Sur le site du gouvernement consacré à l’internet, on apprend que « Le Premier ministre présentera, le 12 novembre, les principaux axes de l’action gouvernementale en faveur du développement de la société de l’Information… ». Une première angoisse est levée : il s’agit d’axes (principaux) en faveur. Ouf ! Mais le suspense serait intenable si l’on n’en savait pas plus. Fort heureusement, le contexte de la présentation des dits axes est indiqué, ce qui nous rassure. En effet, la révélation de la relance a lieu « …devant 1000 dirigeants d’entreprises innovantes »…
If no bizness, then no future
Foin des associations subventionnées des « acteurs » de l’internet, représentant la « société civile », des réunions tristes sur le bord des lacs lénifiants et toute cette sorte de chose. Le développement de la société de l’information, c’est d’abord le bizness, et on remercie le premier ministre de rappeler cette crue réalité. Bien entendu, il y aura d’autres choses dans le développement de la société de l’information, mais débuter par cet aspect constitue un message fort. If no bizness, then no future, c’est parfaitement logique.
Mais comment choisir 1000 (mille) dirigeants d’entreprises innovantes ? Pas compliqué, il suffit de s’adresser à un organisme qui en regroupe suffisamment, et ne pas être formaliste sur le terme de « dirigeant ». « …un parterre de 1000 dirigeants d’entreprises innovantes, affiliés à l’Electronic Business Group… ». Voilà bien un acteur, même un méta acteur, mais qu’est-ce-que c’est , ce machin ? C’est (voir leur site, qui est gentiment lié sur le site du gouvernement) « un club d’affaires de managers innovants, qui réunit les principaux acteurs de l’Industrie, des médias, des services et des nouvelles technologies » . C’est écrit dessus "managers innovants", et de l’industrie d’abord, avec majuscule. Celui qui sert de président est Pinault, pas celui des San Antonio, celui du groupe qui porte son nom, plus Printemps, plus Redoute (soit PPR), rien que de l’innovant à perte de vue, bien que peu industriel.
On retrouve dans la liste des membres de cette association tout ce qu’on peut s’attendre à rencontrer en ces lieux. Innovants, peut être, performants, c’est autre chose. Le lecteur attentif repèrera quelques acteurs dont on a pu apprécier le triste destin. Vivendi Universal, par exemple, endetté jusqu’à la moelle des os, des filiales de FT, dont certaines dans la même situation, des fleurs fanées de la netécomisance. Tiens Lycos, vous connaissez, une action à deux balles (0.35 euros à la Bourse de Paris ces jours-ci pour Lycos europe, avec, avanie supplémentaire, un conseil à la vente du panel Les Echos !), Libertysurf, Kelkoo, Keljob, Vizzavi, voyez le genre. A côté, il y a les copains du Pinault qui n’est pas des Charentes, soit des entreprises banales du CAC 40, vachement innovante au fond de leur cœur, et tout ce qui ne veut pas risquer de ne pas paraître dans le coup, genre ANPE. Triste ? Pas du tout.
Tant il est vrai
- après networking
que le groupe des affaires électroniques a un sens de l’humour appréciable. Car que fait le club ? « Ses activités s’organisent autour de dîners de networking et de commissions spécialisées ». Oui, il y a deux dîners/an pour les uns, un trimestriel pour d’autres, ce qui fait en tout un dîner bimestriel à organiser, si j’ai bien compté, sacré boulot. Mais attention, bouffe de networking, pas bouffe pour rigoler avec des créatures. Je n’ai pas eu communication de la composition des repas, sinon, je vous aurai donné les ordres du jour détaillés, tel œuf mayo, poisson pané coquillettes, fromage demi sel et pomme, par (très improbable) exemple.
Nous sommes tous des militants de l’Internet
Mais on daube, c’est le cas de le dire, alors qu’il s’agit d’un organisme militant. La preuve, début 2000, le responsable de ce groupement de start-ups (dixit le journal du net) a demandé à être reçu par le Premier ministre et le nouveau ministre des Finances pour leur faire part de la grande hostilité des créateurs à l’égard d’un amendement, suite à l’affaire de Jaffré (pas celui d’expression publique, l’autre, qui a réussi) PDG d’Elf qui avait « exercé son option » (c’est à dire clairement palpé près de 200 millions de francs de stocké, ça avait troublé le populo). "Cette nouvelle fiscalité risque de briser un élan et de mettre un couvercle sur la nouvelle économie en France", estime-t-il, "les start-ups ont réussi à bien s’entourer en débauchant des cadres de grands groupes mais si on supprime l’avantage des stocks options l’essor de ces sociétés s’arrêtera net". Depuis, il est vrai que ça s’est souvent arrêté là, même en « débauchant » (ce qui est interdit dit comme ça, mais il n’y a pas eu de procureur pour se saisir du délit avoué) mais pour d’autres raisons… Même les grands groupes, pas vaches, en ont racheté, de ces start-ups et réintégré ainsi d’ex DG comme cadres ordinaires (courageux mais pas téméraires, les managers innovants)...
- Silo à stock-options
militantes
Les militants de la création (on ne dit donc plus start-up, comme en 2000) sont engagés à participer en forum pour s’exprimer, ce qu’ils font, pour beaucoup, dans la même logique de mauvais manager : si ça ne va pas, c’est la faute de l’autre, spécialement du fisc. Trouver que l’on paie trop, ou que l’on ne reçoit pas assez, est ordinaire et d’autant moins blâmable que c’est mesurable, donc raisonnablement discutable. Parfois, c’est la faute d’autre chose, et on peut voir ainsi une partie de l’idéologie de la France d’en bas de soie (ou qui s’y voit), qui n’aime pas l’éducation, ni le social :
Créer son entreprise est un rêve partagé par beaucoup et il serait facile d’accroître les vocations si les enseignants encourageaient les vocations au lieu de critiquer l’entreprise, le profit et encourageaient sans discernement les jeunes à faire des études qui ne servent souvent qu’à leur apprendre le non travail.
Aujourd’hui, la dérive vers « le tout social » a entraîné la gabegie étatique et l’enrayement des initiatives.
Mais on est réconforté de voir les militants proposer des « axes » de lutte :
C’était donc bien une folie générale (l’homme n’est jamais dangereux qu’en groupe), dont on ne sortira que par une action collective. Sic. Elle est belle celle là.
Devenons inimitable, cassons la stratégie du mouton de panurge qui risque fort bien de nous entrainer dans une abîme. Ah, pas mal aussi...
C’est beau, le premier ministre va trouver à qui causer. Et ce qu’il dira, vous pouvez l’imaginer déjà, mélange de truismes et de petits morceaux de grandiloquence matoise. La vanité et la suffisance sous le mouchoir. Son conseiller ad hoc, qui est présenté sans intention humoristique comme, entre autres, ancien vice-président de Spray France (une belle réussite, allez sur spray.fr, vous verrez où vous tombez, sur l’action à deux balles…) saura lui prêter les mots qui vont droit au cœur de ceux qui veulent jouer le retour masqué de l’homme qui a vu l’homme qui a vu la nouvelle économie. Farceurs, va...
Notre conseil citoyen
Mais soyons positif aussi, et participons à la confection du discours, comme un acteur citoyen responsable qui ôte sa pierre du jardin de l’autre (au lieu que de l’y jeter, comme font les mauvais) pour contribuer à l’érection sociétale de l’information.
Jean-Pierre, à ta place, je joue le coup comme ça. Tu débutes par des généralités vaseuses qui n’engagent à rien, par exemple « La mobilisation pour le partage des nouvelles technologies est une exigence », et blablabla. Ensuite tu poursuis avec ta Marque « le concept de la France d’en bas est différent d’un concept économique. Trop de gens ont le sentiment de ne pas avoir droit au chapitre. Trop de murs sont dressés dans la société française .. », et blabla. N’hésite pas à parler de concept, ça relève le niveau de ta catégorisation, peut être même peux tu en faire un modèle, voire une théorie.
Un petit positionnement conventionnel, qui ne mange pas de pain « Je suis naturellement attaché à ce que l’Internet reste, dans notre pays, un espace d’expression aussi libre que les autres », avec son pendant obligé « Notre démocratie doit avoir les moyens de traquer ceux qui détournent cet outil pour prôner le racisme et la xénophobie, alimenter des réseaux pédophiles ou préparer des attentats meurtriers ». Remarque que les attentats, même pas meurtriers, c’est interdit, mais autant monter la barre. Tu peux dire sanglants si tu veux, ça vaut aussi.
Ensuite il est temps de dire quelque chose de concret, pour montrer qu’on ne fait pas que causer, mais qu’on agit « Un premier projet de loi permettant de régler les principales urgences, et en particulier la transposition de la directive "commerce électronique", sera donc présenté au Parlement avant la fin de l’année ». Commerce, bizness, c’est bon ça, et continue avec les problèmes de sous, pour les demi pauvres qui n’ont pas le haut débit, « 30 e, cela reste cher - d’autant que nombre de nos concitoyens perçoivent encore insuffisamment les bénéfices du haut débit. ». Oui, hélas, bien souvent les gens perçoivent mal, il faut les aider, la malperception est un fléau du temps...
On arrive vers la fin, il est temps maintenant de dire l’essentiel à ton auditoire bien choisi « Le président de la République a promis que tout serait mis en œuvre pour que l’on puisse accéder à l’Internet à haut débit dans chaque commune de France à l’horizon 2007 (…) le gouvernement étudie actuellement tous les systèmes technologiques et de financement susceptibles d’accélérer le déploiement du haut débit ». Voilà, système de financement, ils ont compris le message, il y a de l’artiche à se faire, et même de l’oseille, de la fraîche,
du pognon, du blé, du flouze, des piastres, dans le loco régional, avec les communes et les départements.
- Meilleure "supporter" du mois
Tu finis par une connerie ordinaire, simple et de bon goût, à destination d’un public cible, par exemple « Pour les nouvelles technologies, les meilleurs supporters, ce sont les jeunes ». Vas y carrément, ne t’en fais pas, ils n’écoutent pas, mais si tu préfères, tu peux dire « les seniors », ou bien « les femmes, les citoyens etc. ». Suffit de fabriquer une catégorie, tu sais faire...
Bon, tu l’as déjà raconté dans un entretien, tout ça, le lien est même sur le site officiel de l’internet gouvernemental, je n’ai pas de mérite. C’était juste pour te dire de ne rien changer fondamentalement, tu peux ajouter un couplet sur l’entrepreneuriance, la simplification de l’administration, la baisse des charges, un autre sur la sécurisation des transactions, la signature électronique, un chouïa de gouvernance et c’est tout bon. On va pas se casser le machin et risquer de trop en faire pour des axes, principaux et en faveur. Les routines, JP, juste les routines...