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18 août 2002
 
samedi 15 novembre 2003
Sommet mondial sur la société de l’information

Vers un monde meilleur ou le « meilleur des mondes » ?

FORUM SOCIAL EUROPEEN - BOBIGNY - 13 novembre 2003
par Pascal Fortin
 
 

En 2001, l’Organisation des Nations unies (ONU) a pris la décision d’organiser un Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI). Organisé en deux étapes, le SMSI doit aboutir lors de sa première phase à l’adoption d’une Déclaration de principe et d’un Plan d’action à Genève en décembre 2003 qui fera l’objet d’une première évaluation lors de la seconde phase à Tunis en 2005.

L’objectif du SMSI est double :
— organiser un sommet d’un genre nouveau, supposé préfigurer la « nouvelle gouvernance mondiale du XXIe siècle » en associant les acteurs politiques, du secteur privé et de la « société civile » dans la prise de décision ;
— mettre les TIC au service du développement et, au-delà, définir les contours de la « société de l’information que nous voulons ».

À la veille de la première phase du Sommet de Genève, il s’agit ici de proposer un premier bilan du SMSI au regard de ces deux objectifs en insistant plus particulièrement sur les contours de « la société de l’information que l’on nous promet ».

Un sommet intergouvernemental mâtiné d’un renforcement des règles de participation du secteur privé

Tout d’abord, contrairement à l’ambition affichée d’un sommet réellement tripartite associant tous les « partenaires » sur un « pied d’égalité », le caractère intergouvernemental du SMSI est devenu manifeste dès son premier comité de préparation (Prepcom1) durant lequel le règlement du Sommet fut négocié à huis clos entre les États.

En réalité, la principale innovation du SMSI est d’accorder un rôle inédit aux entreprises privées qui bénéficient pour la première fois de la possibilité de participer en leur nom au sein d’un segment attitré, celui du « secteur privé », tout en étant représentées par les organisations non gouvernementales (ONG) qui défendent leurs intérêts dans celui de la « société civile ».

En définitive, les autres ONG, en particulier les ONG militantes et contestataires, sont les moins bien loties. En effet, elles sont noyées au sein d’un segment « société civile » fourre-tout, aux contours à la fois mouvants et incertains, en compagnie d’entités telles que les officines de production de l’idéologie néo-libérale (autrement appelées think tanks) ou encore des élus locaux.

Au-delà de cet échec patent d’une démocratisation de la prise de décision dans les sommets de l’ONU, c’est avant tout la vision littéralement effrayante de la société de l’information telle qu’elle apparaît dans les projets de résolutions du SMSI qui doit attirer notre attention.

Une vision étriquée, partielle et éthérée de la Société de l’information

En effet, la vision des négociateurs du SMSI de la société de l’information est en premier lieu partielle, étriquée et éthérée.

- Une vision partielle parce que de nombreuses questions sont à peine mentionnées dans les projets de résolution, à commencer par celles de la concentration des médias et plus généralement de la constitution d’oligopoles privés dans les secteurs de l’information, de la communication, des télécommunications, de l’informatique, de l’électronique grand public et des industries culturelles.

- Une vision partielle parce que les menaces sur les libertés individuelles et collectives, illustrées de manière particulièrement éloquente par l’exemple du réseau Échelon, ne sont même pas évoquées.

- Une vision étriquée parce que c’est au prix d’un engagement sans failles que les ONG militant pour les droits de l’Homme ont réussi à introduire dans l’article premier du projet de déclaration le principe d’une société de l’information fondée sur l’universalité et l’indivisibilité de tous les droits de l’Homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

- Une vision étriquée parce que, plus de vingt ans après les premiers débats sur le « droit à la communication » au sein de l’UNESCO, les États refusent toujours obstinément à reconnaître un tel droit pourtant consubstantiel au principe démocratique.

- Une vision étriquée parce que les États ont longtemps rechigné à mentionner explicitement la Déclaration de l’UNESCO sur la « diversité culturelle » qu’ils ont pourtant déjà signé.

- Une vision éthérée particulièrement illustrée par l’absence de préoccupation réelle de l’évolution des conditions de travail dans le contexte du développement des nouveaux dispositifs de communication.

En définitive, le déroulement des négociations procure une impression à la fois étrange et particulièrement désagréable de l’absence de prise en compte de la réalité quotidienne des gens dans la définition des contours d’une société de l’information désincarnée qui ne semblent pas avoir grand chose en commun avec le monde dans lequel nous vivons.

Une société de l’information libérale-sécuritaire

Loin d’être fondée sur les droits de l’Homme et la solidarité, la société de l’information promue dans le cadre du SMSI est en réalité néo-libérale et sécuritaire.

La dimension sécuritaire apparaît notamment dans le projet d’inculcation d’une « cyberculture de la sécurité » aux motifs d’assurer la « sécurité de l’information » — mais de quelle « information » parle-t-on ? —, et de prévenir des utilisations abusives, criminelles ou terroristes, des réseaux de communication. Si les préoccupations de lutte contre de tels « abus » peuvent sembler à première vue légitimes, l’instrumentalisation des attentats du 11 septembre à des fins sécuritaires prouve qu’elles sont avant tout des prétextes pour renforcer la « société de contrôle ».

La dimension néo-libérale de la société de l’information apparaît également de manière flagrante dans les négociations avec :
— le refus de soutenir le modèle des logiciels « libres » ou à « code source ouvert » développé dans un esprit de partage et de coopération face au modèle monopolistique de développement des logiciels propriétaires illustré par la mainmise de Microsoft sur le marché des logiciels ;
— l’introduction à l’initiative des États-Unis d’un article selon lequel la « propriété intellectuelle est essentielle à la société de l’information ». Cet article insiste également sur la nécessité de faire appliquer le régime actuel des droits de propriété intellectuelle tels que définis au sein d’instances fortement influencées par les groupes de pression industriels comme l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) au détriment de la libre circulation du savoir ;
— la promotion récurrente d’une vision de la société de l’information fondée sur la trilogie de la régulation, du marché et du volontariat.

Dans cette optique :
— les États sont ainsi convié à « promouvoir la concurrence » et à « favoriser les investissements du secteur privé » ;
— le secteur privé est invité à « développer les infrastructures, les contenus et les applications dans de bonnes conditions et de façon durable » ;
- la société civile est appelée à jouer un rôle capital pour « l’acceptation de la société de l’information » et le renforcement du « triangle réglementation - marchés - valeurs ». Sa mission consistant principalement à lutter pour assurer la survie des « laissés-pour-compte » de ladite société de l’information.

Une société de l’information inégalitaire

En dépit du caractère fondamentalement libéral-sécuritaire de la société de l’information que l’on nous promet, les États n’ont pas, du moins officiellement, abandonné l’ambition de réduire les inégalités d’accès et d’appropriation des TIC.

En effet, le projet de Plan d’action comporte des objectifs précis tels que l’établissement d’une connexion dans tous les hôpitaux, dans tous les villages et dans toutes les écoles primaires d’ici 2015.

Pourtant, loin de répondre à l’ambition affichée de réduction de la « fracture numérique », le modèle néo-libéral de société de l’information promu dans le cadre du SMSI ne peut au contraire que déboucher sur l’aggravation des inégalités d’accès et d’appropriation des TIC. En effet, la conséquence logique d’un tel modèle est de concentrer le développement des infrastructures et des services dans les régions les plus industrialisées, riches et densément peuplées, au détriment des zones rurales et pauvres condamnées à rester à l’écart sans la mise en ouvre de politiques volontaristes telles que la péréquation tarifaire ou encore les obligations de service public.

Plutôt que de proposer des alternatives à un modèle néo-libéral auquel il souscrit largement, le président de la république du Sénégal, Abdoulaye Wade, a proposé un « fonds de solidarité numérique » alimenté par le versement volontaire de la part des acheteurs de matériels informatiques (hardware) d’une contribution allant de un à cinq dollars. Or, ce projet n’est pas satisfaisant pour deux raisons principales : d’abord parce que ce n’est qu’un emplâtre sur une jambe bois en raison des sommes dérisoires qui seraient ainsi récoltées comparativement à l’estimation des besoins, surtout parce qu’il confine les pays pauvres dans une position de quémandeur dont l’horizon d’attente est strictement borné par leur situation de dépendance envers la charité de pays riches toujours plus réticents à sortir leur porte-monnaie.

En effet, si le concept de « solidarité numérique » plaît aux pays riches, ces derniers sont néanmoins hostiles à la création du nouveau mécanisme de financement proposé par le président sénégalais au motif que ceux déjà existants sont suffisants et doivent simplement être structurés de manière à répondre plus efficacement à leur fonction. Plus grave, ces mêmes pays riches sont également très réticents à toute mention d’objectifs précis et chiffrés en termes d’aide publique au développement (APD) ainsi que de réduction du fardeau de la dette qui étrangle pourtant les pays pauvres et les condamnent à rester dans l’ornière.

Du côté de la « société civile », les réactions à ce projet de « fonds de solidarité numérique » oscille entre un soutien aveugle exprimé par de nombreuses ONG africaines (qui n’ont bien souvent de « non gouvernementales » que le nom) et un profond scepticisme de la part des ONG du secteur des télécommunications et du développement face à ce projet dont les contours sont encore très imprécis au niveau de ses modalités de financement et de ses mécanismes de gestion et d’attribution des ressources. Pleinement conscientes des nombreuses lacunes de ce projet de « fonds de solidarité numérique », ces mêmes ONG rappellent par ailleurs que la réduction de la « fracture numérique » doit passer par d’autres solutions, à commencer par une réévaluation du système de répartition [1] des taxes sur les communications téléphoniques au profit des pays pauvres afin de leur permettre de dégager les moyens nécessaires au développement de leurs infrastructures.

En définitive, conscients du caractère irréaliste des ambitions affichées en matière de réduction de la « fracture numérique » au regard des solutions préconisées pour les atteindre, les États ont jugé plus prudent de préciser que, au motif du caractère « évolutif » de la société de l’information, les objectifs ainsi définis n’ont qu’« une valeur indicative » et qu’il revient avant tout à chaque pays de définir sa propre « stratégie nationale ».

Une société de l’information « antidémocratique »

La dimension « antidémocratique » de la société de l’information promue dans le cadre du SMSI apparaît finalement de manière plus insidieuse dans la promotion récurrente du modèle tripartite de prise de décision et dans l’incapacité de réformer la gouvernance de l’internet.

En effet, fondé sur le principe d’une participation sur un « pied d’égalité » des États, des entreprises privées et de la « société civile », le modèle tripartite de prise de décision promu dans le cadre du SMSI confère un pouvoir identique aux trois catégories d’acteurs susmentionnées en dépit des questions de légitimité, de représentativité et de capacité à rendre des comptes de chacun d’entre eux. Sous couvert de démocratisation de la gouvernance mondiale, ce modèle aboutit ainsi très concrètement à une privatisation du processus de prise de décision dont le résultat consiste en réalité à aggraver le caractère faiblement démocratique de ladite gouvernance mondiale.

La vision antidémocratique de la société de l’information est illustrée de manière particulièrement éloquente dans le débat sur la gouvernance de l’internet actuellement assurée par l’ICANN, organisme privé sous juridiction californienne et sous tutelle du Département du commerce des États-Unis. En effet, le consensus parmi les gouvernements pour reporter toute décision au sujet de l’ICANN aboutit ainsi au statu quo au bénéfice des États-Unis et au détriment du multilatéralisme et de la démocratie.

Que faire face au « meilleur des mondes » de la société de l’information que l’on nous promet ?

Étriquée, partielle, éthérée, inégalitaire et antidémocratique, la société de l’information libérale-sécuritaire que les États essaient de nous vendre sous les atours d’une société du savoir, créative, conviviale et participative, correspond en réalité assez fidèlement au « meilleur des monde » décrit par Aldous Huxley. Dans son livre visionnaire écrit en 1932, il imagine en effet ce que serait la « dictature parfaite », c’est-à-dire une dictature douce qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs de laquelle nul ne songerait à s’évader. Un système panoptique au sein duquel, grâce la consommation et au divertissement, les esclaves auraient « l’amour de leur servitude »... Tel est selon nous le contre-modèle de société aujourd’hui promu dans le cadre du SMSI

Au vu d’un tel bilan, quelles stratégies d’action les mouvements critiques et contestataires doivent-ils adopter ?

Tout d’abord, on a vu que les organisateurs du SMSI on pris soin de noyer les militants critiques et contestataires au sein d’une société civile « fourre-tout » et à gométrie variable sous la double dépendance des Etats et des acteurs privés. Mais cela ne doit pas les empêcher d’exploiter toutes les opportunités qui s’offrent à eux pour proposer leurs alternatives au modèle dystopique des Etats à partir d’une double stratégie d’investissement des lieux de pouvoir, comme le SMSI, et de création d’espaces autonomes de débat, de conscientisation et d’action, comme le Forum social européen.

À cet égard, il est important de lutter contre un lieu commun abondamment véhiculé par les médias commerciaux - qui sont les premiers bénéficiaires du projet de société de l’information promu au SMSI - selon lequel les mouvements contestataires n’auraient aucune alternative à proposer. L’absence de fondement d’une telle assertion se vérifie tout particulièrement dans le contexte du SMSI dont l’objectif officiel est de réduire la « fracture numérique ». En effet, les ONG militantes qui participent à ce sommet ont largement démontré leur capacité à proposer des alternatives concrètes et parfois chiffrées.

À titre d’exemple, l’association française CSDPTT exige notamment :
— le retour à un système de tarification par répartition tel qu’il était pratiqué avant la réforme de 1998. Dont la plus-value ainsi dégagée serait affectée à un fonds d’investissement africain dédié à l’infrastructure des réseaux (Selon les experts économiques les plus crédibles cette plus-value se situe entre 1 et 2 milliards de dollars par an) ;
— l’arrêt des services de rappel (« call-back ») qui ont détourné plus de 500 millions de dollars par an de revenus aux profit des sociétés étrangères et au détriment des opérateurs africains ;
— la « récupération » progressive du traffic intra-africain (au fur et à mesure du développement des infrastructures des réseaux africains), actuellement assuré à l’extérieur du continent et qui coûte aux opérateurs de ce continents de l’ordre de 400 Millions de dollars par an selon l’UIT ;
— ou encore la révision, l’actualisation, le regroupement et le re-dimensionnement adéquat des projets d’infrastructure en cours qui entraîneraient des économies d’échelle importantes.

 

[1La taxe de répartition représente le coût total d’un appel international entre deux pays. Avant janvier 1998, le pays où était facturé l’appel reversait la moitié de cette taxe au pays receveur. Mais, depuis cette date, la Commission fédérale des communications (FCC) américaine a décidé unilatéralement d’abandonner ce système de reversement, au motif que le déséquilibre croissant entre le trafic sortant des Etats-Unis et le trafic entrant engendrait pour les opérateurs américains un déficit de plus de 6 milliards de dollars par an. Pour en savoir plus sur ce sujet, lire dans le Monde Diplomatique de février 1999 l’article de Philippe Quéeau intitulé « Les termes inégaux des échanges électroniques ».

 
 
Pascal Fortin
 

Ce texte est la version écrite d’une communication orale présentée pour le compte du « Collectif SMSI » dans le cadre du séminaire du Forum social européen (FSE) intitulé « Sommet mondial sur la société de l’information et développement : quelles aternatives au dogme néolibéral ? », organisé à Bobigny le jeudi 13 novembre 2003.

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> Vers un monde meilleur ou le « meilleur des mondes » ?
31 décembre 2003, message de Georges SOUROU
 

J’aurai bien aimé savoir ce que sont devenues les décisions de prise lors de cette conférence intergouvernementale !
Pour moi comme d’habitude une conférence à l’eau, au mieux une conférence qui a certainement servi à arranger le monopole de multinationales

Répondre
Brève mise au point sur le Sommet de Genève, Pascal Fortin, 4 janvier 2004

Bonjour George,

De fait, on ne peut pas dire que Maria Livanos Cattaui, secrétaire général de la Chambre Internationale du Commerce et surtout coordinatrice de la participation du "secteur privé" au SMSI ait particulièrement été décue des résultats du Sommet.

En réalité, sa principale inquiétude reposait sur le sort qui allait être réservé à l’ICANN, organisme privé de gestion du système d’adressage et des noms de domaine entre les mains des entreprises multinationales et sous tutelle du Département du Commerce US. mais elle fut probablement rassurée lorsqu’il est très rapidement apparu évident que c’est le statu quo qui l’emporterait. Toujours est-il que, pour le moment, les négociateurs du SMSI ont provisoirement décidé de botter en touche en demandant la mise en place d’un groupe de travail sous l’égide du Secrétaire général de l’ONU qui doit rendre ses conclusions avant la deuxième phase de Tunis en 2005.

A part cela, il est sûr que la réitération de la promotion de la logique du marché et de l’appel lancé aux gouvernements, notamment ceux du sud, à créer les conditions d’un environement propice pour les investissements du secteur privé ne pouvait que satisfaire notre représntante des patrons - aujourd’hui plus couramment connus sous le nom de "décideurs".

Pour ce qui est des résultats du Sommet, je te renvoie aux quelques (rares) articles parus dans les médias (Le Monde, Libération, RFI et la presse suisse disponible sur le net) avec une réserve d’ordre général sur le contenu de la plupart de ses articles qui n’ont pas véritablement su percevoir les enjeux d’un tel Sommet au-delà de celui que tu mentionnes relatif aux intérêts des multinationales.

Tu trouveras en outre à la fin de ce message une copie d’un courriel posté sur différentes listes dans lequel je critique l’article d’Ignacio Ramonet publié dans le Diplo du mois de janvier 2004 qui tombe dans l’excès inverse en affirmant à tort que l’importance du SMSI au niveau des technologies de l’information est comparable à celui de Rio pour l’environnement.

PF.


Bonjour,

Probablement dans le but de justifier son déplacement de la mi-décemmbre 2003 à Genève pour participer au Sommet mondial sur la société de l’information, Ignacio Ramonet écrit un article dans le Monde Diplomatique de janvier 2004 afin d’en présenter les "résultats". [ Cf. : http://www.monde-diplomatique.fr/2004/01/RAMONET/10615 ]
Notons au passage le titre de son article intitulé de manière quelque peu emphatique "Le nouvel ordre internet" qui laisse croire que le thème du Sommet est l’internet alors qu’il est consacré à la "société de l’information", expression apparue dans les médias au début des années 80 pour légitimer le processsus de privatisation du secteur des télécommunications au nom de la convergence autour du "nouveau paradigme numérique". Il est par ailleurs très regrettable qu’Ignacio Ramonet n’ait pas été sensible aux
efforts de nombreuses ONG aux fins d’élargir les thèmes du Sommet à des sujets tels que le bilan de la privatisation des télécommunications, le pluralisme et la concentration dans médias et les industries culturelles, les droits de l’Homme et la diversité culturelle dans la société de l’information, etc.

Manifestement soucieux de fournir une justification supplémentaire à son déplacement de Genève, Ignacio Ramonet n’hésite pas à écrire que le SMSI est "Comparable, en matière de technologies de la communication, par son ampleur, ses effets et ses enjeux, à ce que représenta, pour l’environnement, le Sommet de la Terre de Rio en 1992." Ce rapprochement entre le Sommet de Rio et celui de Genève n’est guère surprenant puisqu’il correspond à la propagande des organisateurs du SMSI pour justifier son existence.
On aurait tout de même souhaité un peu plus de recul de la part d’Ignacio Ramonet qui lui aurait sans doute permis de se rendre compte que les deux Sommets n’ont pas grand chose en commun. Sans nous perdre dans les détails, quelques chiffres devraient suffire à montrer la dimension approximative d’une telle comparaison.
- le Sommet de Rio avait duré près de deux semaines quand celui de Genève n’a duré que trois jours ;
- 94 chefs d’Etat et de gouvernement, parmi lesquels George Bush, John Major, Helmut Kohl, François Mitterrand, ont participé au Sommet de Rio tandis qu’il n’étaient que 54 à avoir fait le déplacement à Genève, parmi lesquels aucun chef d’Etat du G7/8, de l’Union européenne, mais de nombreux dictateurs ;
- 17 000 personnes, y compris 7 150 ONG de 165 pays ont participé au Forum parallèle du Sommet de Rio alors que seulement 3310 personnes représentant 481 "entités de la société civile" ont fait le déplacement à Genève ;
- Finalement, malgré l’absence de chiffres en notre possession relatifs au relais médiatique des deux Sommets de Rio et de Genève, nul ne peut nier que l’extraordinaire propagande faite autour du premier cité est sans commune mesure avec l’intérêt très limité dont le second a bénéficié.

Au-delà de ces quelques chiffres, s’il n’est pas question de prétendre dès aujourd’hui que ce Sommet n’a servi à rien, il paraît tout aussi présomptueux d’affirmer que le SMSI représente un "événement majeur". Quoique l’on pense des résultats - selon nous effarants - du SMSI, il est en effet encore bien trop tôt pour affirmer que ce Sommet est susceptible de tomber dans l’oubli ou à l’inverse de constituer le début d’un processus de négociation important sur les enjeux associés à l’expression de "société de
l’information".

Passons sur d’autres aspects discutables et/ou approximatifs de cet article tels que le recours à la rhétorique "révolutionnaire" sur "l’avant et l’après de l’internet", dont le côté désuet et le déterminisme technique sous-jacent ne semblent pas rebuter notre journaliste pour nous attarder finalement sur ce bref passage :

"Pour la première fois, et c’est un signe des transformations en cours, ce sommet de l’ONU associait, aux représentants des Etats, des chefs d’entreprise et des responsables d’organisations non gouvernementales (ONG). Cela n’a d’ailleurs pas bien fonctionné, ces dernières se plaignant d’avoir, en quelque sorte, été marginalisées et d’avoir largement servi d’alibi."

La première phrase de ce paragraphe reprend une nouvelle fois la propagande officielle des organisateurs du SMSI. Ignacio Ramonet l’a d’abord relayée pour dénoncer cette évolution lors de son intervention au débat organisé le 10 décembre 2003 par le syndicat helvétique Comedia et la branche suisse d’Amnesty international dans le cadre du SMSI avant d’être informé par la representante d’une ONG canadienne que la "société civile" du SMSI avait en réalité été marginalisée dans la préparation du ce Sommet.
C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle il a ajouté la seconde phrase de ce même paragraphe... sauf que cette deuxième phrase contredit la première et lui enlève ainsi toute justification.

Quoi qu’il en soit, et même si la propagande des organisateurs sur la dimension novatrice du Sommet qui aurait associé pour la première fois les Etats, le secteur privé et la "société civile" est erronée, Igancio Ramonet n’a sans doute pas tort d’affirmer que "c’est un signe des transformations en cours". Sauf qu’il oublie de nous préciser pourquoi. En réalité, cette rhétorique s’inscrit directement dans la volonté de promouvoir les contours d’une "nouvelle gouvernance de la société de l’information du
XXIème siècle" en adéquation avec le modèle économique néo-libéral sous-tendu par les discours sur ladite société de l’information - une nouvelle fois entériné dans le cadre du SMSI - fondée sur le principe de la mise sur un pied d’égalité entre les Etats et des représentants auto-proclamés du "secteur privé" et de la "société civile".

C’est in fine l’articulation entre cette double ambition politique et économique qui constitue à nos yeux le principal enseignement du SMSI

Bonne année, PF.

Répondre


> Vers un monde meilleur ou le "meilleur des mondes" ?
15 novembre 2003, message de Piotrr
 

La seule question qui me vient à l’esprit à l’issue de cette communication est :

"Que diable allai(en)t-il(s) faire dans cette galère"

Depuis six mois que que j’entends tout le monde s’agiter, s’échauffer et jacasser sur le SMSI, je demande partout quel est l’intérêt pour les ONG et autres acteurs de l’inms de s’investir dans ce machin (ce qui implique une absence d’investissement sur d’autres dossiers étant donné la rareté des ressources dont dispose ledit inms). Je n’ai jamais reçu de réponse satisfaisante. Je vous livre la meilleure tout de même, pour la bonne bouche : "c’est l’occasion de nous rencontrer et de discuter".

PF vient ici de pointer quelques uns des éléments qui indiquent à quel degré de sophistication on arrive s’agissant des stratégies de récupération de la contestation mises en oeuvre par les organismes internationaux. Il paraît même que les "papiers" de Le Crosnier sont évoqués sur le site officiel du sommet...

Toute participation, même (surtout) contestatrice est évidemment la bienvenue dans la mesure où elle fait parler de la manifestation : "Peu importe ce que vous allez dire, de toute façon vous serez inaudible ; mais vous renforcerez la légitimité de notre grand-messe (inter)planétaire, bien peu sexy pour faire la une du 20h, il faut l’avouer ; merci infiniment de votre soutien".

Pour ma part, j’ai décidé depuis longtemps de traiter comme il le convenait cette manifestation passionnante : par le silence (sauf ici, d’accord). Il me semble qu’il y a d’autres combats plus urgents à mener, plus glaiseux, c’est certain.

Sinon, j’ai une petite question :

En effet, le projet de Plan d’action comporte des objectifs précis tels que l’établissement d’une connexion dans tous les hôpitaux, dans tous les villages et dans toutes les écoles primaires d’ici 2015

C’est pour l’ensemble de la planète ? Si c’est le cas, cela me confirme que ces gars des sommets multiplanétaires

1. fument la moquette
2. font preuve du cynisme le plus abject en prononçant des engagement qu’ils savent parfaitement ne pas pouvoir ni vouloir tenir.

Répondre
> Vers un monde meilleur ou le "meilleur des mondes" ?, Pascal Fortin, 15 novembre 2003

Cher "Piotr",

[Une réponse courte en attendant éventuellement d’autres messages sur ce sujet pour répondre de manière plus approfondie plus tard]

Comme vous dites, ça a déjà au moins le mérite de faire parler ;-).

Et contrairement à ce que vous avez l’air de penser, c’est loin d’être négligeable de bénéficier d’une occasion d’évoquer sur la place publique des questions essentielles au devenir de nos sociétés relatives aux enjeux de communication (internet/ télécoms, médias, etc.).

C’est notamment (pas seulement) pour cette raison que les personnes sensibles à ces enjeux s’investissent dans le SMSI.

A cet égard, je ne sais pas si vous en avez conscience mais vous êtes bien le seul (ou disons plutôt l’un des rares parce que j’attends déjà les démentis) à ne pas avoir compris l’intérêt qu’il y a profiter du SMSI.

Il est clair que le SMSI cherche à instrumentaliser la "société civile"(SC) et nos fameux acteurs de la militance institutionnelle seraient sans aucun doute tout à fait prèts à se laisser faire... Mais il faut bien avoir conscience que d’autres acteurs de ladite SC n’ont pas du tout l’intention de se laisser instrumentaliser et comptent bien inverser cette logique.

D’ou la participation de toutes les tendances du l’INMSIC -> militance institutionnalo-subventionnée, franc-tireurs, gauchistes, anarchistes, etc. Mais chacun à sa manière...(Voir par exemple à ce sujet le papier - un peu bâclé, je le reconnais, mais qui me paraît toujours pour l’essentiel aussi valable- que j’avais publié sur ce site sur la "topologie sommaire de l’internet citoyen" en France).

Finalement, la participation n’empêche pas l’investissement dans d’autres combats, loin de là. C’est même plutôt le contraire qui se passe puisqu’on retrouve sensiblement les mêmes acteurs du côté notamment du militantisme critique et contestataire à l’OMC, aux FSME/FSE/FSL ou ailleurs. On est manifestement ici en présence d’un effet cumulatif avec constitution de réseaux d’acteurs à la clé -> voir, à titre d’exemple, l’articulation entre le Polymedialab en marge du FSE, le "WSIS ? we seize !" en marge du SMSI et la Campagne CRIS dans et en dehors du SMSI.

PF.

Répondre
> Vers un monde meilleur ou le "meilleur des mondes" ?, Piotrr, 19 novembre 2003

Allez, tiens. Un article qui te montre comment on peut résumer en 3500 signes, "coco", l’ensemble des débats du SMSI.

Il me semble que la contestance a quelques problèmes de visibilité.

 
en ligne : L’Expansion
Répondre
3500 signes ne font pas sens, Pascal Fortin, 19 novembre 2003

Cher Piotr,

Quitte à citer des sources, autant aller directement chez ceux qui en sont les auteurs. En l’occurrence, l’article que tu cites est une dépêche AFP. (On regrettera au passage que L’Expansion.com n’a pas jugé utile de préciser qu’elle se contente ici de copier/coller une dépêche AFP - Sans doute une question de déontologie journalistique...)

Quant au 3500 signes pour résumer les négociations. Deux remarques :
- ce papier présente une vision très partielle des choses sans quoi il n’aurait pas pu être aussi court ;
- ce papier présente une vision approximative des débats. Par exemple sur l’ICANN, qui oppose moins les "PVD/PMA" et les "pays riches" que les Etats-Unis, partisan du Statu quo et le "reste du monde" partisan d’une réforme pour en faire un organisme réellement "multilatéral" et/ou "intergouvernemental", selon les cas.

PF.

PS : au fait, pq donc m’affubler du sobriquet de "coco" ? Ne ferais-tu pas partie de ceux qui considèrent que le FSE n’est qu’un repère de gauchiste ?

Répondre
> 3500 signes ne font pas sens, 19 novembre 2003

PS : au fait, pq donc m’affubler du sobriquet de "coco" ? Ne ferais-tu pas partie de ceux qui considèrent que le FSE n’est qu’un repère de gauchiste ?

Non, il y a mauvaise interprétation : "coco" fait référence au cliché du jargon journalistique en l’occurrence et ne s’applique pas à toi : "Tu me torches ça en 3500 signes, coco !". Il ne faut pas voir McCarthy là où il n’est pas, Pascal, et le rideau de fer est tombé depuis belle lurette. Cela dit, le FSE est un repaire de gauchistes, où est le problème ?

 
Répondre
> 3500 signes ne font pas sens, Pascal Fortin, 19 novembre 2003

Bon,

Disons que tes guillemets à "coco" dans ton premier message m’avaient enduit d’erreur.
Quant au FSE comme repère de gauchistes, ce n’est ni complètment vrai, ni totalement faux (ça dépend d’ailleurs en partie de ce qu’on entend par "gauchiste")... Paraîtrait même que les électeurs de "droite" se reconnaitraient également dans les enjeux soulevés dans le cadre du FSE. Mais je ne sais plus où j’ai entendu ça.

PF.

Répondre
word, word, 15 novembre 2006
 
en ligne : word
Répondre
generators, generators, 17 novembre 2006
 
en ligne : generators
Répondre
gift, gift, 16 novembre 2006
 
en ligne : gift
Répondre
bridal, bridal, 16 novembre 2006
 
en ligne : bridal
Répondre