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mercredi 19 juillet 2000

Bush et Gore me donnent envie de Ralph

Une lettre de Michael Moore aux non-votants d’Amérique
par Michael Moore

Chers amis,

AVERTISSEMENT : si vous avez l’intention de voter pour Al Gore en Novembre,
grand bien vous fasse. Ne laissez pas ce que je vais vous dire vous faire
changer d’avis car tous les experts m’ont assuré que si vous changez d’avis
sur la base de ce que je vais vous dire, George W. Bush serait susceptible de
gagner l’élection et je ne pourrais certainement plus me regarder dans la glace
si cet expert ès substances pharmaceutiques (de celles que vous aspirez par
la narine ou qu’on vous injecte dans le couloir de la mort, au choix) gagnait
en partie grâce à une lettre que j’aurais commise sur Internet.

Donc allons-y - vous aimez Gore, vous votez Gore. C’est un gars correct. Je l’ai rencontré
l’année dernière à une oeuvre de charité, il est venu à moi, étreinte chaleureuse - waouh, ce vice-prèze il est pas
coincé du cul, j’ai pensé - et m’a congratulé pour ceci celà. Il a même cité quelques
lignes de "The Awful Truth" - waouh, dis donc, qu’est-ce qu’il a à regarder les petites chaînes
du câble... t’as pas grand chose à foutre pendant ton intérim de vice-prèze, hein ?

Je lui ai dit que j’admirais ce qu’il a fait quand revenant en Amérique, alors vétéran du Vietnam,
il s’est positionné contre la guerre ; qu’il lui avait fallu beaucoup de courage, j’ai dit
(son père a perdu son siège au Sénat à cause de son engagement précoce contre la guerre).

Donc, si Al Gore est votre homme, allez-y et ne vous retournez pas. Même, j’insiste, même
si c’est un vote sans grande conviction.

Quoiqu’il en soit, ce que je vais dire maintenant n’est pas destiné aux futurs électeurs
d’Al Gore (ni de George W. Bush). Si vous en êtes, prenez maintenant votre souris et quittez
cette page.

A qui de droit :

J’adresse cette missive au plus grand parti politique des Etats-Unis - les 55 % d’entre vous électeurs
qui sont si déçus par la politique et les politiciens, si malades et fatigués de toutes les promesses
trahies, si dégoûtés que vous n’avez absolument aucune intention de voter en Novembre.

Vous saurez vous reconnaître.

Et vous êtes la majorité !

Vous êtes les plus forts. Vous êtes les non-votants, vous les 100 millions !

Jusqu’à maintenant, vous avez été l’objet du mépris et du ridicule. Vous avez été qualifiés
d’apathiques, de paresseux, d’ignorants. Vos actions ont été vues comme anti-Américaines
(je veux dire, quel genre de citoyen de la Plus Grande Démocratie au Monde refuserait d’exercer
son droit le plus important et le plus cher - le droit de choisir librement votre chef !).

Eh bien, que je sois peut-être le premier à vous dire cela, vous n’êtes non seulement
ni stupides ni apathiques, mais je crois même que vous êtes plus intelligents que tous
les autres d’entre nous réunis. Vous, vous avez compris. Vous avez vu l’arnaque. Et vous avez
eu les tripes de ne plus participer à un mensonge. Au contraire ! En 1996, vous avez contribué
à fixer le record d’abstentionnisme de tous les temps à une élection d’un président des
Etats-Unis.

La raison pour laquelle vous, majorité, ne votez plus aux Etats-Unis est que vous, majorité,
réalisez qu’il n’y a pas de choix véritable dans l’urne. Les « deux » partis font tous deux
le jeu des riches et s’accordent sur 90 % des problèmes. 90 % de leur argent vient de
gens qui gagnent plus de 100 briques par an, et ensuite ils font passer plus de 90 % des lois
que ces générateurs donateurs veulent voir passer.

A l’élection de Novembre, vous savez par avance qu’il n’y aura pas d’enjeu. Le journal indépendant
Cook Political Report, basé à Washington, a annoncé la semaine dernière que sur les 435 sièges
au Parlement concernés par l’élection de Novembre, seuls 47 représentaient un « combat véritable » entre
deux adversaires - et que, parmi ceux-ci, 14 seulement faisaient l’objet d’une bataille serrée entre les deux candidats.
14 sur 435 !

« Quatre-vingt dix-sept à quatre-vingt dix-neuf pour cent des candidats sortants
seront réélus au Congrès en Novembre »
, d’après le Cook Political Report.

Les Non-Votants comprennent déjà cela. Et ils ne gâcheront pas un instant de leur journée du
7 Novembre dans le gymnase puant d’une école de quartier pour participer à une élection du
genre soviétique sans le plus minable des enjeux.

Par conséquent, à vous courageux résistants au vote, j’adresse mes congratulations pour votre
action de désobéissance civile ! Je vous ai rejoint en cette saison de primaires et ai
refusé de me contenter de ce « choix » qui n’est qu’une chimère. Pratiquement 80 % d’entre
nous qui sommes en âge de voter - plus de 160 millions d’Américains - avons organisé un
sitting sur le canapé de notre salon pendant les primaires de cette année. VOILA la grande
histoire passée sous silence de cette année électorale. Combien de temps encore la médiocratie
arrivera-t-elle à désamorcer ce refus massif en le faisant passer pour « un signe que les Américains sont
comblés par le boom de l’économie » ?

Maintenant que nous avons signalé notre présence (ça ne vous dérange pas que je parle pour nous tous,
n’est-ce pas ? Très bien. En fait, j’assumerai simplement la présidence pour l’instant vacante de
ce parti majoritaire et vous servirai de chef jusqu’à ce que vous en décidiez autrement...),
il est temps de trouver un moyen de dire, clairement et bruyamment, à quel point nous sommes
énervés et n’allons plus avaler en silence. Nous devons trouver une méthode qui fasse hurler
à notre vote « Aucun de tous ceux-là » ! Une occasion d’agir, comme ce Chinois sur la
place de Tien-An-Men, qui a arrêté un char en s’opposant seul à son passage.

En Novembre, nous devrions trouver un moyen de marcher dans les traces de ces Minnesotains
intelligents qui, même s’ils pourraient se soucier un peu moins de lutte professionnelle
(et encore moins, j’en suis sûr, de Jesse dit « The Body » [1]), ont prouvé au monde qu’ils ont
non seulement le sens de l’humour, mais qu’ils savent comment l’enfoncer dans ce satané
système. Essayez juste d’imaginer le niveau qu’a dû atteindre leur colère envers le monopole
du Parti-Unique-à-Deux-Têtes ! Je veux dire, gouverner n’est pas une blague - il faut bien
construire des routes, faire marcher les écoles, coffrer les criminels. On n’a pas envie de
filer les clés de l’hospice au président des zigotos mais, morvebleue, c’est ce qu’ont fait
les gens du Minnesota - juste pour faire passer un message ! Waow. Il fallait du cran.

Alors, pour ceux d’entre vous qui n’allaient pas voter de toute façon, eh bien... que diriez-vous
d’y aller finalement ? Que diriez-vous de prendre votre voiture jusqu’à ce gymnase puant où le
petit jeu d’escroc a lieu derrière les rideaux de l’illusion (« ne faites pas attention aux
votants derrière les rideaux ! »), d’entrer, de signer le registre, de prendre le bulletin qu’on vous
tendra, et de vous jeter dans l’isoloir comme un cocktail Molotov politique.

Boum !

« Vous voulez me dire qu’il y a ici un choix entre deux types qui défendent tous les deux
l’ALENA, l’OMC, la peine de mort, l’embargo contre Cuba, l’augmentation des budgets militaires,
les assurances-maladie pisseuses, les complexes hospitaliers vénaux, 250 millions de flingues
dans nos foyers, encore des bombardements sur l’Irak, l’enrichissement des riches et la banqueroute
du reste d’entre nous ? »

Boum !

Pas moi.

Boum !

Je vote pour Ralph Nader.

BADABOUM !

Chers amis, nous sommes en train de perdre notre contrôle démocratique sur notre pays.
Nous l’avons peut-être déjà perdu. J’espère que non. Mais pendant les 20 dernières années
d’administration reaganienne, l’Amérique des entreprises a fusionné et muté à tel point
que maintenant, seule une poignée de compagnies tient les ficelles. Elles possèdent le
Congrès. Elles nous possèdent. Pour travailler pour elles, nous devons passer des analyses
d’urine, nous soumettre à des détecteurs de mensonges et porter un code-barre sur les
chaînes qu’on passe à nos cous. Pour conserver nos boulots nous avons dû abandonner une
aide médicale décente, la journée de 8 heures (et du temps pour nos enfants), l’assurance
que nous aurons un boulot l’année prochaine, et toute récalcitrance de notre part à être
mis en compétition avec une Indonésienne de 14 ans qui gagne un dollar par jour.

Et combien effrayant (et formidable) est-il que le dernier endroit où nous pouvons librement
tenter d’informer et de communiquer les uns avec les autres est précisément sur ce Web ?
Six entreprises dirigées par six hommes contrôlent la majorité des informations que nous
recevons des journaux, de la télévision, de la radio et d’Internet. La moitié des ventes
de livres se fait dans des librairies possédées par seulement deux compagnies. Est-il fiable
dans une « société libre » que les sources de nos informations et la communication
de masse soient dans les mains de seuls quelques riches hommes qui ont un intérêt direct
à nous conserver aussi stupides que possible - ou tout au moins à continuer à nous faire penser
comme eux de façon à nous faire voter pour leurs candidats ?

Je crains que le ciment de cette nouvelle oligarchie ne soit rapidement en train de sécher,
et que quand il aura fini de durcir, nous serons finis. La démocratie, celle qui est supposée
être pour, par et du peuple, cessera d’exister.

Nous ne devons pas laisser ceci arriver, aussi cyniques et dégoûtés soyons-nous vis-à-vis du
processus électoral tout entier.

Ralph Nader, pour moi, représente une chance d’empêcher au moins temporairement le ciment de
sécher. Nous avons besoin de lui pour faire bouger les choses, donner un coup de pied dans
la fourmillière et imposer un débat sur les enjeux véritables. Que ce soit Ralph le Candidat
ou Ralph le Président, il se peut bien qu’il représente notre dernier espoir de reprendre
notre pays des griffes des puissants.

Je n’écris pas ces mots à la légère. Je veux sonner l’alarme et rallier la majorité de ceux
qui, pour de bonnes raisons, ont abandonné la partie - mais qui pourraient très bien trouver en
eux quelques restes pour un dernier assaut contre les salauds.

Ralph peut-il gagner ? Eh bien, des choses plus étranges ont déjà eu lieu durant ces dix dernières
années. Allez, pensez-y un peu, pas un seul d’entre nous aurait jamais imaginé que nous verrions
le Mur de Berlin s’effondrer ou Nelson Mandela devenir Président d’Afrique du Sud. Suite à ces deux
évènements, j’ai rejoint une nouvelle école de pensée qui dit que tout est possible. Jesse Ventura
a commencé à 3 % dans les sondages et a gagné. Ross Perot en 92 a commencé à 6 % et, après avoir
prouvé à tous qu’il était certainement déséquilibré, a réussi quand même à emporter près de
20 % des suffrages.

Ralph avait déjà entre 7 et 10 % dans les sondages - avant qu’il n’ait fait la moindre campagne
sérieuse. Il est parti de 3 à 8 % dans mon état natal du Michigan. Des chiffres étonnants
circulent et les experts, lobbyistes et Républicrates de tous poils ont peur. Hé, vous aimez
voir un Républicrate perdre les pédales ? Dites à un sondeur que vous allez voter pour Ralph.

Maintenant, écoutez, avant de m’envoyer une tonne de courrier sur combien étrange est Ralph parce
qu’il n’a pas de voiture ou que c’est un « richard » parce qu’il a quelques millions de dollars,
laissez-moi vous dire ceci : j’ai travaillé dans sa boîte, et Ralph est vraiment tout cela.
Dans une future lettre je parlerais de cette expérience mais, pour l’instant, mettons que
Ralph est au moins à moitié aussi fou que Jesse Ventura - et à peu près cent fois plus
intelligent. Je dirais aussi qu’il a sauvé un bon million de vies, grâce aux lois sur
l’environnement et la consommation auxquelles il a voué sa vie.

Et de Gore, Bush, et lui, il est le seul candidat qui garantirait une couverture maladie
universelle pour tous, le seul qui monterait le salaire minimum à un niveau décent, le seul
qui se lèverait tous les matins en se posant cette question : « Que puis-je faire aujourd’hui pour
servir tous les habitants de ce pays ? »

La liste est longue. Vous pouvez en lire plus sur les convictions de Ralph en
allant sur son site Web. Vous serez d’accord, j’en suis sûr,
qu’il y a là beaucoup de bon sens, indépendamment de votre couleur politique.

Mais n’oubliez pas. Si vous pensez seulement à voter pour Al Gore, votez pour Al Gore.
Ralph Nader n’a pas besoin d’une seule voix de partisans d’Al Gore. Il y a là cent millions d’entre
nous qui ne sont pas engagés pour l’un ni pour l’autre, et n’ont pas l’intention de voter. Pour
l’instant, Gore et Bush espèrent tous deux gagner en recueillant seulement 40 millions de voix.

Si vous êtes dans la majorité des Non-Votants, si vous voulez que nous reprenions notre pays en
nos mains... eh bien, si seulement la moitié d’entre vous sortent voter le 7 Novembre, vous ne
serez pas tenus pour responsables de l’accession de Bush à la Maison Blanche.

En fait, vous ne serez pas tenus responsables de l’accession de Gore à la Maison Blanche, non plus.

Tout au contraire, vous aurez fait l’Histoire en investissant un véritable Héros National au
1600 Pennsylviana Avenue.

Et vous aurez donné à chaque compagnie, à chaque patron qui vous aura causé du tort, le
pire cauchemar de leurs vies.

Le 7 Novembre. Le temps de faire les comptes est arrivé.

C’est la revanche des Non-Votants !

 

[1Il s’agit de Jesse Ventura,
ancien champion de catch, élu gouverneur du Minnesota en 1998 (NDT).

 
 
Michael Moore
 

Traduit de l’américain par Antoine Pitrou (pitrou@free.fr).

Reproduit avec l’aimable autorisation de Michael Moore (texte original).

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Cinéaste et journaliste américain, réalisateur de « Roger et moi » et de
« The big one », auteur de « Downsize this ! »

4 octobre 2000
8 août 2000
 
SPIP
Web indépendant


Toutes les chroniques de Michael Moore
4 janvier 2003, message de JULIe
 

Merci beaucoup de traduire des textes si passionnants pour les gens aussi nuls que moi en anglais. Michael Moore me passionne, j’aime lire ses textes et voir ses films mais je ne comprends rien à l’anglais ( 3 au bac !!!!!!). Alors merci infiniment.

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> Vive les USA ..., Ben, 26 mai 2003

Ca fait plaisir de voir que les Etats-unis ne sont pas composés que de crétins pour le port d’arme à feu, la peine de mort, la guerre contre l’Irak, et toutes les saloperies de leur fast food à la con !
Ah si seulement toute la population américaine et leurs représentants avaient ne serait ce que le quart de la moitié de la façon de penser de M. Moore, c’est sûr le monde irait mieux...
Enfin pour le moment les USA font la "guerre préventive" pour des raisons indépendantes de la volonté internationale ( à savoir l’ONU ). Mais c’est dingue de voir à quel point les Etats-Unis veulent gouverner le monde alors que comme le rapporte M.Moore il y a quand même beaucoup de travail dans leur pays ( les dégraissages intensifs, le lobby de la NRA, la sécurité sociale, l’illetrisme, la PEINE DE MORT !!).
Enfin, maintenant on ne pourra plus dire que tous les américains sont de gros obèse débile illétrés, vu qu’il y en a quand même un, à savoir Mr Michael Moore, qui pense !!!

Alors vive les USA, et surtout vive M. Moore :-))

Ben

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> Toutes les chroniques de Michael Moore, Flocon, 7 avril 2004

Ce Ross Perot serait un déséquilibré ?
Sur quoi M Moore se base-t-il ?
En Europe nous ignorons tout de ce gugusse et j’aimerais savoir quelles sont les excentricités de mister Perot ( histoire de rigoler un peu)

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