Si je jette un regard rétrospectif sur les huit dernières années, j’en viens à penser que Bill Clinton est peut-être notre meilleur président républicain depuis Abraham Lincoln.
Abandonnant la mission traditionnelle des Démocrates, qui est d’améliorer le sort de ceux qui travaillent dur, Clinton a réalisé des choses dont Reagan ou Bush Senior ne pouvaient que rêver. Douze années de règne républicain à la Maison blanche ne pouvaient accoucher de l’Accord de Libre Échange Nord-Américain (Alena). Il aura fallu rien moins que Clinton pour signer un accord qui garantissait la perte de centaines de milliers d’empois américains bien payés, et n’améliorait en rien le niveau de vie des travailleurs mexicains.
Si Reagan et Bush s’époumonaient contre les « assistés », c’est Clinton qui a fait voter par le Congrès la suppression du programme fédéral de protection sociale. Et comme si ça ne suffisait pas, il a augmenté les aides aux riches sous forme d’exonérations d’impôts, de subventions aux entreprises et de primes à la délocalisation.
Ce que Clinton a fait, aucun Républicain ne l’aurait fait. L’aile démocrate du Congrès se serait dressée comme un seul homme pour la défense des « petites gens ». Mais que faire lorsque c’est un membre de son camp qui siège à la Maison blanche ? Les représentants démocrates au Congrès qui voudraient s’opposer aux agressions contre les pauvres sont paralysés : c’est leur équipe qui est aux commandes ! Si les Républicains souhaitent poursuivre la révolution reaganienne, le meilleur moyen, c’est de soutenir activement Al Gore.
Donc, les Démocrates, ou plutôt les Nouveaux Républicains, comme je les appelle, font route vers Los Angeles pour montrer aux Anciens Républicains comment on fait une Convention [1]. Ils ne croient pas à ces shows où, comme l’ont fait les Républicains à Philadelphie, on rameute tous les sympathisants Noirs qu’on peut trouver pour les faire défiler sur scène dans une vulgaire imitation d’une émission de variétés. Un Républicain qui imite un Démocrate, c’est un peu comme un type qui enfile une robe. Un Démocrate qui imite un Républicain, c’est un peu l’inverse : une femme en trois-pièces-cravate. Il y a quelque chose qui cloche.
La Convention Démocrate de Los Angeles va nous rebattre les oreilles avec les succès économiques des deux mandats Clinton-Gore. Bien entendu, personne ne sera là pour rappeler qu’alors que les 10 % les plus riches devenaient encore plus riches, les 50 % les moins favorisés voyaient leur niveau de vie baisser.
La plupart des Américains sont endettés jusqu’au cou. Le crédit à la consommation atteint des sommets jamais vus. L’année dernière, pour la cinquième année consécutive, le nombre de faillites personnelles enregistrées a battu tous les records. Des gens ont deux métiers à plein temps, la journée de huit heures n’est plus qu’une plaisanterie, l’assurance maladie, les congés payés et les retraites ont été virtuellement supprimés.
Je me demande si Al Gore va parler de ça ? Après tout, il est né avec une cuiller en argent dans la bouche. Il serait donc logique qu’il veille toujours à ce que les riches s’enrichissent et que les pauvres aillent en prison (deux millions de prisonniers à l’heure actuelle, chiffre que Nixon et Reagan auraient jugé astronomique !).
Ce à quoi on s’attendait moins, en revanche, c’est qu’un rejeton de la classe ouvrière, que sa mère envoyait parfois chez ses grands-parents lorsqu’elle n’avait plus assez d’argent pour le nourrir, n’entre à la Maison blanche que pour aider l’élite de l’argent et de l’entreprise à conforter sa position de domination dans notre démocratie vacillante. Bill Clinton a fait plus pour désespérer l’Américain moyen de participer à la vie politique de son pays que tous les présidents Républicains du XXe siècle. Les gens ne votent plus. Ils préfèrent voir un acteur jouer un vrai président dans une série télé [2] que songer à ce qui se passe réellement à la Maison Blanche.
En 1968, un Démocrate d’un autre genre était assassiné juste après sa victoire à la primaire de Californie [3]. Mais les balles ne peuvent pas tuer un rêve. Ni arrêter un mouvement visant à améliorer la vie de tous les Américains.
Les balles, non, mais un type en robe, oui.