On se souvient que l’année dernière, le Secrétariat d’Etat
à l’Economie Solidaire (SEES pour les intimes) avait
fait oeuvre de publicité en lançant son appel à projets
« Dynamiques Solidaires ». Celui-ci, doté d’une enveloppe
financière de 33 millions de francs, devait servir à
financer plusieurs centaines de projets dans le secteur
habituellement délaissé de l’économie solidaire.
A cet appel, plusieurs dizaines de projets liés à
l’Internet et aux nouvelles technologies avaient répondu
présent, afin de faire valoir les possibilités
d’utilisation de ces technologies dans les domaines
tous aussi alternatifs les uns que les autres, que
sont la diffusion des connaissances via le Réseau, l’hébergement
Web collaboratif, l’accès Internet associatif, etc.
Las ! Malgré les promesses, déclarations de bonnes
intentions du sieur Guy Hascoüet (le dit secrétaire
d’Etat, pour ceux qui n’étaient pas au courant),
relayées par son
attachée « Nouvelles Technologies » Véronique Kleck,
il appert que parmi tous ces projets, seule une
poignée furent retenus, et on ne peut pas dire que
ce fut sur le critère de l’audace propositionnelle :
seulement de bien classiques extensions électroniques
d’actions déjà existantes dans le « monde réel ».
En clair : le site Web de l’association des parents
de myopathes orphelins d’Ille-et-Vilaine, plutôt
que de novateurs rassemblements de forces hétéroclites
pour la constitution de (présumées) véritables
alternatives au Net marchand.
Ce que le Secrétariat d’Etat n’a pas anticipé, ou pas
assez, c’est le remous provoqué par cette démission
aux objectifs partout proclamés de soutien à
l’Innovation Solidaire (tm) et à l’Imagination Alternative (re-tm).
Certes, il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau,
mais l’on sait que c’est souvent dans les verres
d’eau que se font et se défont les carrières politiques.
Surtout qu’il s’agit, en la matière, d’un Secrétariat
d’Etat tout neuf, tout frêle (quelques dizaines de millions
de francs de budget, rappelons-le), et passablement incongru
dans un gouvernement socialiste marqué naturellement,
pourrait-on dire, par le
culte de la productivité et le soutien aux grandes compagnies.
Or non seulement les « indépendants » ne sont pas contents,
mais certains, peut-être moins « alternatifs » que d’autres,
bénéficient d’une médiatisation importante. Témoin les
remuants Ouvaton, qui tout à leur projet de Multimania
« coopératif » ou de Banque Populaire (une autre coopérative
[1])
de l’hébergement Web, brassent
régulièrement du vent dans les médias en attendant
l’ouverture du service annoncé à grands cris.
Qui dit médiatisation dit force de frappe potentiellement
dangereuse anti-Hascouët, et donc risque rapide de
mise au placard du Vert pas assez à l’écoute
des croisés du Net indé (alors que le
socialiste Bloche, par exemple, sait paraît-il si
bien prendre leur défense...).
Voilà donc notre Secrétaire d’Etat, soucieux de son image
et de son siège, qui convie, le vendredi 2 mars 2001,
tout ou partie des projets recalés et liés aux
nouvelles technologies, à une « rencontre » dans ses locaux.
Dont voici le programme tel que précisé
dans la missive envoyée par le dit Secrétariat aux dits projets :
«
PROGRAMME
« Dynamiques solidaires et internet » - rencontre du 2 mars 2001
Ministère de l’emploi et de la solidarité - 8 avenue de Ségur - Paris 7 ème
9h30 Accueil
café de bienvenue
10h Ouverture
par Guy Hascoët, secrétaire d’Etat à l’économie solidaire
10h15 Présentation de la journée
par Véronique Kleck, conseillère technique au secrétariat d’Etat à
l’économie solidaire
10h30 Ateliers
Atelier n°1
Etat et acteurs de l’internet solidaire : quel partenariat ?
L’objet de l’atelier est de faire remonter les propositions et de
débattre de ces orientations, premier pas vers la définition collective
d’une politique. Face aux enjeux sociaux, culturels, économiques et
politiques que soulèvent les tic, quelles contributions respectives pour
la société organisée et pour de l’Etat ? quels besoins, quelles
priorités ? quels financements ?
Atelier n°2
Acteurs de l’Internet solidaire en réseaux :
L’objet de l’atelier est de réfléchir collectivement à une mise en
réseau de toute la diversité des acteurs de l’internet solidaire. Cela
passe pas la création et le développement d’outils spécifiques (base de
données, cartographie, portail.) mais aussi, et peut être surtout, pas
une culture de la mutualisation. L’appel à projets à révéler un certain
nombre de projets très similaires. Dès lors, comment ces acteurs peuvent
ils coopérer pour mettre en ouvre un projet commun ? Enfin, toutes ces
initiatives sont porteuses d’un sens politique fort. Comment donner
toute sa visibilité et toute sa force aux valeurs, principes, pratiques
et prises de position portés par ces acteurs ?
12h30 Déjeuner sur place
14h00 Synthèse des contributions des ateliers et débat
16h30 Clôture
».
A la lecture de ce programme, et nonobstant toute la bonne volonté
que nous prêtons bien naturellement à nos hérauts de l’économie solidaire,
l’on a tout de même tendance à se demander à quoi, au juste, va pouvoir
servir cette journée - du point de vue des invités, s’entend. Car,
apprend-on dans la même missive que celle d’où est tirée
le sus-cité programme : « Le jour de la rencontre, n’hésitez pas à apporter de l’information sur
vos activités et structures. Une table sera réservée à la mise à
disposition de votre documentation »... S’agit-il d’une fête de quartier ?
Parlons-nous bien de projets susceptibles d’influer durablement
(tels Altern, tels Gandi) et le paysage de l’Internet francophone
et la culture de ses utilisateurs ?
Cette précision recoupée avec le thème du deuxième atelier nous
éclaire un peu plus sur le rôle que prétend jouer à cette
occasion le Secrétariat d’Etat : celui d’un simple intermédiaire,
d’un entremetteur entre les différents projets, afin de faire
ressortir des dynamiques communes à ces derniers. Passe encore, mais
il faut pour cela avoir une vision à la fois globale et précise
du sujet. Vision dont a on du mal à croire que le Secrétariat
d’Etat soit capable, si on considère justement les calamiteux résultats de
l’appel à projets qui est à la source de cette opération
« Grand Pardon ».
D’autant plus qu’une initiative comme Gitoyen prouve si
besoin était que des acteurs déterminés quoique de natures
fort diverses (un registrar éthique sous forme de SARL [2],
un hébergeur associatif [3],
un futur fournisseur d’accès ADSL à prix coûtant [4],
une « start-up solidaire » [5]...)
peuvent se réunir pour lancer un projet ambitieux et novateur
sans entremise ni parrainage - ni lauriers - étatiques.
D’autant plus qu’il se murmure cependant avec insistance que
certains projets vont finalement faire l’objet d’un financement
décidé en toute discrétion ; double jeu dont l’inévitable révélation
ne manquera pas, à coup sûr, de renforcer la « mise en réseau »
et la « mutualisation » avec leurs compères moins chanceux !
En bref, gageons que le Secrétariat d’Etat devra déployer des
trésors d’habileté et de diplomatie s’il ne veut pas que la
cohorte hétéroclite mais pour l’instant peu compromise
des Ouvaton, l’Autre Net, Globenet, et tutti quanti, ne se
ligue pour lui renvoyer un dangereux missile en plein visage.