« De plus en plus d’élèves utilisent le Web pour faire leurs devoirs. Au grand dam des profs qui ne peuvent plus détecter la fraude. », pouvait-on lire dans un
article de Libé paru au printemps dernier. « Le pompage devient d’une simplicité confondante avec l’Internet, écrivait Marie-Joëlle Gros. Le Web est incontestablement la plus dense des bibliothèques au monde. On y butine dans les travaux des autres en jouant sans effort de la souris, depuis son fauteuil, pour peu qu’on dispose à loisir d’un ordinateur. A l’évidence, les rejetons des familles un peu aisées ont une longueur d’avance dans la pratique. La truanderie électronique touche en revanche toutes les tranches d’âges. Du collège à la fac. » Et jusque dans l’une des plus prestigieuses rédactions de la presse parisienne.
Au printemps dernier, un éditorialiste connu du tout Paris pour ses leçons de déontologie m’envoyait un gentil petit courrier : il me félicitait pour ma dernière chronique,
« L’inutile au meilleur prix », chronique dans laquelle je tournais en ridicule un célèbre site d’achats groupés. Il souhaitait me rencontrer pour en discuter. A vrai dire, je n’avais rien contre : j’étais même franchement curieux de savoir ce qu’il avait derrière la tête.
Rendez-vous fut donc pris pour un apéro lors de mon prochain passage à Paris. Nous nous retrouvâmes dans un bistrot, place de la Bourse, et nous y papotâmes une petite heure. Il ne connaissait rien à Internet. Ca le dépassait, tout ce tapage autour de la Net-économy, les start-up. Il voulait savoir ce que j’en pensais. Pour savoir ce qu’il fallait en penser, je suppose.
Lui, ce qu’il aimait, c’était mon article sur Clust. Se moquer de Joebar, de Killerjoe, des trottinettes électriques, ça c’était une chouette trouvaille. Un excellent concept. Il m’encourageait à continuer. Pourquoi je ne m’attaquais pas chaque jour à un site différent, pour mettre en lumière ses aspects les plus ridicules ? Je lui expliquai que les Chroniques du Menteur, c’était avant tout pour moi la possibilité de parler de tout et de n’importe quoi, de mes amours à la situation internationale (et croyez-moi, le plus compliqué de ces deux sujets n’est pas celui qu’on croit). La dérision sur les start-up, ça allait un moment, mais je ne voyais vraiment pas l’intérêt de me lancer dans une telle série thématique, surtout au printemps. (Aujourd’hui, je comprends mieux pourquoi le cher homme tenait tant à me la faire continuer...).
J’objectai que l’article sur Clust était certes drôle, mais sans grande portée. Que je préférais de loin
« Flagrant délit », chronique consacrée à Alibabuy et qui montrait que les sites d’achats groupés, ce n’était pas seulement ridicule, c’était surtout une authentique arnaque. (Ce que Le Canard Enchaîné me permettrait, par la suite, de réaffirmer dans ses pages). Lui préférait la première. Normal, elle ne fâchait personne. La première, même le directeur marketing de Clust pouvait en rigoler. (Alors que le directeur général d’Alibabuy, lui, je vous assure qu’il ne rigolait pas du tout quand il a lu la sienne. Il voulait même me faire un procès).
L’éditorialiste célèbre, lui, ne voulait pas fâcher grand monde. (C’est comme ça, je suppose, que l’on devient éditorialiste célèbre). Quand je lui ai dit que le meilleur article, selon moi, c’était l’édito « L’internaute, le capital-risque et ta mère », de mon ami ARNO*, qui était une critique infiniment plus radicale de la Nouvelle Economie, puisqu’elle remettait en cause les fondements mêmes de celle-ci, l’éditorialiste a fait une grimace. (On ne pouvait décemment pas en parler dans Le Monde). Non, lui, vraiment, il préférait Killerjoe et les trottinettes électriques, il n’en démordait pas. Il y avait quelque chose à en tirer, me disait-il, mais il ne savait pas quoi.
Nous nous sommes quittés quelques instants plus tard. Il était ravi de m’avoir rencontré, vraiment, et d’ailleurs il me recontacterait sans doute, on gardait le contact, tout ça. Pas eu de nouvelles depuis.
Lundi, dans Le Monde, il y avait une chouette enquête, marrante comme tout. « Le jour où on s’est mis à 46 sur un scooter : les folies d’Internet ». C’est l’histoire d’un éditorialiste qui décide un beau jour d’aller acheter un scooter sur Clust et qui se moque de ses congénères Joebar et Killerjoe (pardon : de Kenny et de Spoon). C’est vachement bien trouvé. Moi, ça m’a fait plaisir pour lui. C’est vrai, la dernière fois qu’on s’était vu, il ne savait pas ce qu’on pouvait en faire, de mon concept. Là, il me semble bien qu’il ait trouvé. Un feuilleton de 12 épisodes dans Le Monde, c’est pas une bonne idée ? Qui sait, on pourra peut-être même le vendre une deuxième fois. Un livre, à la rentrée, qui s’appellerait « Voyage sur Internet, dans le rôle du Candide de la Toile » ?
Dans l’article de Libé cité plus haut, Nicolas, créateur bénévole d’un site « antisèches » pour lycéens, déclarait recevoir fréquemment de ceux-ci des messages de remerciement : « Merci, grâce à toi, j’ai eu 16/20 à mon exposé. » Grâce à moi, un éminent éditorialiste du Monde aura eu 16/20 à son exposé. Il n’a même pas pris la peine de me remercier. Quant à citer ses sources...