La Militance on line, comme sa grand tante la Gouvernance, a un point commun avec la Capitalance dans l’ordre commercial. On n’y met en jeu que ce qui est apporté en société sans prendre de risque sur son patrimoine (cognitif) personnel, puisqu’il s’agit ordinairement de répéter ce qu’il convient de dire, la répétition stabilise le schème, qui n’est à vrai dire pas complexe. L’internet donne à cette pratique sa vraie dimension moderne, en virtualisant les apports et en mondialisant les stratégies d’influence, en même temps qu’il offre au Militant qui le souhaiterait une possibilité d’expression personnelle sans équivalent dans la vie off line.
Souviens toi Barbara
Rappelez vous, avant, les militants, c’était ces gens qui collaient des affiches, diffaient, tractaient (i.e. distribuaient des tracts), et répétaient ce qu’il fallait répéter partout où ils le pouvaient. Une ascèse. Certains, rares, devenaient Chefs, éventuellement parlementaire, maire, chargé de mission ou autre fontion, élective ou non, qui permet de gagner sa vie avec ses croyances et visées, pardon, avec ses Convictions et Projets. Et pour celui qui n’avait pas la chance de devenir Chef, il y avait la satisfaction de considérer qu’il échappait à l’aliénation qui frappait les autres inconvaincus, valets, crapules, chiens de garde, et maudits de la fausse conscience. A la fin, ils mouraient tous, comme tout le monde.
Pour la fin, c’est toujours pareil, pour des raisons que le pire réductionnisme n’arrivera pas à imputer à la politique de l’ennemi. Mais pour avant la fin, l’internet a grandement amélioré les conditions de travail, on ne se fait plus d’ampoules aux pieds. Monter et entretenir un site web et un forum, c’est tout de même moins fatigant, sale, et malsain que rester sous la pluie froide à tendre un papier à des gens qui passent en regardant ailleurs. Le cas des pétitions, instrument militant par excellence, est particulièrement frappant, bien que l’ingéniosité en ait créé d’autres (spam, défaçages révolutionnaires, bannières à moustache pour faire peur aux enfants et se faire bien voir etc). Proposer un texte à signer devant la gare ou au marché, c’est gonflant passé le premier temps de l’extase de la participation au changement du monde, et ingrat, disons le. Proposer de remplir les cases en ligne et cliquer, c’est nettement mieux, ça fait high tech, on ne risque pas de prendre un mauvais coup, on peut aussi mettre des couleurs, des versions en langues diverses, ce qui attire le clic.
Soyons juste, ce n’est pas si confortable que ça pour l’opérateur de pétition. Certes, il n’a plus besoin d’avoir dix personnes à envoyer sur les marchés. Mais outre le fait qu’il faut organiser correctement la chose, la gestion de la relation clientèle n’est pas de tout repos dans ces milieux. Entre ceux qui s’inventent des noms connus, c’est vachement rigolo, ceux qui protestent en découvrant un homonyme et exigent que l’on note que Martin, ingénieur, n’a rien à voir avec Martin, ingénieur, ceux qui regrettent et demandent qu’on ôte leur nom, on peut avoir l’usage de pansements gastriques. Sans compter qu’il faut bien convaincre le monde qu’on ne fera pas mauvais usage des adresses ainsi obtenues. Mais en échange, avec l’internet, on doit pouvoir faire de sacrés scores de clics.
Clic, shebam, pow, blop, wizz
Le clic de qui ? Celui d’un autre Militant en général. Car, sans doute en vertu d’une subtile homologie, le réseau des réseaux a engendré des réseaux de réseaux de militance. Rien que dans la militance net-net, il y a ceux de la liberté d’expression, ceux de la confidentialité, ceux de la démocratie citoyenne, du service public de l’accès, du web indépendant, du haut débit populaire, de l’open source, peut être même de la civilité, du développement durable des urnes de la brousse etc.
Tout ceci peut être combiné pour donner une configuration plus complexe, ou dériver d’un autre investissement, politique par exemple. D’où l’existence sympathique de multicliqueurs de pétitions, dont on retrouve périodiquement les noms ou les pseudos permanents sur des listes, accompagnés ou non de l’URL de leur site, ce qui autorise des navigations où l’on peut rester entre soi et répéter les mises en scène qui entretiennent les amitiés et inimitiés utiles et un sentiment de communauté. L’union est un combat, mais la réciproque est vraie aussi.
On le sait, le militant aime bien la quantité (voir les querelles de décomptes de manifestants), mais à défaut la qualité suffit. La pétition n’a donc pas besoin d’exploser le hit pour être satisfaisante. Cliquer, c’est fastoche, on devrait donc avoir du monde, d’autant plus qu’il y a de plus en plus d’internautes. Ouiche, de plus en plus, peut être, mais ça ne se voit pas dans la militance on line. Les association de l’internet ont peu ou prou le même effectif quee celui de l’époque héroïque (préstartup) où il y avait 4 à 6 fois moins d’internautes. Il est vrai que l’offre de consommation d’internet, spécialement web, s’est accrue dans le même temps. On peut même cliquer pour des sondages sur échantillon non représentatif et donner son avis qui compte pour du beurre, mais l’essentiel est de participer au spectacle, comme on l’a déjà décrit ici.
Pour la quantité, elle n’est pas au rendez vous. La Loi sur la Sécurité Quotidienne a fait réagir en ligne, fin 2001. Une pétition d’association recueille environ 1500 signatures individuelles, et une cinquantaine de signatures d’organisations. Comme il y a dans le lot des organisations de masse (partis, syndicats), le moins qu’on puisse dire, c’est qu’une fois signée la chose, elles n’ont pas jugé utile de faire aussi signer leurs membres à titre individuel. Après le vote de la loi (que l’on dira scélérate, immonde, inique et inconstitutionnelle) une pétition de collectif demande la saisine du Conseil Constitutionnel. Un peu plus de 800 signatures individuelles à ce jour et 5 mois après son lancement.
Bien entendu, il s’agit d’organismes qui n’ont pas beaucoup de moyens. Mais on peut trouver différent. Le groupe Serveur, managé par un entrepreneur 100% à gauche, ou au moins 95%, et qui fait des affaires dans l’Art avec un capital de 93 millions d’euros (dans les casseroles ou l’huile de vidange, ce serait un capitaliste de droite, sans doute), a aussi proposé une pétition pour mettre l’internet au coeur de la campagne des élections présidentielles. On a vu ce qu’il en a été. En plus de 4 mois, elle a recueilli environ 1600 signatures. Plouf. Donc ce n’est pas une question de moyens potentiels.
Est-ce alors une désaffection, une méfiance vis à vis du politique et rubriques adjacentes ? Si on considère l’effectif qui clique sur le sondeur pour rire (quelques centaines à peu de milliers selon les thèmes), c’est pareil. Si l’on regarde le nombre ridicule de messages envoyés au forum de la corégulation, malgré force civiles sollicitations, on a une idée encore plus précise. Le Militant est économe de son clic comme de ses avis quand ils sont demandés, alors qu’il se répand sans retenue dans des forums variés, donnant des avis définitifs sur le conflit indo pakistanais (à moins que ce ne soit un autre), les politiques, le fascisme, l’action, les médias, la mondialisation, l’exclusion et autres thèmes de la militance millennium.
Ah bien sûr, si d’autres que des militants signaient, ça pourrait faire du monde. Et même peut être du beau monde, celui dont la notoriété compense le faible effectif (cf le "manifeste des 343 salopes" au temps d’avant le web, et même d’avant l’IVG), ou des personnes de qualité, celles qui donnent leur titre ou grade pour dire une banalité sur un thème hors de leur compétence (professeur de machin, docteur en truc, directeur de chose). Mais ce n’est pas attirant pour ces gens, la mouvance, dès lors que s’y expriment des paroles militantes impulsives...Juste un exemple sur le terrorisme, comme on peut en trouver d’autres sur un média militant, et qui a le mérite de la concision, ayant poussé le réductionnisme très loin : Le terrorisme aveugle vise le peuple, il est donc commandité par l’ennemi du peuple : l’État, le plus froid des monstres froids . CQFD. On voit qu’il y a de la ressource logique et stratégique dans la militance...
On voit aussi, par la même occasion, pourquoi cet univers n’est pas en expansion. Les pauvres internautes aliénés, irrationnels et futiles ne comprennent pas ce genre de propos, il ne vont pas venir cliquer la pétition. Pire, même quand la pétition est internationale, écrite en français, et polie, ça ne se précipite pas chez les internautes (voir la pétition du mois contre "la fin du secret de la correspondance privée".).
Avec le temps, va...
Vous avez remarqué, c’est toujours un peu le même type d’effectif en France...On s’y est habitué, si bien que lorsqu’on passe le millier, on est content, puisqu’on est allé au delà des quelques centaines incompressibles des polycliqueurs militants. On peut en conséquence écrire étourdîment que l’Etat...a refusé d’entendre les citoyens et de respecter la Constitution française. Euh, les 1500 citoyens de la pétitionnance, plutôt, ce qui ne fait pas beaucoup plus de monde que les parlementaires en question...
L’internet ne réussit pas, malgré la facilité de la chose, à faire de la pétition individuelle un instrument d’influence. Au contraire, même, puisqu’elle manifeste crûment les limites de l’investissement, et témoigne a contrario que le populo s’en fout, voire qu’il est d’accord avec la décision décriée. Peut être l’idée de pétition générale est elle inappropriée comme forme d’expression collective aujourd’hui. En effet, des actions soutenues par des pétitions ont bien marché dans le passé.
Rappelons nous l’affaire Estelle Hallyday versus Altern en 1999, sur la responsabilité de l’hébergeur. L’affaire Leonardo sur les noms de domaine. Les amendements Bloche. Ce n’est pas vieux. Il est vrai que le lobbying concommittant n’est pas pour rien dans la réussite, et l’intérêt des médias aussi, bien entendu, ce qui n’est pas dans le journal n’existe pas en tant que force de pression. En revanche, sur Danone et la LSQ, le solde de l’opération n’est pas bon. On peut à celà trouver des raisons diverses, comme l’amateurisme, le matuvusme, l’esprit com dans le premier cas, la pression d’ambiance, la peur et l’ignorance dans le second. A la vérité, on évitera difficilement de considérer que ces deux affaires n’étaient pas du ressort des actions net, qui se sont substituées à d’autres, défaillantes ou prudentes (Ligue des Droits de l’Homme, par exemple), contrairement aux premières pour lesquelles la légitimité de l’action interne au réseau sur ce qui le concernait au premier chef ne faisait pas doute. Oui, ça marche en ghettos, c’est ça le secret de la pétition efficace, pour autant que le ghetto soit, à ce moment précis, médiatisable correctement. Sinon, bernique.
Mais heureusement, la militance n’a pas que la seule ressource de la pétition en ligne. Il y a aussi le concert de casseroles, pour faire entendre la voix des citoyens représentés...