Le débat millénaire fondamental est enfin accessible à tous, grâce au web, porté par les militants internautes de la diaspora méditerranéenne, que l’on salue ici comme il se doit. D’autres débats sont en cours sur le web et ailleurs, qui visent à savoir enfin ce qu’est quelqu’un de gauche, ou un terroriste, voire ce qu’est une information, une donnée personnelle, toutes préoccupations certes utiles et nobles, mais dont la complexité est loin d’atteindre celle de la question fondamentale : quelle est la Vérité en matière de couscous ?
Un vrai couscous, pour les gens frivoles et incultes, c’est ce qui se mange dans un restaurant spécialisé, plutôt qu’à la maison en ouvrant une boîte. Loin de nous l’idée qu’il n’y en a pas de bons. Mais le Bien et le Beau sont une chose, le Vrai en est une autre. Les restaurants ne proposent que leur couscous, qui ne peut être le vrai couscous, s’agissant de production en série, pour un goût moyen, et un type de clientèle. Le vrai couscous niche donc ailleurs, quelque part sur la planète.
Pour les vrais du vrai, c’est bien différent. Ils savent. Des internautes, emportés par leur passion, vont même jusqu’à prétendre en ligne que le roi des plats, c’est le leur. Idem pour "l’authentique". Minute, les prétentieux, ça se discute au moins. Les internautes sont bizarres, en la matière comme en d’autres, ils pensent tous que le vrai c’est le leur, parce que c’est celui de leur mère qui les aime. Il y a aussi des éléments objectifs dans l’évaluation, tout de même. Je vous livre quelques termes du débat et de la quête, qui agitent la couscoussophilerie internationale, comme l’attestent les posts de forum newyorkais : However, it seems that any North African joint in Paris can serve up a credible couscous, with a nice big bowl of broth and veggies, whereas the couscous in New York is frequently dry and tasteless. I haven’t been to *** for a long time, but the couscous there was never very good either. Help !. L’internet solidaire se manifeste aussitôt, là bas comme ici Demarchelier, (50 East 86th Street, east of Madison), has been serving a very good version of couscous as a special on Tuesday evenings. Much better than ***. Check before you go. Vive le net. On est néanmoins d’accord sur l’essentiel : même quelconque, c’est bon pour la santé, et le phosphore...
Mais que de conflits......Avec la graine, déjà, ça commence fort. Les fractions intégristes ne la conçoivent que roulée à la main, c’est à dire fabriquée par le cuisinier, à partir de semoule de blé dur, et regardent de haut ceux qui l’achètent toute faite en paquet de carton. Je serais assez d’accord, vu mon éducation semi chaouïa, ça se roule assis par terre, et ça prend du temps. Cependant, les intégristes sont en déclin, il faut vivre avec son temps. On trouve toutefois encore trace de ce débat sur le web, par exemple sur le site d’une université américaine (c’est dire le sérieux de la chose si on en cause jusque dans le Wisconsin... Il faut garder présent à l’esprit le fait que le couscous qu’on trouve dans les stores, n’a rien à voir avec celui roulé par les femmes algériennes. Bien sûr, une telle formulation ne semblera pas correcte aux tunisiens et marocains...
Sacré débat sur le roulage. Mais pour le vrai fanatique, c’est trop imprécis encore, car on ne sait si l’auteur vise un roulage arabe ou berbère, et dans ce dernier cas, kabyle ou chaouia par exemple. Je suis désolé de porter peine à tant de gens, mais disons le, le roulage chaouia des Aurès est le meilleur du monde, à mon avis. Ceci dit soyons tolérant, la graine toute faite n’est pas mauvaise. Comment est-elle fabriquée ? Grâce au web vous avez le process en ligne.
Second conflit rude, pour ceux qui ne se cassent pas à rouler, faut il de la fine ou de la moyenne. Cette question d’importance capitale est évacuée dans des recettes de cuisine en ligne, c’est curieux, et ça jette le discrédit sur le web, qui pparaît du fait comme un lieu d’informations peu précises. Ma position est nuancée sur ce point. Pour travailler à la manière saharienne, je trouve la fine supérieure. Sinon, la plupart du temps, de la moyenne, oui. Autre motif joint de discorde, mais vite réglé chez les vrais. Certains font cuire la graine dans l’eau, abominable hérésie de citadins pressés et peu informés...La graine doit être légère, Bérengère, alors s’il te plaît, à la vapeur, pas à l’eau, après l’avoir mouillée (1 litre d’eau de source de l’oued Saf Saf, ou, à défaut pour les fainéants, du robinet, pour 1 kilo de graine).
Mais les plus rudes différends sont générés par la conception de l’ensemble, l’architecture du système, en sorte. On a la graine, des légumes et des fruits, de la viande, ou du poisson, ou rien pour les végétariens. Faut-il absolument des boulettes ? Au risque d’un sévère débat ou je serai traité avec mauvaise foi de Méchant et de "menteur, comme tous les ashkenazes" , je répondrai que non. On en met si on veut, et surtout si on sait les faire, sinon c’est degueu les mauvaises boulettes. Des morceaux bien choisis de mouton (épaule, collier, crosses de gigot, queue), des vraies merguez (de mouton), ou du poisson
si on est en bord de mer, ou bien du poulet à la rigueur, suffisent.
Je déconseille vivement les tentatives avec lapin ou porc, pas seulement parce que les Livres (et pas le seul Lévitique) sont contre, mais parce que ce n’est vraiment pas terrible, et injurieux pour certains de vos invités. Or, le couscous, comme le net, sert à la reliance et la convivialité (si, si). Quelqu’un m’a même mis des pommes de terre à l’eau un jour. Je n’ai rien osé dire, mais quelle abomination… Les carottes, pois chiches, navets, courgettes, céleri, haricots, oignons, coriandre, tomates, cardons, féves fraîches suffisent. Ou même aucun légume, si la graine est très bonne (et légère), et le beurre suffisamment vieux. Pruneaux ou raisin sec si on veut. Et pourquoi pas à la Suisse, sucré au petit déj, ou au lait, ou safrané, ou au choux, ou aux tripes. Et, mais juste pour faire plaisir à ceux de l’ouest, pourquoi pas un couscous de Cornouaille.
C’est que, une fois respectés les fondamentaux, le couscous est une machine flexible, comme l’internet... La diversité des usages, voyez vous. Cependant, où doit cesser la tolérance, et que dire devant l’effroyable imposture du réseau breton qui prétend à la place de fondateur du couscous au motif que ces gens mangent un mélange de semoule de blé noir, de cochon et de poireaux...Là je dis halte, messieurs, la vraie galette, ok, le couscous, non !. Mais ces gens sont obstinés et ils préparent en secret un ouvrage tendant à démontrer, photos à l’appui, que le couscous n’est qu’un dérivé du Kig ha farz, et que (cherchons à qui le crime profite) c’est l’habituelle alliance arabo-franco-juive qui fait croire le contraire avec la complicité du Capital hostile au porc breton. On aura tout vu ! Sans compter les autres pays émergents dans la couscousserie, qui font semoule de tout (voir la manière ivoirienne), on n’a pas fini, je vous le dis...
La question de la boisson, enfin, crée des difficultés supplémentaires. Pour ma mère, c’est simple, on ne boit pas avec le couscous. Radical. Pour d’autres intégristes, de l’eau convient le mieux. Soyons tolérant et mettons sur la table, ou sur le sol si on veut vraiment manger selon les règles, des boissons diverses, sauf du coca, naturellement, mélangé à la graine, ça rend fou cinglé, c’est prouvé. Les bretons peuvent prendre du cidre ou du chouchen, avec les conséquences dommageables que l’on sait...
Le problème du rot de fin de repas semble ne plus faire débat, la bienséance des civilisations du nord (ce qu’on appelle occident je ne sais pourquoi) l’interdisant désormais, sauf silencieusement en regardant ailleurs. Mais si on est entre soi et que l’on a la politesse de l’hôte…
Tout ces différends évoquent sans doute pour certains les tortueux et passionnés débats d’interprétation coranique ou talmudique, par Anauel le Subtil !, bien que des oecuménistes déploient de l’énergie pour mettre fin aux querelles et que d’autres bienfaiteurs donnent la recette de la mère de leur mère, socialisant ainsi des données personnelles sensibles. Pour d’autres enfin, les tekos qui ont la fibre parabolique, si l’on ose dire, ça évoquera irrésistiblement la question de savoir ce qu’est le vrai internet. Et là, on ne peut pas répondre : c’est celui de ma mère… Mais on peut toujours dire, c’est celui que je fais.