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Révélation exclusive

L’Internet solidaire expliqué à ma fille

Où l’on apprend que M. Guy Hascoët n’existe pas
par Marc Laimé

Ma chère fille,

Ainsi donc vous grandissez en un siècle dans lequel les épîtres que notre lointaine ancêtre faisait jadis tenir en malle-poste et en trois jours de Paris à Nemours, sont désormais tout autant destinées au comte de la Scouette, dont je voudrais ici vous narrer les très grands périls qui le menacent, tant sa charge à lui conférée par notre monarque suscite la jalousie d’autres grands seigneurs, eux aussi fort bien introduits à la cour. Et vous devrez tout autant considérer que les requêtes dont s’apprêtent à l’accabler les porte-paroles d’un tiers-état fort occupés à quémander ses subsides ne vont pas manquer de surcroît de le plonger dans l’embarras. Voire à ruiner sa santé, comme les radieuses perspectives d’avenir que semblaient lui ménager son accession à la cour.

Je ne doute pas, ma chère fille et mon cher comte de la Scouette, que l’envoi ci-après, dans lequel je me réfère à des évènements et des pratiques, hier encore à cent lieues de notre entendement, vous sont désormais coutumiers. Tant vous n’ignorez pas qu’une longue pratique du service de l’Etat nous a rendus familiers ses plus surprenants arcanes. Ce qui nous a permis jusqu’à ce jour de préserver le rang de nos familles. Et les avantages y afférents. Ne m’en veuillez donc pas si d’inattendues ruptures de ton adornent cette missive. Elles n’interviennent qu’aux fins de vous faciliter la compréhension d’une fort ténébreuse affaire. Dont l’importance qu’elle revêt d’ores et déjà justifie que notre cousin le marquis de Zablocki ait lui aussi il y a peu adressé une épître au comte de la Scouette.

Adoncques, notre cousin le marquis de Zablocki a toujours témoigné d’un confondant optimisme. Ce qui confère tout son charme à sa personne, dont nous ne louerons jamais assez par ailleurs la clairvoyance et la sagesse.

Toutefois, ma chère fille, cher comte et cher marquis, souffrez donc que je vous expose ce qui suit.

M. Guy Hascoët, secrétaire d’Etat à l’économie solidaire, nommé à ce poste il y a quelques mois par M. Lionel Jospin, Premier ministre, n’existe tout bonnement pas.

La nomination de M. Guy Hascoët à cette charge doit tout aux arbitrages auxquels procède M. le Premier ministre, confronté à la rude exigence de conserver en bon ordre de marche jusqu’à l’échéance de l’élection présidentielle la fragile machine de guerre désormais connue de notre bon peuple sous l’appellation de « majorité plurielle ». Ladite « majorité plurielle », quoique unanime dans l’exercice de sa mission première, à savoir la gestion apaisée des intérêts des grands prédateurs qui se moquent comme de leur dernière chemise du rôle régalien de l’Etat, du bien commun, de l’exercice des libertés démocratiques et autres billevesées, ladite « majorité plurielle » donc n’en est pas moins agitée par la légitime préoccupation de chacune de ses composantes de s’assurer la conquête des espaces politiques les plus étendus. Et des avantages y afférents : positions de pouvoir, contrôle de l’opinion, édification de rapports de force nécessairement conflictuels, constitution de clientèles, etc.

La nomination de M. Guy Hascoët et la création d’un très incertain « Secrétariat d’état à l’économie solidaire » ne doivent donc rien à un sincère souci de promouvoir les valeurs fondamentales de solidarité, réparation du lien social, facilitation de l’émergence d’initiatives citoyennes, et autres billevesées dont la lecture du récent ouvrage prétendument signé par M. Jean-Marie Messier convaincra tout lecteur un tant soit peu attentif que ne pouvant d’aucune manière conférer à un actionnaire un taux de « return on equity » supérieur à 15%, ils méritent d’être pris au sérieux plus d’une seconde.

Il convient à ce stade de s’arrêter un instant sur l’irrésistible déliquescence qui a conduit l’actuel gouvernement à renoncer à toute illusion de pouvoir exercer une quelconque influence sur le devenir de ce qu’il est désormais convenu de nommer la « Société de l’Information. » Tout observateur attentif n’aura pas manqué de noter qu’aussi longtemps que M. Dominique Strauss- Kahn régnait à Bercy, le mot d’ordre du « Laisser faire, laisser aller » l’aura très aisément emporté sur toute autre considération. En l’espèce les plus abominables atteintes aux libertés publiques, à la morale démocratique, à la plus élémentaire équité, se justifiaient pleinement au motif que « La France ne devait rien faire qui puisse entraver l’essor du commerce électronique ». Et l’avenir radieux que celui-ci promettait à nos entreprises hexagonales, dans un espace virtuel et mondial pavoisé aux couleurs yankees.

D’où les lamentables contorsions du ministère de la Culture sur ce dossier. D’où le « non-choix » d’un dispositif prétendument « interministériel », réputé procéder à des arbitrages entre l’ensemble des ministères et institutions publiques concernés. D’où la lassitude, bien compréhensible, de messieurs Jean-Noël Tronc, Patrick Bloche et Christian Paul, trio de presque quadragénaires ambitieux qui ne cessent de se lamenter aujourd’hui sur l’incompréhensible aveuglement de M. Lionel Jospin, qui n’a décidément pas compris que le dossier de ladite « Société de l’Information » pouvait constituer une arme décisive dans la perspective de la prochaine élection présidentielle.

Occurence que l’actuel Président de la République, sa fille, et leurs divers commensaux du Chateau ont pour leur part parfaitement bien compris. A preuve la régularité avec laquelle ils convient à leur table des représentants haut en couleurs de ces nouvelles « grandes compagnies » qui édifient des fortunes, fort mal acquises, en s’appropriant l’Internet à d’épouvantables et fort cupides fins.

Il convient donc d’inscrire la nomination de M. Guy Hascoët dans ce contexte qui mériterait à lui seul de vastes développements.

Mais venons en au fait. L’affirmation selon laquelle « M. Guy Hascoët n’existe tout bonnement pas » a pu vous choquer. Veuillez néanmoins considérer ceci : le secrétariat d’Etat de notre ami aux trois fronts n’est pas un secrétariat d’Etat « de plein exercice », doté notamment d’une quelconque autonomie financière.

On se souvient des calamiteuses pantalonnades qui ont accompagné l’installation en ses meubles de notre ami La Scouette. Tant la duchesse Ségolène exprimait sa fureur de devoir s’accommoder d’une fort peu seyante baraque Algeco sise aux fins fonds du 15ème arrondissement...

Il apparait donc que notre fameux « Secrétariat d’état » revêt tous les aspects d’une très incertaine légation en territoire ennemi, potentiellement sujette à toutes les mesures de rétorsion que ne vont pas manquer d’exercer à son égard son autorité de tutelle, l’éléphantesque ministère des Affaires sociales, et surtout, plus redoutable encore, les monstres de Bercy. Dont l’actuel locataire est par ailleurs en butte aux attaques sournoises de ses petits camarades du parti socialiste, qui passent le plus clair de leur temps depuis cet été à préparer tous les chausse-trappes imaginables, et même les plus inimaginables, à seule fin de précipiter M. Laurent Fabius à bas de son piédestal. Ceci quand bien même il n’arbore plus ses époustouflantes cravates. Ce qui ne saurait en aucun cas être considéré comme une circonstance atténuante. Et pourrait même constituer un grave élément à charge, si l’on se souvient des ennuis qu’avait pu occasionner à ce grand amateur d’Aston-Martin les déambulations ostentatoires qu’il effectuait au début des années quatre-vingt dans la deux-chevaux de son épouse.

Il appert donc, ceci dit, que M. Guy Hascoët, fort occupé, et de manière tout à fait compréhensible, à tenter de conquérir quelques arpents des « terra incognita » de la Société de l’Information, vient d’annoncer à cet effet, comme nous l’avons mentionné ici même il y a peu, un vaste projet de soutien à l’émergence d’un « Internet solidaire et non marchand ». Nous avons déjà eu l’occasion de dire il y a peu, le marquis de Zablocki et nous-mêmes, tout le bien qu’ il convenait d’en penser.

Mais revenons aujourd’hui à l’annonce de la constitution d’un « Fonds de l’Internet solidaire », auprès duquel ses vaillants défenseurs peuvent déposer, avant le 10 octobre prochain, un dossier dont l’excellence, et un examen amical, peuvent laisse augurer qu’il leur permettra d’obtenir quelques subsides auprès dudit Fonds.

Notons au préalable que notre ami la Scouette n’a pas encore l’ombre d’une idée de la provenance effective des 50 millions de francs, manne dont il nous annonçait il y a peu qu’elle irriguerait les projets « solidaires » que cette annonce n’allait pas manquer de voir fleurir.

Peu importe au demeurant à ce stade. On peut augurer que nombre de réunions interministérielles, une pluie d’amendements à la loi de Finances, voire de très subtiles astuces comptables que réprouvent d’ores et déjà par anticipation - c’est leur métier -, les magistrats de la Cour des Comptes, soustraient à une quelconque cagnotte lesdits 50 millions de francs.

L’hypothèse avancée par notre excellent ami la Scouette, selon laquelle on pourrait tabler pour financer notre Fonds sur une taxe sur les noms de domaine ou sur les échanges commerciaux électroniques demeurant en l’état une habile manifestation d’un « positionnement » susceptible de rallier à son étendard les aficionados d’Attac et de la taxe Tobin. Habileté qui ne manquera pas de valoir à notre ami la Scouette une « standing ovation » au prochain congrès des Verts.

Toutefois, et en ayant bien à l’esprit la modicité de la somme supposée abonder ledit Fonds, (je ne suis pas loin pour ma part d’y voir une offense préméditée à la grandeur de la nation, fomentée par les abominables chevaux légers de la mondialisation), et quelle que soit la provenance future de ladite somme, explorons un instant les entrailles de la machinerie qui va procéder à l’attribution des subsides précités.

Ainsi que nous l’avancions audacieusement, M. Guy Hascoët n’existe pas. Entendons-nous : nous subodorons par là que la gestion de l’examen des dossiers présentés, avant le 10 octobre prochain, aux fins d’être éligibles dans un avenir encore indéterminé auprès du fameux Fonds, va lui échapper à peu près totalement.

Dans un premier temps il est à redouter fortement que ce ne soient les fonctionnaires spécialisés d’un service du ministère des Affaires sociales, sis aux alentours de la tour Montparnasse, à qui échoient l’instruction de nos dossiers. Or il appert que nos distingués fonctionnaires précités, qui tranchent habituellement de l’opportunité d’accorder une subvention à toute structure oeuvrant à la préservation du lien social, fort délité de nos jours comme chacun sait - nous sommes au ministère des Affaires sociales ne l’oublions pas -, constituent une terrifiante camarilla, invraisemblable conjugaison de héros de Courteline et de cost-killers d’Arthur Andersen.

Le travail de nos distingués fonctionnaires précités consiste en effet à traquer impitoyablement la moindre erreur de calcul figurant dans le bilan en six exemplaires de la dernière année d’activité de toute association oeuvrant dans le secteur social, et quémandant une subvention auprès dudit ministère. Vigilance qui sera d’autant plus pointilleuse si ladite association ne témoigne pas d’un conformisme absolu à l’égard de la toute dernière version du « socialement correct », impulsée par le ministre des Affaires sociales, le chef du gouvernement, les gazettes, les intérêts bien compris du secteur mutualiste, les syndicats, les associations familiales, j’en passe et des pires. Tous attachés à la préservation par tous les moyens, surtout ceux que la morale commune réprouve, de leurs insolentes rentes de situation. (En tant que de besoin, nous n’hésiterons pas à vous ouvrir nos dossiers, hélas fournis, témoignant des égarements trop fréquents que nous mentionnons ci-dessus.)

Bien, une fois le décor campé, aventurons-nous à illustrer notre propos par quelques plaisantes historiettes, et croquons donc quelques - très -, prévisibles cas de figure.

Le président d’un important fonds mutualiste, entre deux banquets offerts par le comité d’entreprise de l’important industriel qui contribue à l’alimentation de ses caisses, a eu son attention attirée sur la création prochaine du « Fonds solidaire » de notre ami la Scouette par la ravissante assistante de son collègue président d’une association familiale qui siège à son conseil d’administration. Evidemment nore homme n’entend rien à l’Internet, très peu à la solidarité. Mais nous n’allons pas nous arrêter là pour si peu. D’ailleurs, j’ai omis de préciser que nos distingués fonctionnaires des Affaires sociales dont je présentais brièvement l’activité au chapître précédent n’entendent rien eux non plus à l’Internet. Tant cela va de soi. Bref, il se trouve néanmoins que notre distingué président vient de s’entretenir très amicalement avec M. Jacques Rigaudiat, conseiller technique en charge des dossiers sociaux à Matignon. Il va de soi qu’un amical courrier dudit M. Rigaudiat attirant l’attention de nos amis des Affaires sociales sur l’excellence du dossier bientôt présenté par notre président de mutuelle par devant le Fonds de notre ami la Scouette méritera un examen cordial de nos amis fonctionnaires qui agrémentent de leurs déambulations les abords de la Tour Montparnasse.

Autre possibilité. Le vibrionnant créateur du Webmagazine Transfert, M. Christophe Agnus, a pris soin d’inviter à participer à son comité éditorial la distinguée Mme Maria Nowak, à l’époque présidente de l’Adie, noble initiative depuis honteusement plagiée - il est vrai que c’est chez lui une seconde nature -, par le tout aussi vibrionnant M. Jacques Attali. Il s’agit en l’espèce d’évangéliser les banques et les industriels à la fibre sociale encore peu développée, mais qui ne demande qu’à vibrer, aux fins de les persuader de consentir à des lavandières du Burkina-Faso un prêt de 300 francs, remboursables sur 5 ans, qui leur permettra d’inscrire leurs activités dans les réseaux de l’économie mondialisée. Bref, Mme Maria Nowak, présidente de l’ADIE, a été nommée il y a quelques mois conseillère technique auprès de M. Laurent Fabius à Bercy. Imaginons, pure hypothèse, que dépensant à vitesse grand V les 10 millions de francs que lui a alloué en juin le Fonds de capital risque créé par les laboratoires Mérieux, le susnommé M. Christophe Agnus s’avise d’ajouter à la gamme déjà fort étendue, sinon hélas rentable, de ses activités, un département de « presse solidaire ». On peut là aussi augurer qu’un cordial coup de téléphone de ladite Mme Nowak au directeur de cabinet du ministère des Affaires sociales ne manquera pas de contribuer à la bonne fin de la demande d’allocation que l’excellent M. Agnus pourrait s’aviser de solliciter auprès de notre ami la Scouette.

Autres sphères, autres moeurs. L’épouvantable cacophonie dans laquelle émerge fort péniblement la version toute hexagonale de la « Société de l’information » aura néanmoins permis à quelques individus promis, à n’en pas douter, à un fort brillant avenir, de très rapidement muter d’une stature initiale de guerillero, ou ra, acharnés à plaider dans l’espace virtuel les bienfaits de l’internet citoyen vers le - très bientôt -, plus raisonnable statut de « médiateur-médiatrice » de l’Internet citoyen-collaboratif-solidaire (en réseau). Hypothèse à laquelle la création du fameux Fonds qui nous occupe depuis tout à l’heure n’est pas sans conférer quelque bien-fondé.

C’est ainsi, qu’au hasard, mais nous croyons pouvoir avancer que leurs dossiers de demandes de subventions ont déjà été transmis avec force tableaux Excel à notre ami la Scouette, qu’une foule d’acronymes ignorés du grand public ne vont pas manquer de se voir dispenser la bienfaisante manne de notre ami aux trois fronts. Les spécialistes auront reconnu le talent inimitable des - futures -, petites entreprises IRIS, VECAM, Globenet, - et mille excuses pour celles et ceux dont la notoriété les tient pour l’instant très éloignés des pages des magazines « people » -, pour s‘ériger en détenteurs auto-proclamés de la vérité citoyenne, dument certifiée par la date de leur apparition dans l’espace virtuel hexagonal.

Ici, on peut cette fois imaginer qu’un amical soutien accordé par l’Association des fournisseurs d’accès, et dument porté à la connaissance du conseiller technique auprès de M. Laurent Fabius, qui a tout récemment abandonné ses stock-options du groupe PPR pour veiller à ses côtés à l’émergence de la Société de l’information, cet amical soutien donc, de préférence manifesté sous la forme d’une impérieuse « Note du conseiller X à M. ou Mme la Ministre des Affaires sociales », contribuera tout autant au succès de la demande d’allocation transmise par nos futures « petites entreprises » à notre ami la Scouette.

Vous avez d’ores et déjà compris que l’ apostolat de notre ami la Scouette, par nous salué il y a peu, commence dès lors à revêtir tous les aspects d’un chemin de croix... Comment résister en effet à tant d’amicales recommandations, jeter au panier les innombrables fax « TTU » émanant de toutes les subdélégations sous-préfectorales, dont le webmaster a pris sur lui, venant de prendre sa carte au Parti des Verts, de proposer la création du futur portail solidaire en breton, qui pourra nouer des partenariats avec l’épatant réseau solidaire qui va voir le jour au Pays-Basque, etc, etc.

Toutefois, à bien y réfléchir, le pire est encore à venir. Récapitulons.

Un Fonds de l’Internet Solidaire va voir le jour.

Son financement est encore dans les limbes.

Une épouvantable bagarre va opposer tous les prétendants au (misérable) pactole.

Les initiatives les plus invraisembables vont fleurir. On peut ainsi imaginer qu’un certain M. Nicolas Veron, jeune homme qui s’est illustré au cabinet de Mme Martine Aubry pendant plusieurs années avant de rejoindre au printemps dernier le site communautaire Multimania en qualité de responsable du développement ne soit assailli de sollicitations par des milliers « d’acteurs sociaux » qui n’auront pas manqué de conserver dans leurs archives l’article que l’excellent quotidien Le Monde avait consacré à la fuite vers les stock options dudit M. Veron. Hypothèse funeste pour le développement de l’entreprise Multimania. Ce qui légitime la mention « abracadabrandesque » de ce cas de figure, oublié au chapître précédent.

Mais nous n’en sommes donc qu’aux prémices du très prévisible scénario que l’annonce de notre ami la Scouette nous conduit à vous proposer.

En effet, en effet, et sur ce point je ne suis nullement assuré que notre ami la Scouette aît d’ores et déjà mesuré, et l’imminence du péril et son caractère inéluctable, une fois dépêtré après force nuits blanches de son cabinet, des quelques dizaines de milliers de fax et de coups de téléphone qui vont immanquablement assombrir son existence dans les mois qui viennent, restera à notre ami la Scouette, vaillant héraut de l’Internet solidaire, à passer - s’il est toujours vivant -, sous les fourches caudines de M. le Contrôleur financier du ministère des Affaires sociales.

Le « Contrôleur financier », espèce hélas méconnue, à l’égal de ses confrères et consoeurs en poste dans tous les ministères, appartient à Bercy. Est l’oeil, et la plume, de Bercy dans tous les ministères de la République. Ces redoutables personnages ont tout pouvoir de refuser d’un trait de plume qu’une dépense ordonnée par un ministère, fut-elle inscrite dans la loi de Finances par le Parlement, soit effectivement provisionnée sur le compte de n’importe quelle structure subventionnée. Car tel est leur bon plaisir. Et celui de leur maître. Nos amis les contrôleurs financiers permettent ainsi à l’Etat, et à son bras armé localisé à Bercy, d’économiser plusieurs centaines de millions de francs chaque année. Ce qui légitime il est vrai leur statut ahurissant, comme la terreur que la seule mention de leur existence inspire à tout fonctionnaire du secteur public comme para-public. Et à tout gestionnaire d’association vivant, plus ou moins confortablement, des deniers publics.

Oyez, oyez donc, chers zamis de l’Internet solidaire, quand bien même vos louables efforts pour circonvenir notre bon ami la Scouette vous apparaîtront-ils dans les mois qui viennent susceptibles de porter leurs fruits (et vous pourrez dès lors commencer à rêver, comme mentionné dans une chronique précédente, de changer votre frigo), rien ne vous dit que Mossieur le Contrôleur financier va autoriser le Trésor à vous virer les 500 000 francs, dont vous croyiez jusqu’à présent que votre entregent, les tonnes de salive que vous avez éructé, comme la circonstance que vous ayiez possiblement usé vos fonds de culotte à Lakanal avec M. Nicolas Veyron, l’ex-PPR de M. Fabius, Mme Nowak, la directrice de stratégie de l’AFA, ou tout autre truchement qu’il vous plairait de privilégier, garantissaient la bonne fin...

Et oui chers zamis. Ausi injuste cela apparaisse-t-il en apparence, c’est ainsi. La Roche Tarpéienne est proche du Capitole. Que cela ne vous empêche pas néanmoins de redoubler d’ardeur. Nous ne manquerons pas à cet égard de saluer, à l’intention de nos lecteurs, les louables efforts que vous allez accomplir. En leur narrant les péripéties qui ne vont pas manquer d’émailler votre quête.

Pour le reste et sur le fond, et je concluerai donc ici, ma chère fille, cher comte de la Scouette, cher marquis Zablocki, chers amis de l’Internet solidaire, cette affaire, comme vous l’aurez compris, nous apparaît particulièrement mal engagée.

A cet égard, subséquemment, il est toutefois encore temps de surseoir à l’épouvantable kyrielle de catastrophes diverses qui ne vont pas manquer de se succéder. Sous la forme, par exemple, d’un moratoire vous permettant, cher ami la Scouette, de reprendre à votre compte les excellentes suggestions du marquis Zablocki, que vous pouvez comme tout un chacun, consulter sur une page proche de celle-ci.

Car, cher comte de la Scouette, vous n’ignorez pas que les quelques avatars calamiteux dont je hasarde ce jour l’inévitable venue ne sont rien en regard des rocambolesques et déshonorantes pressions dont vous faites déjà l’objet.

Croyez donc que nous ne manquerons pas de mobiliser toutes nos ressources afin de vous éviter de succomber trop aisément sous les flèches que vos innombrables ennemis - et les nôtres au demeurant -, dardent déjà sur vous.

Je me crois autorisé à paraphraser votre ancien collègue, fort attaché comme chacun sait aux idéaux républicains. Car ici aussi : « Il en va de l’avenir de la France ! »

Sans compter votre avenir politique, qui me soucie, au vu des funestes projets dans lesquels vous vous engagez, et bien que n’appartenant pas à votre parti, ni à ladite majorité plurielle à laquelle vous êtes attaché.

Très solidairement vôtre.

 
 
Marc Laimé
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Journaliste, coordinateur du dossier « La Folie de l’Internet » du Canard Enchaîné

 
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Web indépendant


> L’Internet solidaire expliqué à ma fille
23 juillet 2003, message de vincent
 

c’est interressant, mais j’ai du mal avec le style de l’article.
C’est sympa de travailler sur le style d’un article, mais pas jusqu’au point ou ca gene la lecture de l’article.

Répondre


> L’Internet solidaire expliqué à ma fille
27 septembre 2000, message de Pascal
 

Cher Marc,

Ta dernière version de La Scouette est très drôle.
Elle est sans doute également bien fondée en raison. La lecture de tes écrits antérieurs m’incite à te
faire confiance.

Je remarque au passage que tu t’en prends à VECAM, ce qui me paraît particulièrement bien visé
dans le sens où cette asssociation donne vraiment le sentiment d’avoir pour unique objectif de "courrir
le cachet" en proposant clé en main à nos amis de la gauche plurielle un discours d’accompagnement
à la rhétorique gouvernementale sur la "société de l’information" en l’agrémentant d’un vernis fondé
sur le tryptique "démocratie, Internet et fraternité"

Je remarque que tu t’en prends également à IRIS, que tu sembles mettre sur le même plan que
l’association susmentionnée. Inutile de te dire que je trouve ce rapprochement pour le moins hâtif.
Certes, je ne suis pas introduit dans les arcanes de ce que l’on appelle parfois le "web indépendant"
(indépendant de quoi, d’ailleurs ?). Je ne connais pas non plus la nature exacte des luttes intestines au
sein de cet univers qui semble notamment opposer les partisans de Meryem Marzouki à certains de
tes camarades d’uZine2. Je ne suis pas sûr d’ailleurs que ces querelles soient d’un grand intérêt pour
l’individu lambda. Toujours est-il que, à mes yeux, le grand mérite d’IRIS, comparativement à tous
les autres adeptes de la ventriloquie "citoyenne et non marchande" ou "indépendante", est de nous
proposer le seul discours "autorisé" sur le Net qui ne soit pas empreint de la dimension mythologique
qui accompagne le développement de ce réseau depuis ces origines. Sans entrer dans les détails,
précisons tout de même l’absence de trace de déterminisme technique chez nos amis d’IRIS à mettre
en parallèle avec la permanence d’un combat pour faire en sorte que les multiples dangers inhérents
au développement de ce réseau s’opère dans les conditions les moins défavorables possibles pour la
collectivité. D’où l’appel souvent réitéré de cette association à une intervention de l’Etat en vertu du
principe selon lequel le libre marché privilégie la loi du plus fort tandis que que la loi devrait en
principe chercher à en atténuer le plus possible les effets.

Je regrette par contre que ton goût prononcé pour l’enquête ne t’ait pas incité à osculter de plus près
la rhétorique de certains de tes amis du Minirezo. Dans quelle mesure n’est-elle pas elle-même
porteuse d’une vision enchantée du Net perçu comme un instrument de libération des consciences
par la seule magie de ces propriétés techniques ? Ne crois-tu pas que leur enthousiasme technoïde
pour ce réseau censément libérateur fait de ces adeptes de la micro-convivialité les alliés objectifs
des marchands qu’ils prétendent pourtant démystifier à longueur de pages web ?

Qu’elle soit issue du pôle libéral ou libertaire la vision mythologique véhiculé par les croisés de la
cybersociété aboutit au bout du compte au même résultat : le prosélytisme autour du développement
d’un réseau dont personne ne peut nier le caractère fondamentalement inégalitaire. Le dernier pôle
cité apportant le supplément d’âme nécessaire pour la réussite des projets du premier. La grande
force d’IRIS consiste, je crois, à ne pas être tombé dans ce paneau là.

Bon, il ne s’agit là que d’un premier jet d’une réflexion qui mériterait d’être approfondie. Excuse-moi
pour le côté sans doute quelque peu simpliste, voire même caricatural de certaines idées contenues
dans ce message. En tout cas, elles traduisent assez bien mon état d’esprit suite à la lecture de ton
excellente petite chronique.

Amts, Pascal.

 
Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, Olivier Zablocki, 28 septembre 2000

Qu’elle soit issue du pôle libéral ou libertaire la vision mythologique véhiculée par les croisés de la cybersociété aboutit au bout du compte au même résultat : le prosélytisme autour du développement d’un réseau dont personne ne peut nier le caractère fondamentalement inégalitaire

Hum... Si l’on veut bien considérer que l’élément fondateur de l’Internet est d’abord l’apparition d’un protocole de communication universel, rien n’autorise à affirmer que ledit protocole soit en lui-même inégalitaire.

Ce qui est inégalitaire c’est le développement de certaines pratiques qui ne sont pas fondamentalement inscrites dans le protocole. Au premier rang de ces pratiques il y a bien sûr la pratique du dial-up, ce mode de connexion batard que la plupart d’entre nous utilise à défaut d’autres solutions et qui introduit une première inégalité entre ceux qui sont pleinement dans l’Internet avec une connexion permanente et ceux qui doivent se contenter d’y circuler en invité provisoire.

Ce qui est inégalitaire c’est le temps et le niveau de culture nécessaire pour exploiter réellement le potentiel de ce protocole. Mais on doit avoir l’honnêteté de reconnaitre que cette inégalité préexiste à l’Internet à la fois dans le système scolaire et dans le fonctionnement de nos sociétés. Ce n’est pas l’Internet qui génère ici l’inégalité, elle lui est antérieure.

Que dans ses conditions l’Internet donne l’impression de ne pas tenir ses promesses, apparaisse en-dessous de sa mythologie, c’est un fait. Les dernières années ont vu une immense manipulation ; parce qu’il y avait un peu de matière à vendre, des commerçants sans scrupule agissant à coup de publicités mensongères se sont débrouillés pour embrouiller l’esprit de la société en lui faisant passer quelques ersatzs, quelques scories de l’Internet pour l’Internet lui-même. Certes, c’est une manipulation insensée de la conscience de nos contemporains qui prend appui sur la puissance imaginaire du mythe et qui le détourne pour en tirer un profit immédiat. Je ne vois pas dans cette mésaventure un phénomène spécifique à l’Internet.

Je ne pense pas surtout qu’il s’agisse là d’un combat terminé ou perdu d’avance. D’abord l’Internet est un réseau de réseaux et la plupart de ces réseaux n’en sont qu’au début de leur histoire, ils se développent, se confrontent les uns aux autres, incarnent des intérêts différents, des prises de position politiques différentes. Je ne prendrai que l’exemple des réseaux indépendants de proximité dont le développement est encore embryonnaire dans ce pays et dans beaucoup d’autres et qui, à une échelle de vingt ans, pourraient bien dessiner des équilibres nouveaux au sein de l’Internet.

C’est peut-être ce qu’il y a d’essentiel à retenir, une échelle de temps pour l’analyse du phénomène. Inscrire la réflexion dans le court terme c’est courir le risque de prendre une partie pour le tout, l’anecdote pour le fondamental.

Amicalement,

Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, 28 septembre 2000

Cher Monsieur Zablocki,

Rien ne sert de se voiler la face, Monsieur Zablocki, ni même de jouer sur les mots.
Le développement d’Internet génère, vous en convenez vous-même, de nouvelles formes d’inégalités
qui viennent non seulement se superposer aux anciennes mais aussi en aggraver les effets. De ce point
de vue les protocoles Internet, universels ou pas, n’y changeront pas grand chose. Entendons-nous
bien, il ne s’agit pas ici de minimiser l’importance des choix en la matière, mais il ne m’est pas
parvenu jusqu’aux oreilles qu’on pouvait changer une société à coup de protocole.

Quant à la question du terme : qu’il soit court, moyen ou long, les données du problèmes sont
sensiblement les mêmes. Un exemple : l’alphabétisation de la société ne remonte pas à hier. Et
pourtant, combien d’analphabètes aujourd’hui encore dans les "pays défavorisées" et à l’intérieur
même de nos "belles" contrées ? De mémoire, les 5 millions de postes téléphoniques en Afrique
représentent le quart de nombre des abonnés au téléphone mobile en France. Pensez-vous que cet
écart est susceptible de se résorber ? C’est d’ailleurs sur ces enjeux que l’action d’une association
comme IRIS, qui n’a pas l’air, pour je ne sais quelle obscure raison, d’être en odeur de sainteté du
côté des "copains du portail" - ou l’inverse, peu importe, de toute façon cela revient au même -,
prend tout son sens. Seule une action politique volontariste des pouvoirs publics peut permettre
d’atténuer les effets mécaniques du développement du Net sur l’accroissement des inégalités. En
militant sans relâche sur ce volet, cette association est aujourd’hui, à ma connaissance, la plus
impliquée dans la défense des intérêts de la collectivité dans son ensemble, et pas seulement de
quelque technoïde branché en mal de visibilité pour soigner son égo surdimensionné.

Permettez-moi également de sourire quand vous éructez sur les marchands du net que vous désignez
promptement à la vindicte populaire au risque de susciter la suspicion sur vos propres motivations .
Ainsi donc, à vous lire, la source de toutes les visions magico-mythiques du réseau serait à chercher
du côté des marchands de soupe. C’est pas nous, c’est eux ! dites-vous. On aimerait bien vous
croire.

Hélas, rien ne sert de mobiliser la rhétorique politique, celle des médias, ou des gourous pour
constater que les commercants n’ont en rien le monopole de l’art manipulatoire d’édifier les foules sur
les vertus réelles ou supposées du Net.

Allez donc jeter un oeil sur les pages d’à côté. Prenez par exemple votre présentation du "Minirezo"
(http://www.minirezo.net/article22.html) dans laquelle on peut lire, entre autres énormités, les propos
suivants :

<Les discours autour de l’Internet se limitaient donc à des échanges entre vieux ringards tentant de
<protéger leurs maigres restes de pouvoir, des cyber-gourous sidérants et des vendeurs de soupes.
<Mais ce que nous vivions chaque jour sur le réseau était systématiquement occulté, la seule chose
<qui nous semblait intéressante était oubliée ; la possibilité pour chaque citoyen de s’exprimer,
<simplement, directement, de publier et d’échanger, voilà ce que nous voulions faire entendre.

Le procédé rhétorique est subtile. Vous partez de votre propre expérience du réseau qui,
convenez-en, n’est pas particulièrement représentative des usages de ce dernier, pour en arriver à la
conclusion selon laquelle Internet offre "la possibilité pour chaque citoyen de s’exprimer, simplement,
directement, de publier et d’échanger".
Pour chaque citoyen, affirmez-vous. Non mais vous voulez rire ou quoi ? Combien sont-il
aujourd’hui à pouvoir bénéficier d’un tel privilège ? Et quand bien même il serait 10 ou 100 fois plus
nombreux demain, avouez tout de même qu’on resterait encore bien loin du compte.

Sans doute imaginez-vous sincèrement, campé comme vous semblez l’être dans vos belles certitudes,
que tout vous oppose à cet univers marchand que vous avez pris pour cible. Hélas, j’ai bien peur que
que la réalité soit un peu moins manichéenne. Certes votre vision du net diffère du tout au tout de
celle de vos adversaires mais elle se rejoint au moins sur un point, qui n’est pas sans conséquence sur
le développement du réseau : son caractère enchanté.

Que vivent les comtes de fée, Monsieur Zablocki.

Cordialement, Pascal Fortin.

 
Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, Olivier Zablocki, 29 septembre 2000

De ce point de vue les protocoles Internet, universels ou pas, n’y changeront pas grand chose.

J’ai simplement dit que le protocole qui fonde l’Internet n’était pas la cause des déséquilibres ; en voilà des manières de faire dire aux gens ce qu’ils n’ont pas dit.

Je reconnais bien volontiers, c’est d’ailleurs le seul sujet qui m’intéresse, que pour le moment le « fossé numérique » comme certains l’ont déjà désigné se creuse chaque jour un peu plus. A la place de l’Internet annoncé qui semblait porteur d’une meilleure répartition des chances entre les différentes composantes de la société, d’une meilleure répartition des équilibres entre les territoires, voici que nous laissons s’installer une société de l’information injuste.

Il n’est pas trop tard pour réagir si l’on veut bien dès maintenant prendre en compte l’immense besoin de formation qu’il est nécessaire de produire pour permettre aux différents acteurs de la société civile de participer en conscience à une aventure économique, sociale et culturelle sans précédent, c’est à dire une aventure politique dont nous ne pouvons laisser les orientations quotidiennes se décider uniquement dans la sphère économique et sans réelle participation démocratique.

Je ne me vois pas en disant cela « éructer » contre les « marchands du net ». La distinction entre marchand et non marchand n’est pas dans mon vocabulaire. La formule « internet non marchand », par exemple, m’a toujours personnellement semblé absurde et dépourvue de sens, je l’ai souvent dit et dans ces pages en particulier. Tu te trompes donc de cible, l’ami, mais peut-être est-ce parce que tu vises autre chose sans en avoir l’air. Je vois bien la ligne de partage qui existe entre nous, elle est intéressante, elle recouvre des choix politiques différents ; ce ne serait pas dommage de l’expliciter au lieu de personnaliser aussi systématiquement le débat.

Au passage, inutile de me donner pompeusement du « Monsieur Zablocki », je t’autorise à m’appeler Olivier.

Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, fortin, 1er octobre 2000

Cher Olivier,

N’ayant pas le loisir de te connaître, l’idée de t’appeler par ton prénom ne m’était logiquement pas
venue à l’esprit. Je ne vois donc pas en quoi cette attitude peut être qualifiée de "pompeuse". Sans
doute ta remarque tient-elle à de nouveaux modes "civilité" propres à la "cyberculture" dont je n’ai pas
encore été "affranchi". Mais permet-moi au moins de ne pas connaître toutes les subtilités de votre
univers. Quoiqu’il en soit, cela ne me dérange pas, si ça te fait plaisir, de te donner de l’Olivier.
D’ailleurs pendant qu’on y ait, pourquoi ne pas s’essayer au tutoiement ? Mais n’hésite pas à me rappeler
à l’ordre si ce n’est pas dans les moeurs du "web indépendant".

Ceci dit, jetons un oeil sur ta réponse.

"J’ai simplement dit que le protocole qui fonde l’Internet n’était pas la cause des déséquilibres"

Certes, cher Olivier, mais je ne comprends toujours pas ce que ce protocole vient faire dans notre
histoire. Je ne crois pas avoir critiqué le protocole dans mon premier message. D’ailleurs, c’est plutôt toi
qui me reproche d’être trop protocolaire.

"A la place de l’Internet annoncé qui semblait porteur d’une meilleure répartition des chances entre les
différentes composantes de la société, d’une meilleure répartition des équilibres entre les territoires,
voici que nous laissons s’installer une société de l’information injuste."

En effet, cher Olivier, le fossé numérique se creuse. Mais franchement, comment s’imaginer qu’il aurait
pu en être autrement. Internet n’est pas tombé du ciel ? Il a été imaginé, est né et a grandi dans une
société libérale. Comment s’étonner qu’il reproduise et amplifie la perversité d’un système dont
personne n’a jamais prétendu qu’il était égalitaire (pas même Alain Minc, c’est pour te dire !) ?.

"Il n’est pas trop tard pour réagir si l’on veut bien dès maintenant prendre en compte l’immense
besoin de formation qu’il est nécessaire de produire pour permettre aux différents acteurs de la société
civile de participer en conscience à une aventure économique, sociale et culturelle sans précédent, c’est
à dire une aventure politique dont nous ne pouvons laisser les orientations quotidiennes se décider
uniquement dans la sphère économique et sans réelle participation démocratique."

Je ne vois pas bien de quelle formation tu veux parler. Si tu fais allusion à une formation culturelle et
politique pour inciter les citoyens à intervenir plus efficacement dans le débat public et à faire valoir le
bien commun face aux intérêts particuliers d’une petite (cyber)élite, alors, oui, nous sommes d’accord.
En tout, Je n’ose pas imaginer un instant que tu puisses croire que l’on pourrait réduire le "fossé
numérique" en proposant aux individus (lesquels ?) une simple formation technique. A moins que tu
penses qu’il suffise de mettre des gens devant un ordinateur relié à Internet avec un mode d’emploi pour
leur donner le goût de la chose publique.Mais je n’ose pas imaginer que tu puisses faire preuve d’une
telle naïveté.

Non pas que je m’oppose à toute idée de formation technique des volontaires, bien au contraire. Mais je
ne vois vraiment pas en quoi cela permettrait de régler la question des inégalités face au développement
du réseau. Les choix politiques les plus déterminants en matière de développement des technologies
nouvelles se font avant tout en amont des usages ? Je ne crois pas beaucoup aux politiques
d’accompagnement.

"Je ne me vois pas en disant cela « éructer » contre les « marchands du net »."

Il m’a pourtant semblé que les "friconautes" étaient une cible de choix des "amis du portail". Avec des
discours du genre : "Internet c’est pas eux, c’est nous ! Mais bon, cela n’a pas grande importance.

"La distinction entre marchand et non marchand n’est pas dans mon vocabulaire."

A ce petit jeu, on pourrait aussi gloser pendant des heures sur la distinction entre le "web indépendant"
et celui qui ne le serait pas. Mais bon, tu as raison, les dichotomies sont toujours un peu réductrices ou
arbitraires.

"La formule « internet non marchand », par exemple, m’a toujours personnellement semblé absurde et
dépourvue de sens, je l’ai souvent dit et dans ces pages en particulier."

Figure-toi qu’il m’arrive de me faire la même réflexion sur celle de "web indépendant". Comme quoi, il
arrive que nos interrogations se rejoignent.

"Je vois bien la ligne de partage qui existe entre nous, elle est intéressante, elle recouvre des choix
politiques différents ; ce ne serait pas dommage de l’expliciter au lieu de personnaliser aussi
systématiquement le débat."

Pourquoi tu parles de personnalisation du débat ? J’avoue ne pas comprendre.
Quant à la ligne de partage dont tu parles, ne connaissant pas précisément la nature de tes idées
politiques, je t’avoue là aussi que j’ai quelques difficultés à la repérer. Mais n’hésite pas à m’éclairer sur
ce point.

Au passage, inutile de me donner pompeusement du « Monsieur Zablocki », je t’autorise à m’appeler
Olivier.

Appelle-moi Pascal !

PS : si la rhétorique arrogante, mythologique et parfois truffée d’allusions gratuites de certains acteurs
du Minirezo (je ne les lis pas tous) m’exaspère de temps en temps, il n’en reste pas moins que l’initiative
de la création de cet espace de publication me paraît être une excellente chose. J’éprouve beaucoup de
plaisir à la lecture des articles d’uZine2. Je les trouve parfois drôles, souvent jubilatoires et toujours
stimulants. Afin de terminer cette discussion sur une petite note positive, je souhaitais vous féliciter pour
cette initiative.

 
Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, 1er octobre 2000

Au fait, je n’ai toujours pas compris ce que vous reprochiez à l’association IRIS.

mais bon, j’imagine que je dois mettre ça sur le compte de vos accusations gratuites.

Amts, Pascal.

 
en ligne : Pascal Fortin
Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, Olivier Zablocki, 2 octobre 2000

C’est entendu, il y a beaucoup d’accusations acerbes ici à propos de IRIS. Il faut dire que c’est une sorte d’habitude acquise à force de se heurter sur presque tout. Ce n’est pas une excuse, disons que cela fait partie d’une forme de folklore caricatural. Il serait cependant idiot de ne pas tenter une explication car ces accusations sont mons gratuites qu’elles n’en ont l’air.

Pour ma part, je crois que cette différence de potentiel qui provoque à chaque fois des étincelles est sans doute liée aux relations très différentes que nous entretenons d’un côté et de l’autre avec la question du « bien public », de l’Internet comme « bien public ».

Je ne crois pas me tromper en affirmant que IRIS prend l’Etat comme interlocuteur principal dans sa défense et illustration de l’Internet solidaire. C’est de l’Etat et de lui seul que IRIS exige un certain nombre de dispositions, d’ajustements, etc.

De ce côté de la barrière, notre défense et illustration est beaucoup moins univoque et, pour faire comprendre pourquoi et comment, je ne peux que reprendre l’exemple classique d’un « bien public » bien antérieur à l’Internet, il s’agit du phare et plus généralement du système mondial de signalisation maritime. C’est l’exemple type d’un « bien public » : tous les navires profitent de sa lumière, et les bénéfices que cette dernière procure restent les mêmes pour tous les bateaux, aussi nombreux qu’ils soient.

Ce qu’il est très important de noter, c’est que l’histoire des phares montre qu’un bien public n’est pas nécessairement fourni exclusivement par les gouvernements. Ronald Coase, Nobel d’économie (je ne sais plus trop quand) raconte qu’au cours des siècles les phares ont été bâtis et gérés par des investisseurs privés, des corporations maritimes et des associations des secteurs public et privé, sans compter les organes et organismes gouvernementaux. (The Lighthouse in Economics
- Le phare en science économique, in The Journal of Law and Economics)

Du réseau mondial des phares à l’Internet, il y a plus qu’une métaphore, une véritable filiation. C’est d’ailleurs l’objet de la rubrique A l’abordage que d’approfondir tous ces parallèles historiques et contemporains entre société de l’information et société maritime.

Pour en revenir à la question des relations IRIS / minirezo, je pense vraiment que c’est dans cette relation différente au « bien public » en général, à l’Internet en particulier que se trouve la source de toute une série de désaccords extrêmement profonds et de coups de griffes réciproques.

Amicalement

Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, Olivier Zablocki, 2 octobre 2000

Si tu fais allusion à une formation culturelle et politique pour inciter les citoyens à intervenir plus efficacement dans le débat public et à faire valoir le bien commun face aux intérêts particuliers d’une petite (cyber)élite, alors, oui, nous sommes d’accord.

C’est bien à cela que je pense ou plus précisément à un apprentissage de la coopération qui me semble indissociable de la culture réseau. Cela peut d’ailleurs être très pratique comme apprentissage, c’est l’entrainement au travail coopératif et en réseau.

J’avoue sur ce sujet mettre pas mal d’espoir dans les rapides évolutions des plateformes de formation en ligne en général qui développent des espaces de coopération, de formation mutuelle, de plus en plus intéressants... Mais c’est bien connu, je suis un incorrigible optimiste ;-)

Amicalement,

Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, Pascal Fortin, 3 octobre 2000

Salut Olivier,

Je suis désolé de manifester une nouvelle fois mon scepticisme mais j’avoue que ta métaphore sur la
circulation maritime ne me satisfait pas vraiment.

Toutefois, avant d’en venir sur ce point, je souhaiterais d’abord réagir à d’autres aspects de ton
dernier message

" Je ne crois pas me tromper en affirmant que IRIS prend
l’Etat comme interlocuteur principal dans sa défense et
illustration de l’Internet solidaire. C’est de l’Etat
et de lui seul que IRIS exige un certain nombre de
dispositions, d’ajustements, etc."

Certes IRIS insiste beaucoup sur la responsabilité des pouvoirs publics à la fois dans les modalités
mêmes du développement du net et dans l’aménagement nécessaire de notre appareil législatif en
relation avec ce processus. Mais je crois d’une part que le plus grand défi lié au développement de
ce réseau se pose précisément sur ce terrain là et d’autre part qu’on ne peut déduire d’une telle
attitude qu’IRIS adopterait une position selon laquelle tout repose sur l’État. Je n’imagine pas une
seule seconde par exemple qu’IRIS s’opposerait à toute forme d’usage citoyen du réseau pour
contrebalancer le développement consumériste de ce dernier. D’ailleurs j’imagine que la création
d’INMS-L et l’ organisation de la réunion annuelle de l’Internet solidaire et non marchand est au
moins en partie conçue pour mobiliser les énergies et inciter les gens à agir à leur niveau respectif.

Venons-en maintenait au recours que tu fais à la métaphore du "Phare" pour illustrer la différence qui
vous sépare d’IRIS dans la manière d’envisager le développement du Net.

Tout d’abord, permet-moi de regretter que tu n’aies pas procéder à l’évocation d’exemples concrets
de désaccords avec IRIS. Pourtant cela m’aurait sans doute beaucoup plus aidé à comprendre la
nature de vos divergences que ce recours à une métaphore dont le caractère pédagogique me paraît
pour le moins douteux.

Douteux pour deux raisons. D’une part, j’avoue ne pas bien connaître les particularités de la
circulation maritime. D’autre part, le recours à la métaphore présente immanquablement le grand
défaut de laisser plus de questions en suspens que d’en résoudre. C’est pourquoi il me semble
nécessaire de toujours recourir à un raisonnement ou une démonstration plutôt que ce type de
procédé rhétorique.

Je me contenterai donc d’une seule remarque au sujet de ce parallèle entre le phare et Internet. A
mon avis, la grande différence entre les deux tient au fait que, dans le premier cas, les compagnies
privées avaient un intérêt bien compris pour construire ou participer à la construction de ces phares
indépendamment du fait de savoir dans quelles conditions d’autres qu’eux allaient en profiter (en
l’occurrence, apparemment gratuitement).
Je crois que cette remarque suffit à elle seule à expliquer pourquoi la construction des phares
pouvaient éventuellement être entreprise sans que les États y jouent nécessairement un rôle
prépondérant.

Dans le cas d’Internet, les choses me paraissent par contre bien différentes. En effet, si le
développement du réseau est laissée à la seule initiative privée, alors les entreprises en favoriseront le
développement partout où ils en auront intérêt. Or on sait que leur intérêt s’étend, et se limite dans le
même mouvement, à l’ensemble des foyers solvables. Cela signifie concrètement que les personnes
non solvables ou les zones géographiques non rentables seront délaissées par les acteurs privées.
C’est précisément pour cette raison que les pouvoirs publics (Etats, collectivités territoriales, etc.) ont
un rôle considérable à jouer. C’est, je crois, ce que demande IRIS. Et je ne vois pas comment on
pourrait leur donner tort.

Amicalement, Pascal.

PS1 : je pense qu’il serait plus judicieux de continuer cette petite discussion sur INMS-L. Cela ferait
un peu moins ghetto qu’à la fin d’un article publié sur uZine2. En plus cela permettrait aux membres
de cette association d’intervenir directement dans une discussion qui les concerne directement.

PS2 : apparemment tu sembles être porteur d’un projet en relation avec l’appel d’offre de l’ami La
Scouette. Je serais curieux d’en connaître les détails. Ou peut-on se renseigner pour en savoir plus ?
Je suis aller sur le site de Radiophare et n’ai rien trouvé sur le sujet.

 
Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, Olivier Zablocki, 4 octobre 2000

Je ne suis pas porteur d’un projet en relation avec l’appel du SEES.

S’il est vrai que dans un premier temps j’ai avancé des propositions dans le cadre de l’appel, s’il est également vrai que j’ai été aussi très impliqué dans des équipes qui vont soumettre des projets au SEES, il faut savoir avant de poursuivre :

- que j’ai retiré la candidature portée spécifiquement par RadioPhare parce qu’elle me semblait déborder largement le cadre de ce qu’il est possible de faire avec le SEES.

- que j’ai démissionné de mes responsabilités au sein d’autres structures qui s’apprêtent à être candidates parce qu’elles n’ont pas souhaité s’investir dans une réflexion plus critique et plus constructive sur le long terme vis à vis du SEES.

Sur le fond, je crois qu’avec cet appel à projets du SEES nous touchons aux limites de ce que l’on peut attendre de ce mode de redistribution de l’argent public aux acteurs du développement local, aux limites de ce qu’un Etat riche et moderne est prêt à faire sur les thêmes qui nous préoccupent. Ce n’est pas Guy Hascouët et le SEES en lui-même que je mets aujourd’hui en cause, c’est l’Etat dans son ensemble qui apporte ici la preuve qu’il n’est pas un partenaire convaincant et surtout qu’il est incapable de proposer une méthode de développement cohérente.

Sur les sujets qui m’intéressent plus directement à savoir les perspectives que le déploiement de l’Internet pourrait ouvrir (dans certaines conditions seulement) en terme d’équilibrage des chances entre les territoires, d’utilisations plus fines de l’espace, de contribution au développement local (économique, social et culturel), je m’interroge sur ce que seraient des politiques d’aménagement vigoureuses.

Car il s’agit bien d’un problème d’aménagement autant sur le plan des infrastructures de télécommunication que sur celui des plateformes matérielles et logicielles ou encore des compétences dont il est nécessaire que chaque territoire dispose pour aborder ce nouveau continent.

Qui dit aménagement dit choix politiques sur le long terme et mobilisation de ressources financières significatives pour soutenir les efforts à des échelles de dix, voire vingt ans. Dans cet esprit, il me semble souhaitable qu’une institution adaptée soit rapidement créée dans ce pays, un « Fonds de Soutien Internet & Territoire » mobilisant les financements au niveau régional et national, procédant par avances remboursables et laissant le soin à des délégations locales autonomes d’instruire les dossiers de demande de soutien à l’échelle de chaque territoire.

Ce n’est pas un projet en relation avec l’appel du SEES, c’est plutôt un projet en réaction à cet appel. Lorsque l’on constate avec les 33MF du SEES à quelle hauteur l’Etat est prêt à mettre la main à la poche pour construire une politique on ne peut que se dire qu’il va falloir compter avec d’autres acteurs, qu’il s’agisse des collectivités locales, qu’il s’agisse d’interventions privées principalement dans le cadre de coopérations locales précisément ciblées. C’est à ce niveau là que la comparaison (et non la métaphore) avec la manière dont s’est déployé dans l’histoire le dispositif international de signalisation maritime et de sécurité en mer peut apporter des éléments de réflexion très intéressants.

Amicalement,

Répondre
> L’Internet solidaire expliqué à ma fille, 31 décembre 2000

Pardonnez cette intrusion dans votre échange : juste un remarque : avant qu’une institution adaptée soit rapidement créée dans ce pays, il me semble prioritaire, pour l’internet solidaire, pour l’économie solidaire et pour la peinture sur soie solidaire, que la structure de l’état français soit réformée. Car sans vouloir vous couper dans votre enthousiasme, le « Fonds de Soutien Internet & Territoire », comme pour les Espaces Culturels Multimédia et toutes les initiatives politiques culturelles ou autres n’auront une efficacité à terme qu’après une nouvelle et réelle décentralisation démocratique. Sinon, le clientellisime continuera inexorablement de laminer la solidarité, de renforcer le rejet de la chose politique et d’exacerber la violence. L’embellie actuelle (recul du FN et du chômage) toute conjonturelle,ne doit pas nous détourner de cette priorité absolue.

Mais je vous laisse continuer.

Fabrice Massé

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