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Et là, le voyage dans l’au-delà, j’en avais gagné la moitié du billet. Ah, je l’ai vue la lumière
blanche. Et pas qu’un peu. Aveuglé que j’étais. Soufflé même. Pour bien comprendre le phénomène,
il faut penser au mélange d’une baudruche qui pète et à une de ces explosions pyrotechniques qui
sont incluses par contrat dans les scénars de films zétazuniens. Une baudruche nytroglicérinée et
de la barbaque. Parce que tout ce qui est son intérieur au MaoussCostaud vous gicle à l’extérieur.
Un vindieu de dégât colatéral que c’était. Max Pétrois : une mort particulière pour une fosse
commune.
Pendant un temps, l’impression étrange de me noyer dans le vide. Je décrivais des figures libres
dans les airs. Voire carrément anarchiques. France : One poïnt. Compression de mes
neurones sur le mur du fond pour stopper ma chute horizontale. Chtok. J’ai jamais mieux compris,
à ce moment précis, ce qu’était une brique réfractaire. A trois mètres du sol, j’ai
commencé à glisser le long du mur. C’est ce que j’avais de mieux à faire. Ce con de phénomène
de pesanteur me choppe par le fond de mon fut. Et finalement mon corps a atteint le sol plus
rapidement que prévu. Le dos bien à plat dans le sol poussièreux. Un bruit mou et des craquements
divers. Heureusement que je fais du body-bouddhisme pour rester zen quand, moi aussi, je fais
des tâches sur les murs. Le reste de ma cervelle passée au mixer part en vrille. Je me rends
vaguement compte que j’ai perdu mon flingomatik. Et ma connaissance aussi.
Une flûte de Moat et Chaudron ?
Me demande un type en blazer bleu penché sur moi.
L’environnement à changé. Le plafond est blanc. Je suis allongé sur un lit.
Je panique un peu en me rendant compte que je ne peux plus bouger mon bras gauche.
Calmez vous, je me suis permis quelques bandages sur votre personne.
Continue le type en me posant une main sur l’épaule.
Je me redresse sur le lit en ferraille. Ma vue reste trouble.
Je prends conscience des bandages autour de ma tête et de mon bras en écharpe.
D’une boule de coton dans la narine gauche.
Vous étiez dans un piteux état, mon pauvre ami, lorsque je vous ai trouvé.
Le gaillard me tend toujours sa flûte de champagne. Je la saisis en toussant.
Je préfère la poser sur la petite tablette à côté. Vu qu’en ce moment, la cavalerie sonne la charge dans mon crâne.
Qui êtes vous ? Je demande.
Pardon, oui, je ne me suis pas présenté.
Il saisit un siège et se rapproche du lit pour s’y asseoir.
Marc-Antoine de la Tenardière. Président Directeur Général International de la société
Pensée et Rentabilité. Nous organisons des forums capitalistes et notamment le F.U.C.K.,
le Forum Unilatéral des Chefs du Kapital.
Celui qui a lieu en Helvétie au moment des vacances de neige ?
Oui, c’est cela, vous connaissez. Malheureusement, je supporte très mal la neige
et je skie comme une Nerruti pleine peau.
?? comme une savate ??
Oui, pardon, c’est vrai, nous n’utilisons pas le même dialecte, j’oubliais.
Mais ... Expliquez moi, Monsieur de la Pétaudière, comment ça se fait que vous travaillez dans ce trou à rat ?
Par mesure de sécurité, tout simplement. C’est également la raison de la mine antiperso humaine
à l’entrée. D’ailleurs, c’est amusant, figurez-vous que je les recrute au pavillon des dépressifs
du psycho-pénitencier. Il ne me coûte pas un eurokoopek. Vous savez les forums que nous organisons donnent souvent lieu à des débordements populaires. Des vandales. Mais surtout des gens qui ne comprennent pas que le marché est la seule raison d’être sur notre planète.
Mmmh, n’exagérons rien. La litanie que j’avais entendue avant de passer par le mur, c’était vous ?
Oui, c’est mon moyen de mémoriser les grandes thématiques de conférences. Nous démontrons que l’argent régit tout dans la vie. Nous abordons tous les phénomènes de société. L’économie est partout dans la société. Elle en est la quintessence.
Donc, vos forums servent à donner à l’argent un sens, à défaut d’une odeur.
Oui, tout à fait et accessoirement à m’enrichir personnellement. Ricana-t-il. Vous, par exemple,
je crois comprendre que vous n’appréciez guère ma vision des choses. Mais, réflechissez. Au fond de vous. Je suis sûr que vous m’enviez. C’est ça notre force. Avoir insidieusement réussi à définir une seule voie : celle de l’argent. Un seul but : En avoir le maximum.
Le problème c’est la répartition des profits. Ils sont de plus en plus vertigineux et occasionnent des décalages sociaux de plus en plus criards. Et également entre les pays riches et ceux en voie de développement.
Ah, l’argument récurrent. Tout d’abord, les pays en voie de développement le resteront. Vous le savez. Et entre nous, elle vous préoccupe tant que ça la vie du petit noir qui vous permet d’avoir un produit bon marché ? Mmh ? Vous croyez que ce qui motivent les jeunes gens qui survivent dans des Z.E.P. - les Zones d’Expression de la Pauvreté - ce sont une R5 d’occasion et une paire de bottes en caoutchouc ? Non, bien sur, c’est une paire de Mike ou d’Adadas et une BMV. Une Nercedes pour les plus ambitieux. Hors de la richesse, point de salut.
Et vous pensez vraiment que le capital est la clé de tout ? Que le profit justifie tout ? Que c’est le moteur des relations sociales ?
Les relations sociales ? Mais mon pauvre ami, il n’y a que des relations commerciales qui vaillent dans ce bas monde. Et arrêtez de vouloir me faire croire que vous découvrez que la nature du commerce c’est d’être mondiale et celle des profits d’être exponentielle.
Vous cautionnez donc toutes les pseudo-idées défendues par les chefs d’entreprises dans vos forums ? Que l’humain n’est qu’un paramètre du système ? Vous croyez que c’est le seul avenir possible ?
Oh, vous savez, moi, je suis dans le commerce ; dit-il en se claquant les cuisses.
Il se lève en consultant sa rolatimex.
Maintenant, excusez-moi mais j’ai un conseil d’administration.
Il disparut de la pièce, une sacoche kermés à la main.
Echaudé par la conversation. Un boulet à la place de la cervelle, Je me mets à rêvasser à la C-O-M . Aux Bigchiefs d’entreprises. Aux technopérateurs. Le Caïd qui propose aux Mondotouriens et aux Babelouèbiens de gonfler leur retraite en achetant
de l’Orange. Les petits porteurs n’y verront que du bleu. Faut bien gratter de la thune pour payer l’uémtéés. On va pas se mettre à vendre de la narcoïne. On est honnête, nous, môssieur. On a not’ dope à nous. Saine et en vente libre. Le papier à entête qu’on leur fourgue, c’est de la première bourre. Pas comme les petits nouveaux de la place qui vous deale du papier à en tête et de la stokoption coupé de tours de table foireux et mal fusionné. Le nombre de descente de trip qui y a eu. On a même vu des actionnaires qui devenaient aveugles, c’est vous dire. Not’came, c’est dla avec garantie du gouv.fr. Et le Caïd monte sur des estrades à l’heure du journal tévéanimé. Et comme les autres bonimenteurs, il s’aide pour ça de films
de propagande en technicolor bourrés de signifiants. Des jeunes prépubéres batifolants, insouciants, innocents. Mais portant déjà la marque du Caïd. La marque Orange. Il a piqué l’idée à son poteau Moriarti. Ropaweb, lui, s’est fait introduire le capital pour se recadrer sur les cablopérators plutôt que sur les sitaforpotentiels. Là au moins, ça rapporte.
Tandis que Vivenzavi se retire du capital d’un Zétazunien-en-ligne. Enfin celui installé dans not’ coin de planète. Comme ça y pourra peinard, tout seul comme un grand vendre des entrées pour Babelouèbe.
Amazon lecter, lui, y l’envoie ses nettoyeurs dans les bureaux de sa boutique. Armés de Licenciomatik à balles dum-dum. Spécialement nominatives avec AR. Il est plein d’attention ce Lecter. Faut être plus rentable, qu’il leur a dit. Résultat : Un bain de sang. Plus d’un millier
de quidams sur le carreau. Salauds d’employés. Il leur faut un salaire et des avantages sociaux.
Y comprennent rien à la néoconomie. Ah, Amazon, question littérature, c’est plus le fleuve noir
que la Pleïade, je vous le dis. Pour Neomarket Crugger, c’est la routine. Presque l’usine. Il
passe son temps à astiquer son caterpilon. Et tous les samedis soir, y va au baston. Et tous les
samedis soir, y revient avec sa poignée de scalps de ouinners. Et y se replonge dans son livre de
chevet. Ted Bundy : sa vie, son oeuvre. Quelques uns, du fond de la ruelle où ils agonisaient,
les quatres membres brisés, ont des soubresauts. Et ils réussissent à ramper jusqu’à un usurier.
La néoconomie, c’est souvent fusion, effusion, perfusion.
Le froid me sort de ma léthargie. L’atmosphére est brutalement oppressante. Glaciale et métallicoupante. J’essaie de comprendre. Rien n’a changé pourtant.
J’embrasse la pièce du regard. Ca ne me saute pas aux yeux du premier coup. Le phone. Le phone et le chronomudulateur à côté de l’ordimatos sur le bureau. Intacts. Plus de poussière grise. Le phénomène de transition millénariste a pris fin. Ce flou artistique technologique est terminé. Les communications rétablies. Enfin, celles entre les machines, en tout cas. Cette ambiance étrange, angoissante et cruelle comme les yeux effrayés d’un enfant dans les phares d’une autoroul chauffarde, va sûrement durer le temps que tous les appareils reprennent du service. Je comprend la situation au moment où j’entend du bruit dehors.
Les trideubeulious sont là. Ils sont revenus. Ces biomorphoïdes bâtardés reviennent toujours lorqu’il
y a des bugs. Déjà en 2000, on avait annoncé leur venue. Mais bon, c’était juste une vaste opération
marketingue. Je sors de la pièce et me replonge dans la pénombre du couloir poussiéreux. Loin de moi l’idée de jouer au héros. Mon plan c’est plutôt de foncer droit chez moi et me barriquader le temps que ces bestiaux bouffent à leur faim et disparaissent.
Quelque chose a bougé, on dirait. Une ombre disparait derrière un mur. Celui là même que j’avais
voulu défoncer à coup de boule. Je chope dans du mou. Je découvre Monsieur de la Pinardière. Enfin, ce qu’il en reste. Il va avoir un petit retard à son conseil d’administration, le PDG. En discutant avec lui, je me demandais si ce mec avait un coeur. Là, je suis sûr que non. Enfin, il a pu rien d’autre qui faisait son intérieur, le bizenessman.
Mécaniquement, je me baisse. Je lui fouille la poche intérieur de son blazer et lui pique sa magnétocard GoldMaster. C’est toujours ça que les boches n’auront pas, comme disait ma
Méregrand. Je me reléve et me retrouve nez à nez avec cette sale race de bestiole génétiquement
modifiée. Elle a une tête oblongue et sans regard. Une mâchoire baveuse de carnassier sournois. Oh,
il y a comme une deuxième couche à l’intérieur. Du fond de sa gueule jaillit une espèce de gosier gluant armé de quenottes-scalpel. Il s’approche comme si il voulait m’embrasser sur la bouche. En y mettant la langue, le salopard. Je détourne la tête à cause de l’haleine. La sueur de tout mon corps s’est libérée et évaporée en un temps record. Je me vois finir en Macburger. Je regarde par terre. Entre les pattes du bestiau qui me renifle, mon flingomatik. Une situation à l’issue binaire comme
je les aime.
[suite au prochain épisode]