To sink, sank, sunk, me serinait ma prof d’anglais à l’école.
Ievoli Sun.
« Là-bas le soleil s’écroule dans la mer… » chantait Souchon dans La Ballade de Jim.
Ievoli Sunk. On connaît la chanson...
Et encore une fois...
C’est étrange comme les associations d’idées peuvent parfois se former…
Après l’Erikatastrophe qui n’était pas vraiment un poème, le Ievoli Sun, irrise la mer de ses rayons chimiques…
Et encore une fois, nous sommes en colère…
Qui ça nous ?
Ben, nous, c’est-à-dire vous, les gens de mer, les gens du littoral, et moi, et nous, les amoureux de la Belle Bleue ; que l’on a pris coutume de croire si grande qu’elle en serait infinie !
Capable de faire disparaître, au bout de quelques temps de cet infini même, les saloperies qu’on lui balance à longueur de journée, et d’année, avec nos pas si ptits navires, qui ne cessent de naviguer, jusqu’à ce que... craque la barcasse qui se fracasse...
La mer, c’est dégueulasse...
"...les poissons baisent dedans ! " chantait aussi Renaud.
"Et quand le vent soufflera, je repartira, et quand les vents souffleront, nous nous en allerons...de requins..."
Tin tin tin ! Le Renaud, il avait vu juste.
Car, il s’agit bien de requins encore une fois dans cette affaire. De requins de l’économie, des économies, des économies de bout de chandelles, comparées aux enjeux de la préservation de l’écosystème marin et littoral.
L’espoir du profit
La dérégulation du transport maritime, le tout économique de la gestion européenne de ces questions, malgré le précédent de l’Erika, qui n’en est encore qu’à l’heure des bilans presqu’un an après la marée noire ; voilà, entre autres, ce qui nous amène aujourd’hui à cette crise du chimiquier.
Si des bateaux en mauvais état, ou des bateaux plus convenables mais par une mer en colère, naviguent en Europe aujourd’hui, c’est bien que les pressions de la compétitivité, de la rentabilisation, de l’amélioration des gains de productivité en tous genres, poussent derrière, drainent dans leurs courants plus ou moins clairs, des épaves flottantes, des capitaines, taine, taine, à la merci des donneurs d’ordres, et des irisations polluantes, passant par pertes et profits dans le budget des assurances des transporteurs maritimes, ou bien encore, des affréteurs sans foi ni loi... autres que celles du marché, bien entendu.
Le BEA, Bureau des Enquêtes techniques & administratives après Accidents et autres événements de mer (BEA/mer), le rappelle joliment, en citant Shakespeare dans le texte, en exergue de son RAPPORT ANNUEL
1 9 9 9 :
“ … nous nous savions aventurés sur une mer dangereuse, mais l’espoir du profit possible étouffait la peur du péril probable ; … ”
Les aventuriers de l’économie maritime dérégulée, n’en pensent pas moins aujourd’hui.
Qu’ont-ils à craindre ces armateurs qu’une amende qui sera largement compensée par leurs gains de l’année ? Et les affréteurs ? Quand depuis, le protocole de 1992, ils ne sont pas, en France, considérés comme responsables des catastrophes industrielles qu’ils génèrent sur la mer et nos côtes ?
Passe-moi l’éponge
Une bonne campagne de pub, fera oublier tout cela... dans quelques mois...on passera l’éponge (naturelle ou mutante ?)autant qu’il le faut, sur les vitres versatiles de nos écrans divers, jusqu’à ce que nos yeux bouffis de chagrin et de colère, s’apaisent enfin...
Est-ce bien cela que nous suggère de façon imagée le total-repenti du naufrage de l’an denier ?
Faut croire...mais, le dossier de l’Erika n’est pas encore classé. On en est à l’heure des bilans.
20/20
Sur le site du CEDRE, on peut constater que les accidents sont fréquents et les pollutions qui vont avec, malheureusement, également.
La page "Accidents" de ce site accessible à tous, en sélectionne au moins un par an depuis 20 ans, sous le critère général des " accidents qui ont marqué l’histoire de la prévention et de la lutte contre les pollutions accidentelles (et dans un cas intentionnel) des eaux."
20 accidents, un par an ; sans compter les dégazages habituels...
C’est désespérant, il est vrai.
Et l’on se trouve comme à nouveau surpris par le naufrage du Ievoli ?
Surpris ? Et pourquoi donc ? Au fond, cela n’a rien de surprenant... c’est ordinaire... 20 en 20 ans...
A tirer les leçons de l’an dernier, on n’a pas vraiment pu agir, nous dit-on.
Et n’ont pas encore succédé entièrement les actions, nécessaires, indispensables pour éviter la reproduction sysiphienne du traumatisme, de l’accident à chaque grosse tempête, quand un navire dangereux longe nos côtes.
Alors qu’est-ce qui a changé depuis l’Erika ? Qu’est-ce qui peut faire avancer tout ça ?
Une question de sensibilité
C’est sans aucun doute la sensibilité de l’opinion publique qui a modifié le regard sur ce qui semblait être avant l’Erika, une fatalité plus ou moins acceptée.
La marée noire de l’an dernier, massive, scandaleuse comme toutes les marées noires, et porteuses de tant de ressentiments après les échecs successifs pour la contenir ou la faire oublier ; cette marée noire de l’Erika, a été tout autant qu’une catastrophe écologique, économique, à long terme, une occasion, malgré l’adversité, de progrès citoyen.
Est-ce là une affirmation provocatrice ?
En aucun cas.
C’est un constat que l’on peut faire sans risque, en observant l’actuelle gestion de la crise réitérée par l’Ievoli. Car, malgré un démarrage un peu lent de l’information le premier jour, lundi 30 octobre, on a vu très rapidement ces dernières jours s’instaurer de nouvelles coopérations entre acteurs de la société civile, Marine Nationale et gouvernement.
Ce qui a changé depuis l’Erika
Selon Daniel Goulet :’’Depuis l’Erika, l’état d’esprit est resté le même’’
Membre d’une mission d’information sur le naufrage de l’’’Erika’’ auprès du Sénat, Daniel Goulet dénonce ainsi dans France-soir du 01.11, l’état d’esprit des affréteurs et des transporteurs maritimes, "des armateurs et des sociétés de classification’’. Il oublie un point important du contexte : la société civile qui s’organise et entend bien peser sur ses représentants pour qu’une vraie prise en compte politique et juridique de la situation aboutisse.
On apprend même par l’AFP, la création ce mercredi, d’un "collectif regroupant 21 associations, organisations syndicales et partis politiques s’est créé mercredi après-midi à Cherbourg (Manche) pour dénoncer les risques pour l’environnement, les populations, l’économie et la santé provoqués par le naufrage du naviré ’’Ievoli Sun’’".
La société civile dans la crise
Les organes de presse ont rapidement dépêché leurs correspondants sur les lieux du naufrage ; les gens de la Marine sont venus rapidement témoigner dans les journaux télévisés, les citoyens et militants associatifs ont encore plus rapidement réagi, sur le terrain ou l’Internet, mutualisant leurs propres informations, leurs interrogations, leur mécontentement.
Chacun a pu s’exprimer dès les premières heures d’inquiétude, lorsque l’Ievoli a coulé, sans que l’on prenne les défenseurs de l’environnement pour de doux-dingues attardés, comme la première fois.
Si l’on compare avec l’extrême lenteur avec laquelle la couverture médiatique de l’Erika s’est faite (environ 10 jours après les faits, pour le début d’une "émotion "collective ; trois semaines pour une véritable percée des questions de sécurité maritime dans le débat public via les médias entre autres), on peut trouver un premier motif d’espérance malgré l’adversité.
Des partenaires inouïs
Les citoyens, qui étaient aux premières lignes sur le dossier Erika (souvenons-nous des bénévoles), qui se sentaient désemparés, méprisés, devant le silence des autorités et celle de l’affréteur (qui par son omerta, s’était offert à l’époque la plus calamiteuse campagne publicitaire qui soit), sont aujourd’hui considérés comme des interlocuteurs évidents, comme des partenaires parmi d’autres, en charge de la crise.
L’immobilisme et la langue de bois des officiels, ont déjà perdu du terrain, et l’on voit émerger la volonté réelle de coopérer, de faire pression sur une situation globale innacceptable.
La preuve ? Bruno Rebelle, de Greenpeace France est sur le point, mercredi soir, d’embarquer pour surveiller de près des opérations initiées par la Marine Nationale ! Et ce qui nous aurait paru fort inouï en d’autres temps, il est même accueilli à bras ouverts à la suite d’"une demande officielle auprès de la Marine nationale pour participer aux opérations de surveillance de la zone du naufrage " selon l’AFP.
Il restera à voir, comment après l’originale union des premières heures, chacun pourra trouver sa place sur le bateau, et au sein du débat.
Le directeur du CEDRE, Michel Girin, homme fort occupé en plein coeur de la crise, n’hésite pas non plus à répondre, en personne et avec naturel, aux sollicitations des internautes lambda, issus du Radiophare, dont l’auteur de ces lignes.
Et la cerise sur le gâteau (c’est peut-être trop beau, ça cache quelque chose ?),Christian Balmes, le Pdg de Shell, l’affréteur des 4000 tonnes de styrène qui commencent à se déverser dans la mer, revendique lui, spontanément ce que le droit ne lui réclamait plus depuis 1992, sa responsabilité d’affréteur : "Nous sommes prêts à assumer nos responsabilités s’il y en a, à limiter les risques et a récupérer notre cargaison", a-t-il indiqué, selon une dépêche AFP du 01.11.
C’est sans doute le syndrome Total-Erika qui le pousse à anticiper sur une exigence morale et financière exprimée l’an dernier par la société civile tout entière et résumée par le slogan définitif : "Pollueur, payeur."
Prévenir, dissuader, réprimer
Le deuil n’est pas fait du passage désastreux de l’Erika aux abords de nos côtes ; il ne le sera réellement que lorsque seront retrouvés les équilibres fragiles que la pollution a brisés ; équilibres naturels, équilibres économiques. Lorsque les gens de mer, auront enfin retrouvé des conditions sereines d’exercice de leur métier,lorsque l’écosystème européen, notamment celui des oiseaux, pour évoquer le plus symbolique, aura été restauré ;lorsque les habitants du littoral pourront aborder leur vie quotidienne, faite aussi de tourisme, comme si de rien n’était ; lorsqu’enfin, ce naufrage aura concrètement servi à un durcissement des nécessaires mesures de prévention, c’est à-dire de dissuasion et de répression des accidents maritimes.
Froid dans le dos
Plus de 100 000 bateaux transportant éventuellement des produits dangereux dans des conditions encore alétoires, longent le littoral, remontent, chaque année, le flanc de l’Hexagone, oubien descendent vers l’Espagne, sans qu’on puisse vraiment les compter ; ça fait froid dans l’échine - c’est la réalité.
Et le BEA rappelle que les " NAVIRES DE COMMERCE", notamment les "cargos porte-conteneurs" sont souvent surchargés au mépris des conditions de sécurité, gonflés à bloc histoire de profiter un peu plus du voyage. le rapport évoque éles derniers plans de chargement en pontée ont été réalisés avec des boites chargées à plus de 10t alors que le maximum admissible y était fixé à 3,5t."
A qui la faute ?
Pas aux marins, en tous les cas ou pas en bloc ; aux commerciaux peut-être, du moins, c’est ce que dit le BEA, et on est enclin à le croire :
"Ces chargements non conformes, qui semblent avoir été récurrents, ont été faits, à l’insu du bord, mais pas des services techniques et commerciaux des agences qui ont recruté ce fret et ont établi les plans de chargement en étant plus préoccupés du rendement de la ligne que des normes de sécurité. "
Etait-ce le cas du Ievoli ? Apparemment pas. Doté d’une double-coque, ce qui faisait défaut à L’Erika, le bateau n’était peut-être pas sûr (classé 32/50 par la société d’accréditaion italienne RINA, qui avait également évalué l’Erika) mais en tous cas, il n’était pas, loin de là, en surcharge.
La Shell a même précisé à France 2 :" L’Ievoli Sun, construit en Italie en 1989, dispose d’une jauge de 7.200 tonnes. La coque de l’Ievoli était divisée en 16 citernes en acier inox. Tous les navires de la Marvani sont équipés d’une double coque "selon les plus sévères normes de sécurité."
Apparemment, ce sont ces normes, les critères retenus pour laisser aller un bateau à la mer avec un chargement risqué qui sucsitent aujourd’hui la polémique. Sur la sellette, la RINA, donc, qui a évalué et classé l’Ievoli, tout comme l’Erika d’ailleurs, ce pour quoi elle se trouve aujourd’hui mise en examen.
Paroles, paroles, paroles...
Quels sont ces critères ? Voilà, ce qu’on aimerait savoir.
Selon Rina, promoteur et organisateur d’un symposium internationnal à Genève en 1997 sur la sécurité maritime ( les Suisses en seraient-ils hilares
aujourd’hui...) : c’est le facteur humain qui est le plus souvent mis en cause dans la sécurité ou plutôt l’insécurité maritime !
On trouve même sur le site officiel de la société italienne, un petit article dont on peut traduire le titre par : "Le facteur humain dans la sécurité maritime : intégration de l’homme au
bateau"
On est heureux d’y découvrir que
"Selon les statistiques internationnales, 80% des accidents maritimes
ne sont pas dûs à des insuffisances techniques ou structurelles mais à
l’élément humain. Cela ne recouvre pas seulement l’équipage mais aussi
l’ensemble de la structure d’organisation des compagnies maritimes, à la
fois sur terre et en mer."
Cela est bien vu, quand aux disfonctionnements possibles de la RINA elle-même.
La Rina déplore également que l’attention se soit surtout focalisée sur "toutes les ressources utilisables pour
n’établir que des règles de design et de construction des bateaux " au détriment du précieux facteur humain.
"On a réalisé que pour garantir la sécurité de la vie humaine autant que la
protection de l’environnement marin, il était nécessaire de viser une
meilleure intégration homme/navire, ou plutôt une intégration entre le
bateau et l’ensemble de l’organisation humaine qui fait tourner les moyens
techniques."
Et la Rina de proposer de "porter attention non seulement à l’expérience de l’équipage et ses pratiques, mais aussi à l’organisation de
la compagnie, aux standards opérationnels, aux procédures et procédés de
contrôle."
Le facteur humain ? BEA dis-donc...
C’est bien dit, non ?
Dommage, que Rina n’applique pas sa propre théorie...
La RINA plaide "une prise de conscience" "de ce "facteur humain" pour avoir un impact sur "le
pourcentage d’accidents à réduire."
On a curieusement envie de renvoyer aux beaux parleurs de la RINA, cet extrait accablant du rapport du BEA, où sont évoqués des bateaux, "qui continuaient à être dotés de certificats de sécurité en règle délivrés par des sociétés de classification et donc exploités “en confiance”. "
Car malgré les certificats alloués à ces navires, poursuit le BEA :
"Leur état était[...] tel que la machine ne donnait plus la puissance nécessaire, ou que la coque ou la structure manifestaient de réelles faiblesses sur des zones déjà réparées, et/ou que les panneaux de cale ne présentaient pas l’étanchéité requise, et/ou encore que les circuits de ballastage n’avaient plus l’intégrité nécessaire."
La conclusion du BEA semble avoir été faite pour le naufrage du Ievoli Sun, mais elle ne fait qu’analyser des situtaions malheureusement établies, et antérieures :
"Il en est résulté des ruptures de cloisons internes ou des voies d’eau se concluant par des gîtes excessives entraînant l’abandon du navire, voire son chavirement et sa perte totale ou encore des échouements catastrophiques et/ou de graves pollutions. "
Un pour tous...
Tous pour un !
C’est la devise des mousquetaires, cela pourrait être celle des populations et des autorités européennes confrontées aux accidents maritimes.
Pour l’heure, la solidarité européenne, ne semble pas avoir fonctionné à plein pot. Après l’Erika, la France, touchée comme on sait, a formulé, en février 2000, des propositions destinées à renforcer la sécurité au niveau local et plus largement international, dans le cadre de l’Union. Aujourd’hui, le Ministre Gayssot déplore ne pas avoir été complètement suivi par ses collègues européens. La présidence de la France, semble bien courte, surtout en ces temps de bilans du désastre de l’Erika, pour que soient déjà mises en place toutes les mesures nécessaires à la prévention optimale des dangers de pollution via la mer.
Il est important que les populations civiles des états membres fassent pression sur leurs gouvernements, sur leurs représentants pour que des engagements concrets, globaux, dissuasifs, puissent enfin apporter au continent une sécurité comparable à celle que les américains ont su imposer dans leurs eaux territoriales.
Le grand défi de la coopération internationale est lancé en Europe ; à travers le test de la coopération de crise anglo-normande, face au naufrage de l’Ievoli ; mais aussi plus largement, dans le cadre de la construction d’une véritable Union, celle des citoyens soucieux de leurs espaces publics, maritimes autant que terrestres.
Car ainsi que le déplore Greenpeace France dans son communiqué du 30 octobre dernier :
" Tant qu’une législation extrêmement rigoureuse ne sera pas adoptée pour l’ensemble de l’Europe, les côtes françaises resteront à la merci de nouvelles catastrophes."
Voir le dossier Ievoli Sun sur RadioPhare