Les vacances m’ont éloigné pour un bon temps de mon ami Julien Nickname, et c’est avec plaisir que je bois à nouveau une bière de Saint Omer, celle qui ne peut pas saouler dans les quatre premiers litres et lui procure de nostalgiques pensées, chez lui. Lili n’est pas là, elle est restée à Cluj-Napoca pour se ressourcer avec sa famille de vampires pour de faux, elle a juste envoyé une carte, elle a maigri, elle a l’air d’en être contente. Elle prie le bonjour à ceux de ses ex fiancés du nord et d’ailleurs qu’elle aime bien (et même avec cette restriction, ça fait trop de monde pour qu’on transmette exhaustivement).
Il pleut, selon les convenances de retour de vacances. Je raconte mes aventures, notamment notre fameuse partie contre le Spartak où on s’est fait torcher comme attendu, mais j’ai marque deux points superbes. De toute façon, c’est pas des vrais amateurs ces gars là, ils sont payés, mais pour la troisième mi temps, on les tient sans problème, et la réputation de la France est maintenue au plus haut niveau international. Julien, lui, a fait chômeur durant l’été, attendu que sa boîte happyzob a fermé, faute de réussite du modèle économique, qu’était pas très économique et moyennement modèle. Il a eu quatre sous.
Il se demande s’il doit faire travailleur dans une filiale e-biz d’un opérateur leader, bien payé, c’est déjà ça. Ou bien consultant pour il ne sait pas qui, mais doit y avoir déjà du monde sur le marché. Ou bien glandeur on line, il est bon, ou mercenaire hacker abruti pour le compte de régulateurs musclés. Je lui dis que tout ça n’est pas incompatible, sauf le dernier qui est bas de gamme pour sa qualité, moi j’arrive à faire plein de choses je ne sais même pas comment, mon papa pareil, sa compagne idem. Suffit d’être chef de chefs, ou expert, ou intermédiaire. Attention, c’est du travail, faut pas croire, mais comme qui dirait du travail qui ne se voit pas, qui se fait comme à notre insu, une heure par ci une autre par là, à la fin de l’année ça fait beaucoup, on ne s’est pas rendu compte…Julien ne veut pas être chef de chefs, tant mieux il ne sait pas déléguer, il pense que ce n’est bien fait que par lui, comme tous ceux qui restent non chefs de rien, ou faux chef à 80 heures hebdo, faut bien finir le boulot des autres.
Expert il veut bien, d’ailleurs il connaît tout sur des sujets atomistiques qui doivent bien être vendables en cherchant bien. Et puis, expert, ça flatte, la preuve, il y a plein d’experts autosatisfaits sur le réseau. Intermédiaire, c’est plus dur à concevoir. Je lui dis qu’il pourrait vendre ses copains co-licenciés à des chasseurs de petites têtes, j’ai des adresses, ça peut rapporter 20 KF la petite tête. Ou les recruter pour les louer en régie. Mettons qu’ils te coûtent 1500 à 2000 F/jour en moyenne et que tu les loue 3000 à 5000, même avec des frais en sus, et des périodes sans, ça laisse un peu. Et puis là, tu es DG c’est flatteur aussi, regarde tous ces gens qui se disent DG au lieu de gérant ou secrétaire général. Mais louer des gars, faut créer une boîte et Julien, fils de passeuse de wassingue et confectionneuse de fort café pour les hommes dans les corons, il peut pas. Et ce genre de conversation, ça le déprime, plus qu’une envie, retourner on line chatter avec sa fiancée et ses potes qui ont des idées sur le kernel et le cybersexe.
Histoire de l’amuser, je lui dis qu’il peut aussi placer ses sous de licencié en bourse, ça s’y prête bien, ça a baissé pas mal. Vous connaissez l’adage boursier, acheter au son du canon et vendre au son du violon, ces gens c’est pas des sentimentaux avec l’argent, c’est que des sentimentaux avec les sentiments des autres, dans les médias, quand il faut incrémenter le compte de sensiblerie. Il est dubitatif. Combien ? Je lui dis que la baisse a été de 7.39% à Paris il y a quelques jours, on a on a fait mieux depuis, et 7.13% aussi à New York. A la louche, l’indice CAC40 doit bien être à 40% de son plus haut, bonne marge. Bon, c’est pas tout, mais quel genre d’actions ? Julien penche vers du sûr, type assurances, ces boîtes, même quand elles doivent payer beaucoup, elles se remboursent au bout du compte sur les primes. Et les compagnies aériennes, ça doit marcher, il y a de plus en plus de genres de clients différents, démocratisation, quoi. Oui, et les télécom, internet, attendu que ça nous coûte la peauduc, doivent avoir du pognon. Et du luxe, c’est français ça, on est forts, là dedans, comme dans les troisièmes mi temps.... Je le détrompe incontinent, ça c’est pas tout bon, vaut mieux du sûr plus sûr, l’agroalimentaire, ça y en a toujours besoin, surtout si des gens font des provisions de yaourts pour l’hiver, et puis il faut réfléchir aux marchés tendus.
Nickname est pas con, contrairement à ce que d’aucuns pensent. Il opterait bien pour le bâtiment, compte tenu que si on en casse faut le reconstruire. Bien vu. Et la cimenterie, même ligne, le verre aussi. Il n’y a pas d’actions pour les notaires ou les avocats, dommage, car si çà meurt il y a des héritages et des contentieux. Et la pharmacie, ça doit être bon aussi, et les armureries, les chapelets, les marbriers, finalement, il y a le choix. C’est bien, il est dans le bon sens de raisonnement, il va y arriver, à placer ses quatre sous. A la réflexion, les hévéas ça a monté, idem de la construction mécanique et du sucre. Les investisseurs s’attendent manifestement à une diminution du diabète et au grand retour à la mode des bottes en caoutchouc, des montres mécaniques et des moulinets de canne à pêche. Une vie plus proche de la nature, sans doute. A suivre.
Une idée de stratégie micro patrimoniale en entraînant une autre, vous savez ce que c’est quand on glande avec une bière de Saint Omer (tiens la bière ça doit être bon aussi, si on déplace des hommes, faut bien déplacer de la bière, des conserves, des lunettes de soleil etc.), il me demande si j’ai lu le dernier opus de Lucia Mihailescu, dont Lili est fan à donf. Non je ne l’ai pas lu, il est imprimé à compte de copains chez Radu, imprimeur chef à Cluj-Napoca, et recordman des bières de nuit, on avait pu le constater in vivo en juillet au mariage de la cousine de Lili, et la diffusion est aussi lente qu’aléatoire. D’ailleurs il n’a plus mon adresse il a écrit un mot d’amour au dos de ma carte de visite, pour tenter de séduire une moldave du sud (qui, du coup, a mon adresse, héhé).
Il me dit que notre amie s’est lancée, avec l’opus quatre d’Epilogies (l’opus un est publié en France mais je ne sais plus où), dans la stratégie. Oui, parfaitement. Une parabole, me dit-il, tu connais ? Tu parles, les paraboles, les hyperboles, les asymptotes, les affines et les pare-affines, les intégrales, les floues, les poussières de Cantor, les régressions log linéaires, le test de Durbin Watson, et j’en passe pour ne pas lasser le lecteur, je connais que ça, même qu’on me paie du fait que je les ai connues un jour, ce qui me fait parfois bizarre. Il me corrige, non t’es con, je cause des paraboles comme dans les fables ou les discours de PDG ou de prophète, quand on dit quelque chose pour parler d’autre chose, et que tu sens le sens. Oui, je connais aussi, vas y Julien.
Voilà, Lucia cause d’à l’époque où la planète machin était divisée en cohortes, y en avait plein, avec des noms marrants, la cohorte des gros mastars, des ptis bastards, des éduléens, des mazics, des bitoks, etc. Elles se vendaient et s’échangeaient des trucs, elles appelaient celà commerce, et veillaient à l’ordre chez elles, éventuellement chez les autres, désignant ceci de mots inconnus ici et intraduisibles, police ou civilité. Bon, un peu comme des maffias avec les familles, mais faut pas dire le mot, sinon, on a des ennuis. Il y avait celles qui préféraient le bleu, ou bien le jaune, ou le vert aussi. Et puis des dégradés de tons. Et aussi ceux qui aimaient à la fois l’un et l’autre mais pas le demi ton au dessous du troisième etc.
Pour compliquer le tout, il y avait aussi des appartenances transversales... On les appelait les pipins (littéralement, en langue vulgaire, celui-qui-vit-dissimulé), et des réseaux de pipins vivaient dans des cohortes diverses, et semaient la merde de grave manière, au nom de l’interprétation d’une transcendance locale dont nous n’avons pas l’équivalent sur terre. Même une fois carrément ils causent un très gros souci chez les mastars de l’ouest, dits les gros pour les distinguer des mastars fluets.
Grave vraiment. Donc les gros mastars ont décidé de niquer les pipins, mais comment faire ? Normalement, pour régler les comptes, les cohortes se font un truc qu’elles appellent la ouare, celui qui gagne la ouare a niqué l’autre et voilà. Vae victis, comme disait le gaulois qui causait le romain aux oies du Capitole. Mais les pipins ne sont pas une cohorte, il sont dans des cohortes, et même où on ne s’y attend pas, ils font semblant de rien, on appelle ça un réseau labellaubois, et on peut pas y voir. Pour y voir, et les niquer, faut qu’ils se manifestent. Alors le problème des gros mastars, c’est que les pipins se montrent, mais quand ils se montrent, c’est pour niquer aussi, évidemment, ça fait des dommages, un coup ici, un coup là.
Les chefs sont intelligents forcément. Ils ne pensent pas que c’est bien fait que par eux, comme Julien, ils pensent que c’est mieux fait par les autres qu’on envoie faire... Ils ont concocté une combine marrante. Si tu veux niquer tous les pipins, faut qu’ils se montrent partout d’un seul coup. D’abord, faut des alliés dans les transcendances et les cohortes, même celles où se trouvent des pipins, de sorte que les gros mastars agissent au nom de tous et pas juste pour leur boutique. Ensuite faut attraper la cohorte qui a le plus de pipins et qui est la plus seule et têtue et la niquer. De ce fait et ipso facto tous les pipins de partout vont sortir du bois de la belle pour soutenir l’autre, et on peut alors les niquer avec nos alliés des cohortes alliées. Oui, bonne idée, mais les pipins qui sont dans des cohortes alliées, ils vont attaquer la cohorte alliée là où ils sont ? Yes sir, ça les apprendra, ces alliés ! Pas sympa pour les alliés, mais à la ouare comme à la ouare.
Les petites cohortes n’en mènent pas large. Soit elles sont dans les alliées, et leurs pipins furieux vont essayer de les niquer elles, au lieu d’aller le faire ailleurs comme d’habitude, soit elles sont dans les pasalliées c’est gros mastar qui va les. Tout calcul fait, après tout, ce ne sont que quelques tourments provisoires, et depuis le temps que les pipins sont tolérés et qu’ils ne rapportent rien… Donc on a fait l’alliance des cohortes sauf une ou deux, et on a balancé la sauce.
Nickname s’arrête là et jette sa canette en habitué du lancer en poubelle, sa seule activité physique avec, bien sûr, le transport de machines. J’objecte les faiblesses, sur les plans idéologique et économique, de la fable à Lucia, et son relativisme suspect, il n’en a cure. Bon, et la suite alors ! Il me répond qu’après c’est moins bien, Lucia elle se moque de ceux qui veulent participer et faire le bien, quoi.
Voilà, dans les cohortes des mastars il y a des jeunes gens sains comme toi et moi qui veulent participer à l’action contre les pipins et un truc qu’on appelle chez eux la Move Hanse, une sorte de guilde, je pense. Alors les éléments sains de la société, attaquent la Move Hanse en ligne, et que je te déface sévère (tu comprends pourquoi on les a nommés amicalement les défacator), et que je te dénonce les abonnés de listes de diffusion, tu peux pas être contre, hein, faut bien leur faire voir.
Lucia, c’est ça qui me déçoit, elle a l’air de dire que c’est rien que des ptites têtes, alors que quand même elle y connaît rien, elle croit que windows, c’est un système d’exploitation, mouarff. Je ne réponds pas à Julien sur son thème d’élection, qui énonce l’incompétence pour déqualifier l’opinion. Pour lui, s’il y a une loi sur le réseau, seuls doivent voter les internautes de plus de 5 000 heures, pour rester ouvert, ils y connaissent. C’est son côté merdeux inculte et tendanciellement techno despote, n’insistons pas.
Après, poursuit mon (néanmoins) ami, la bande des défacator réussit à dénoncer tellement que c’est la merde partout. Tiens, même que des gars d’associations anticons, ils sont allés sur des sites de cons, on l’a vu sur leurs bécanes en espionnant, allez, hop, suspects d’être dans des réseaux labellaubois, ceusses qui quand ils se réveilleront le monde trembleront. Ensuite, parceque c’est marrant et intéressant, on a dénoncé les voisins et les collègues, puis les collégues des voisins, et enfin leur chien, mais juste les salauds, hein faut pas croire, en utilisant l’anonymat, qui est une valeur fondamentale du net avec la liberté d’exprimer les saloperies, ça chiait sec. Ben même ça chiait tellement que ça a fini par poser problème à des mastars marchands inquiets, qui ont donc niqué les petits cons qu’ils soutenaient la veille quand ça les arrangeait. Oui, ils leur ont fait l’identification préalable, la crypto décryptable, les enregistrements, les perquises électroniques, tout quoi. Hon-teux ! c’est à plus avoir confiance en rien.
Je lui demande pourquoi il appelle celà une parabole, il me dit noblement que ça doit en être, à moins que l’on dise métaphore, mais c’est pareil. Il sent l’opprobe dans mon silence, et me dit que les mots n’importent pas pourvu qu’on se comprenne, aggravant son cas. Nickname je l’aime bien, mais des fois... Pour changer de sujet, et de type de stratégies, je lui demande pourquoi il lit La guerre des Gaules, qui traîne sur son lit défait. Il me réponds mi piteux mi amusé que c’est un bouquin oublié par Lili, et qu’il pensait que c’était genre les onze mille verges, vu que les gaules, hein...
Ca n’a rien à voir, mais quand même, il y a des trucs intéressants et paraboliques, que les arvernes et les éduens, ils se sont faits niquer par ceux qui connaissaient mieux les techniques, comme quoi, hein. Ah ça alors, je ne l’avais jamais encore entendu. Comme quoi, comme dit le stratège (du grec strategos, d’où l’adage timeo danaos...) tout peut servir à avoir raison. Allez, salut Julien, à la prochaîne, on causera des onze mille gaules, c’est mieux...