y trouvera pas de l’humour épais, des bêtises bas de gamme comme les jeux de mots, les bonnes blagues, les contrepèteries idiotes. Plus sophistiqué, vous allez voir. Mais irrésistible. Ce webzine, comme son nom l’indique s’intéresse à toute la gauche, et lance un Appel, signé de gens de gauches connus, ou qui veulent l’être.
Incantation...
La (ou Le) politique ne va pas du tout, comme on sait, et quand on perd des élections on perçoit mieux qu’elle n’offre « à chacune et chacun d’entre nous, aucune capacité d’intervention propre, directe, continue sur chacune des scènes de nos vies ». Le constat est rude ainsi formulé, surtout quand les énonciateurs étaient au pouvoir il y a peu encore. Heureusement la « mobilisation [...] a écarté le risque désastreux de l’aventure Le Pen. Mobilisation de la gauche et de la jeunesse sic, que les appelants s’approprient avec un grand naturel. On commence à saisir le genre d’humour des protagonistes. Toutelagauche plurielle n’a pas eu le temps de nous « offrir » de la maîtrise sur notre vie, elle... proteste donc (rions), mais elle a sauvé la république de la possible élection de l’autre, affecte-t-elle de penser (rions bis).
L’Appel dénonce avec force toutes les démagogies sécuritaires, fiscales, souverainistes . Ne pas prendre ceci au premier degré, c’est juste un rituel. La meilleure preuve en est le vote de nombre des toutelagaucheux européens à cravate au Parlement en faveur de la rétention des données de connexion le 30 mai 2002, après celui de la célèbre Loi sur la Sécurité Quotidienne en France. Ils disent ça juste pour plaisanter au n-ième degré, comme des farceurs qu’ils sont... Car voter la conservation des données ici et ailleurs, ça ne change pas grand chose à la délinquance, ça offre juste une possibilité de surveillance généralisée. Trois fois rien, une capacité d’intervention propre, directe, continue sur chacune des scènes de nos vies pour ceux qui n’en ont justement rien à battre...
...postures...
Après le comique pseudo tragédien, le lyrisme, l’autre spécialité maison de la gauche dotorg. Oui, « la gauche ne retrouvera sa route et le cœur des citoyens que si elle mesure pleinement l’étendue de la tâche et qu’elle fait sienne un changement radical de posture ». Dire ça ou rien... Mais autant le dire, car le texte se conclut, après une opportune citation de l’accès aux nouvelles technologies au chapitre des vœux, par une initiative effectivement originale, l’engagement d’organiser un... « banquet constituant ».
Voyons voir les autres frémissements de ce changement postural refondateur dans les contributions du webzine.
Sous le titre volontaire « Tenir le choc, refonder l’espoir, réunir la gauche », un autre humoriste nous dit quelque chose de fort : « Il faut refonder la politique et la république ». Pour ce faire, il débite des truismes, et débine Chevènement, les syndicats SUD, G10, FSU, la LCR, ATTAC, qui m’avaient semblés être plutôt dans la posture de gauche, m’enfin les voies de l’union sont diverses... Ensuite les deux derniers mots de la contribution sont, vous allez rire, « réunion, réunion ». Réunion de qui ? De ceux qui ont perdu les élections, uniquement...
Il y a aussi une pétition, pour soutenir l’Appel. Ca faisait longtemps qu’on manquait de pétition. Finalement, je ne l’ai pas signée, le goût de l’humour a des limites. Pourtant, les contributions de signataires (le petit mot qu’on peut ajouter à sa signature de pétition) sont émouvantes, comme toujours. Mais aussi peu opératoires que les textes.
Il s’agit, ni plus ni moins, que de ne pas se rendre...
La gauche a la culture du débat et de la diversité. Confrontons ça et faisons avancer notre mouvement toutes tendances confondues...
alternatif écologiste féministe mondialiste solidaire pacifique (non violent) mais résolument anticapitaliste et antiproductiviste...
Rien n’est jamais gagné définitivement et tout se mérite. C’est en s’y mettant tous ensemble que nous construirons l’avenir dont nous rêvons...
Construisons une Europe du partage pour montrer l’exemple au reste du monde...
Urgence à enfin lutter contre toutes les inéquités
Snif.
...langue de bois...
Revenons aux textes de la revue en ligne, pour contraster... Pour montrer que malgré l’esprit du banquet républicain, on parle moderne mondialisé, on s’adresse aux « acteurs politiques » de progrès pour une plate-forme de gouvernance. Tout bêtement les organisations politiques en action pour gagner les élections, ou, à tous le moins, toucher les sous du financement public (quelques euros le clic dans l’urne), c’est sans surprise. Avant, les vieux disaient forces de progrès et plate-forme d’union, ou programmatique, etc. Gouvernance... Vous appréciez le changement postural.
Mais il y a moins trivial, comme humour. Il y a ceux qui ont compris le message des urnes, et parlent au citoyen de base qu’a bien du mal avec sa vie de base. « Chacun doit travailler pour un avenir qui dépasse la durée de son mandat ou de son existence. C’est l’ultime démonstration de l’unicité de l’homme. » Ca c’est balancé, Dolmancé, et que je te cite ensuite Bossuet. Rigolo, non ?
Les marrants aiment bien citer les auteurs, ça fait cultivé. Un autre fait plus fort, appelant à la rescousse dans le même texte Nietzche, Spinoza, Aristote, Lévinas, Jacquart, Ortega y Gasset, Valéry, Renan, Neruda, Thucydide, Koestler, Montaigne, Philippe Val, Balibar, Habermas. Faut le faire, je l’imagine à la troisième bouteille... Germaine j’te jure j’les place, même pour rigoler je mets Val, le journaliste spécialiste du web, y z’y verront rien. Il est vrai que le texte évoque, pertinemment du coup, les conséquences de nos inconséquences, achevant ainsi le tryptique de la com de gauche (tragédie, lyrisme, culpabilité). Il y fallait donc l’étai des anciens, ça facilite l’internalisation de la culpabilité chez les intellectuels de gauche.
Vous savez, les fausses évidences des rigides dans les synapses qui veulent du bien au peuple, « abstention piège à con », « ne pas voter c’est donner une voix au » repoussoir utile etc. Dans ma ville de banlieue de cons, on leur a déjà répondu, l’abstention a fait nettement mieux que le pourcentage national, et le repoussoir a eu sacrément moins de voix qu’aux dernières élections. Alors, hein, silence les analystes intéressés, de ce genre de phénomène, je n’ai pas vu qu’on en parle. Incorrect, sans doute, car inclassable...
...et camembert
Ah mais c’est qu’on se marre chez les toutelagaucheux. Ca me réconforte, à défaut que ça me donne une idée pour résoudre mes problèmes de con, enfin plus correctement dit, mes capacités d’intervention sur les scènes de la vie quotidienne...
Comment éviter un neuvième vol en cinq ans, ça me gave les vols maintenant, ça fait passer un temps fou dans les commissariats, ambiance déprimante. Déménager pour aller habiter près de chez un ministre ? Trop cher. Que faire avec mon voisin le crétin qui trafique, ne rien faire dignement, laisser faire lâchement, faire faire, regarder ailleurs, lui casser la tête ? Comment faire pour ne pas être dépendant vu la retraite que j’aurai quand je serai vieux (je sais, abaisser mes dépenses) ? Comment empêcher mon frère, ouvrier chomeur-de-très-longue-durée de voter comme il en a l’intention ? Comment ne pas appliquer le programme scolaire de connification précoce made in gauche, merci ? Que faire quand le recours à la Justice de son pays dure deux ans ? Que va devenir le Cachemire ? etc.
Nib de nib, z’ont rien à me dire. Leur Appel, dernier trait d’humour décalé, c’est un appel à qui ? Aux organisations (dire les zorgas), aux militants peinés... A ceux qui pensent pareil pour poursuivre pareil, un appel interne, en quelque sorte. Posture, refondation, gouvernance, citoyen, ça rappelle les langages du net citoyen subventionné, ces gens là doivent dîner en ville ensemble...
Je n’irai pas au banquet, je préfère une tartine de camembert.