Le discours médiatique, c’est à dire à destination des masses, après avoir dénoncé jusqu’à plus soif le Réseau comme conjuration de pédo-nazis, en vient maintenant à attaquer tous les usages relatifs au Réseau, dont celui des pseudonymes.
D’une imagination assez limitée, il continue néanmoins à ressasser le nazisme comme horizon symbolique cardinal. A écouter nos vigilants médiateurs en perte de vitesse, qui ont conté les croix-gammées et les sites de haines, l’usage des pseudonymes (faux-noms) dénoterait la volonté de nuire en colportant des mensonges (calomnies), la délation (à la Kommandantur bien évidemment ; oui même en 2000), la lâcheté sans nom (sic) de ceux qui jouissent (perversement) de leur anonymat, source de rumeurs (et donc de crimes !)innommables...Examinons un instant les distinctions à apporter malgré le paradoxe, et l’inutilité de la démarche pour les véritables utilisateurs du Réseau (qui loin d’utiliser tous un pseudonyme, sont tout de même plusieurs millions...).
Tout d’abord, posons une question simple : quels rapports établir entre « Platon » (Aristoclès), « Johnny Halliday » (Jean-Philippe Smet), « Mata-Hari » (Marguereta Gertruida Zelle), « Joseph Mercier, Monsieur M., Monsieur X, Rex, Max » (Jean Moulin), « Dudule75 » (Didier qui habite dans le 75) ? On peut certes les ranger sous la même catégorie : ceux qui utilisent des pseudonymes (faux-noms, noms d’emprunt, surnoms). Est-ce pour autant que leurs activités sont équivalentes, commensurables, et surtout nécessairement perverses ? On voit (du moins assez rapidement) que l’argument ne tient pas. D’où vient alors cette liaison prétendue nécessaire entre usage d’un pseudonyme et action néfaste ?
On pourrait utiliser un pseudonyme afin de nuire, calomnier, propager des rumeurs ? Il est bien évident que si je veux nuire à quelqu’un, (c’est une hypothèse), je ne vais pas m’exposer à une identification automatique qui viendrait à son tour non seulement limiter mon action mais aussi me nuire. C’est pourquoi, par mesure de précaution, je veille à rendre cette identification difficile (par exemple en utilisant un faux-nom). Notons que l’intention est première et le moyen se comprend en fonction de celle-ci. (Notons également que les professionnels du renseignement partagent cette préoccupation). En général, on peut dire que les lettres anonymes ne sont pas signées. Qui veut jouer au corbeau n’appose pas sa signature en bas de page. Et surtout qui utilise un faux-nom n’est pas nécessairement un corbeau. Mais encore ? Et en quoi le Réseau offre ici une quelconque nouveauté ou une nécessaire impunité ?
Il est temps de rappeler à nos amis les médiateurs vigilants, que l’anonymat sur le Réseau est un mythe, comparable à son frère, le mythe du vide juridique. L’adage populaire : « sur Internet personne ne sait que vous êtes un chien » a la peau dure...Ce qui ne veut pas dire que les délits n’existent pas et que tous sont punis. Mais enfin, propose-t-on d’interdire le téléphone ou de mettre sur écoute l’ensemble des abonnés sous le prétexte qu’il existe des plaisantins (plus ou moins facétieux), des malades (plus ou moins pervers)et des criminels (plus ou moins dangereux) qui utilisent ce moyen de communication ?
Il est également temps, à présent, d’interroger les motivations de ceux qui propagent de tels discours et la pertinence de leurs références historiques. En effet, pour être un peu plus polémique, on pourrait noter le désarroi grandissant des jouisseurs de monopoles médiatiques devant ce qu’il est convenu d’appeler d’un vrai nom, que nous avions tenu caché jusqu’ici afin de ne pas les effrayer : la liberté d’expression.
Que par exemple Pierre Lazuly téléphone à Lirresponsable pour lui dire que tel grand éditorialiste de la vraie presse (i.e. celle qui a des annonceurs) a pillé sa chronique afin de fournir son papier, voilà qui ne gêne pas grand monde, y compris l’intéressé. Que le même offre la même information sur un support public, et nos courageux éditorialistes de confier l’horreur que leur inspire non pas le communisme (seule Christine Ockrent le révèle dans son formidable La mémoire du coeur, p.303), mais Internet qui « offre à tous les collabos de la planète la jouissance impunie de faire payer aux autres leur impuissance et leur médiocrité ». Car voyez-vous, oui vous qui me lisez en ce moment, et bien vous lisez la prose d’un employé de la Police secrète D’Etat (en allemand ça fait plus méchant : Geheime Staatspolizei). Bande d’inconscients !
Et puis à une époque où le nom devient une marque, signalant le produit (par exemple : avez-vous lu le dernier Giroud ™ ?), il est bien évident qu’un contenu non répertorié et discret est nécessairement suspect. Surtout s’il est gratuit, contributif et s’insère dans un travail collectif. De plus que des gens aient la liberté d’user de noms d’emprunt pour des motifs esthétiques et non seulement politiques, mais quelle abomination !
De même, et c’est beaucoup plus important que l’anecdotique plus haut, qu’un tel livre les chiffres réels d’audience de tel site, les failles de sécurité de tel site, les atteintes à la vie privée par telle multinationale, la liste des aliments garnis d’OGM, les informations ailleurs occultées ou noyées dans le flux continu, les problèmes au sein de l’entreprise dans laquelle il travaille, au sein de la municipalité à laquelle il siège ou pas, et même les critiques que lui inspirent tels films, romans, disques. Bref court-circuitant les canaux depuis longtemps policés et soumis aux contraintes économiques ainsi qu’aux règles de la connivence des gens du milieu, un simple citoyen ose s’exprimer, voilà qui est tout bonnement intolérable ! Qui plus est au pays des droits de l’homme.
Ne pouvant dire ceci, reste la bonne vieille artillerie de la calomnie et du renversement rhétorique en continuité : peut-être pas pédo-nazi...mais nécessairement pédo-nazi puisqu’utilisant un pseudonyme. CQFD. Et de citer les titres de la presse parus sous l’occupation.
Il viendra peut-être à l’idée de nos aimables médiateurs soucieux du bien public, que l’utilisation de pseudonymes ne se réduit pas aux usages des confréries plus ou moins mafieuses et hors la loi, mais qu’il fut un temps, pas si éloigné que cela, où pour leur propre sécurité dans un combat pour la Liberté, certains, qui ne dînaient pas en ville et n’avaient pas pignon sur rue, adoptaient de faux-noms ; (même pas français). On parlait d’eux (y compris et surtout dans la presse officielle d’alors) en tant que « bandits », « terroristes » et « lâches meurtriers anonymes ». L’affiche elle, était rouge.