Vorass est un bon chien, un chien fidèle et loyal. Un de ceux, rottweiller ou pitt, qui,
sur ordre, vous chope au genou et vous le lâche plus. Et tranquillement, méthodiquement,
vous ronge la rotule. Vous broie l’os en une multitude de petits morceaux, tandis que vous vous débattez par terre en appelant sos-médecins. Et arrête, sur ordre encore, pour venir s’asseoir au pied de son maître. Pour se faire caresser le sommet du crâne. En attendant sagement, vous fixant des yeux, l’ordre son maître. L’ordre de vous attaquer au visage.
En fait, Vorass est bon gars, un gars fidèle et loyal. Et pour prouver sa fidélité et sa loyauté, c’est très tôt tous les matins qu’il s’arrache de sa paillasse en paille de fer pour nourrir sa horde de Scriptokooki. Des bestiaux affamés, hargneux, bouffeur de bit, suceur de numérikadéén. Enfermés qu’ils sont dans leur boite métallique. Le gars Vorass soulève le petit cube noir percé de micro-trous d’aération et le porte prés de son ordimatos. Il le connecte à sa bécane par un câblusb. Pour nourrir les Scriptokookis, il les télécharge par son chronomodulateur. Les bestioles fusent dans les boyaux de Babelouèbe à la vitesse de l’électron. Pour planter leurs crocs dans la masse des Hardisks des Babelouèbiens. Il est content, le gardien des bestioles, c’est lui qui aiguise à la lime les dents de ses suceurs. La chasse sera bonne, aujourd’hui. Comme tous les jours.
Le gars Vorass, il est aussi sentimental qu’un parpaing. Dont il partage la vie sexuelle,
par ailleurs. Comme les Christimoines, il a fait voeu d’obéissance et de chasteté. Mais pas
de pauvreté. Ca non, plutôt crever. Eh, c’est que c’est du taf de s’occuper de ses petites
vermines. Les ScriptoKookis. Ca demande du doigté, de la finesse. De la rigueur et de la méthode.
Et le gardien des micro-bestiaux est bien payé par son maître. C’est pour ça qu’il reste
dans l’obscurité de sa cambuse, éclairé seulement par l’écran de son ordimatos. Il a besoin
d’eurokoopek, Vorass, pour générer ses électrovirus, les modeler, s’en occuper. Il les balance
de la même manière dans Babelouèbe. Mais ces saletés là, ça chasse pas, ça ramène que dalle.
Non, ça recherche, ça rampe, ça bloque, ça se propage, ça se répand, ça détruit, ça pourrit,
ça annihile. C’est ça, sa récréation à Vorass. C’est un gars qui, malgré tout, aime bien rigoler.
C’est un exécuteur. Alors, il exécute, Vorass. Comme son granpa qui aimait à ce point les gens,
qu’il tenait à savoir, à chaque instant, où ils étaient. Il notait leur nom et leur adresse sur
des petites cartofiches, pour pas les oublier. Leur race. Leur religion. Leur opinion politique.
Il les aimait comme des vrais amis, tous ces gens. Et entre amis, on ne se cache rien. C’était
quelqu’un avec de la méthode, le granpa de Vorass. On classait, on triait à cette époque.
Un peu comme nao avec les néotechniquologies. Alors, sans état d’âme, Vorass, il les chope
avec sa horde de ScriptoKooki, les numérikadééns des Babelouèbiens. Et il les envoie à
son maître pour qu’il puisse les stocker.
Et Kaiser Bazdon, son maître, il les stocke. Ca oui. Ses tableurs sont gros et gras.
Ses listings, ronds et ventrus. Plus ils se remplissent, plus ils prennent de la valeur.
Et il lui en faut toujours plus, toujours plus. C’est pour ça qu’il fait trimer quotidiennement
des gars comme Vorass. Pour qu’il lui transmette sa masse journalière d’infoperso. A l’aide
de Scritokookis, de logiciels aspirateurs, de formulaires piégés. Et lui, Bazdon, y bosse
pour tout le Mondotour. Certains portiers de Babelouèbe. Certains sitaforpotentiels.
Certaines administres. Le Caïd et ses nervis. La PsykozMachine. Bref, pour tous ceux qui payent
pour ses tablolistings. Pour tous ceux qui, comme lui, pensent que les Babelouèbiens, c’est rien que des numéros et des noms. Des données binaires et rien d’autre. Et que c’est normal de surveiller toutes leurs électropensées, leurs électrodéplacements.
Et que tout ça, ça vaut des Eurokoopek. On raconte même que Kaiser en a massacré des tronches de ouinner à coups de caterpilon pour récupérer leurs listings. Aidé par son potau, Néomarket Crugger. Mais vous savez comment est le populo. Méchant et Paranoïde.
Oh, vous pouvez crapahuter parmi les boyaux de Babelouèbe. Essayer de vous cacherau détour d’un sitaforpotentiel, au coin de votre chronomodulateur.
Il vous retrouvera, lui et ses hordes de ScriptoKooki. Fatalement, ils vous auront. Et ils vous suceront le numérikadéén jusqu’au dernier bit.
Aujourd’hui, encore, sa chasse sera bonne.