Sans vouloir faire de critique systématique de la publicité, force est de reconnaître que le rôle central qu’on lui accorde dans les futurs développements du net incite à se poser quelques questions.
Rien à payer, accès gratuit, communications à l’œil... Le paradis du net libre et sans facture se rapproche chaque jour. Les cow-boys des start-ups, (pardon, les garçons vaches des jeunes pousses) essaient d’encercler un maximum d’utilisateurs pour les diriger vers leur corral à eux et les marquer au fer rouge électronique.
Pour l’instant, tout n’est pas encore au point, des zappeurs passent d’une maison à l’autre ou sont comptabilisés dans plusieurs cheptels à la fois, mais pas tant que ça, une adresse électronique qui commence à servir, on hésite à en changer. « Qui sait si cette personne à qui on a glissé son adresse un soir de liesse ne va pas vous adresser un jour un petit courrier ? »
Bien sûr, les gros rebelles ont compris le truc dès le départ et s’inscrivent souvent sous des noms fantaisistes. Il suffit de quelques minutes pour ouvrir une boîte e-mail sous un nom factice avec une adresse bidon à Zanzibar ou à Valparaiso, les menus déroulants incitent même à des comportements déviants en vous proposant de résider dans des états aux noms aussi attractifs que le Kiribati, le Tokelau ou le Vatican. En résumé, ces machines sont très tolérantes avec les fausses informations.
Bien sûr, dans les « Conditions d’utilisation du service » que très peu d’utilisateurs regardent, (reconnaissons-le, il est plus facile de cliquer sur « j’accepte » plutôt que sur « lire les conditions »), il est précisé que vous devez donner vos noms et adresses véritables, sous peine de radiation. Je n’ai pas l’impression que les moyens, et encore moins l’intention, de vérifier les états-civils existent aujourd’hui. Peut-être aussi qu’un site qui compte sur la vente de données concernant ses utilisateurs (ça aussi, c’est écrit en petit dans les conditions que personne ne lit) va préférer vendre de la donnée en masse, sans trop vérifier la qualité.
Il y a toujours un certain plaisir à imaginer qu’on est le grain de sable dans le rouage, qu’on flingue le business model d’un jeune crétin avide de grosses voitures et d’un actionnaire avide de grosses plus-values. Il est réjouissant de penser qu’on va faire un peu de tort à tous ces double zéro.com (ça doit venir de là, le OO tant à la mode) qui comptent sur la vente des données clients pour enrichir leur concessionnaire spécialisé en voitures allemandes. Mais, pas facile d’être un cyber-rebelle sans faire gagner d’argent à des cyber-crapules.
Voici comment, toi aussi, ami rebelle, tu enrichis ton fournisseur d’accès
En fait, même sous le joli nom amusant de hildegarde-lanaunimat@club-internet.fr tu fais déjà gagner de l’argent à des gens qui ne sont pas a priori des bienfaiteurs de l’humanité. En l’occurrence, la maison Lagardère, qui a réalisé 3125 euros de plus-value par tête d’abonné à Club Internet [1]. Et rien n’empêche d’imaginer que cette manne ait pu être investie dans la mise au point de nouveaux missiles, une spécialité qui fait le renom de la maison Lagardère auprès des galonnés du monde entier.
Oui, mais un accès internet plus de l’espace pour ton site perso avec les photos des vacances de ton chien et de ta collection de Tours Eiffel en allumettes, cela demande des machines et des salariés, donc des sous... Alors, pourquoi ne pas faire appel à des gens qui sont toujours prêts à en donner ? Les publicitaires, par exemple...
Pourquoi se méfier quand la pub veut votre bien ?
L’un des problèmes avec la pub, c’est qu’il y a pas d’action désintéressée à en attendre. Une entreprise qui finance une activité par l’intermédiaire de la publicité ne subventionne pas, elle « investit ». Pour vous convaincre que ces gens là ne rigolent pas du tout, allez faire un tour sur les sites des marchands de pub spécialisés dans l’internet. Ils ne vous parlent que d’audience, de retour sur investissement, de ciblage, des nouvelles techniques d’infiltration...
Ainsi, on y apprend, qu’Altavista affiche des bandeaux publicitaires en relation avec la nature de la recherche demandée à son petit moteur... Donc quel que soit votre centre d’intérêt, la première réponse d’Altavista sera d’en montrer le côté commercial, afin d’aiguiller le bétail non pas vers les grandes plaines où l’on surfe sur de belles et libres vagues numériques, mais dans un petit enclos où le message de l’industrie va lui être administré. J’ai fait le test avec « jolies fleurs » sur altavista.com, tout de suite un petit bandeau avec des fleurs apparaît et si l’on clique dessus, on se retrouve chez Interflora... En plus, le premier site sélectionné est un autre site de vente et livraisons de fleurs... Mais les bandeaux, dont déjà la pub se plaint qu’ils n’attirent plus grand monde, sont en passe d’être remplacés par de nouvelles merveilles. La page interstitielle est le prochain de ces gadgets : un message publicitaire sur une page entière qui s’affiche quelques secondes avant d’atteindre le lien demandé par le surfeur (quelques secondes, en langage publicitaire, ça veut dire 20 ou 30, le temps de s’envoyer un spot de pub complet).
Su-sucre pour les chiens, con-contenu pour les internautes
Le contenu va bientôt n’être plus qu’un mal nécessaire pour faire venir le client, pardon, l’internaute.
C’est vraiment un nom con internaute. Je veux bien savoir si quelqu’un a déjà rencontré, ne serait ce qu’un seul internaute ? Pourtant, ça doit en jeter, des cartes de visite avec internaute marqué dessus. On dirait le nom d’un peuple mythique, comme Atlante, Amazone ou Européen..
Bon, le connecté, toi, moi, lui... devenu le bétail des nouveaux pâturages numériques, est incité à venir brouter ici plutôt que là, à venir poser son museau là où le « contenu » l’aura attiré : par exemple, pour découvrir les meilleures recettes de cuisine d’Eric Cantona, des photos de Mickey et Minnie nus, des MP3 des remixes des déclarations les plus drôles de Jack Lang [2]... bref tout ce qui peut attirer des badauds en quantité. Donc, une fois notre badaud attiré... Pan, on lui fait le coup de la page interstitielle : un film sur les barres chocolatées aux OGM, les chaussures préférées des dealers branchés ou les nouvelles tendances du prêt-à-penser sponsorisé.
OK, tu manges gratis, mais après ne viens pas te plaindre si la bouffe avariée te file des maladies.
C’est là que nous retrouvons nos prions baladeurs... La pub fonctionne exactement comme une maladie, on parle d’exposition à un message comme d’exposition à une source virale (il y a même des publicitaires, eux-mêmes très atteints, qui parlent de marketing viral pour des cas de transmission de pubs par le public lui-même - exemple simple : l’e-mail gratuit qui introduit la pub dans la correspondance privée en ajoutant une petite phrase en bas de page dans chaque courrier). Le marché quasi faustien qui se conclut entre le promeneur virtuel et les forces vives de l’industrie est le suivant : d’accord pour te donner de petites récompenses de temps à autre, mais en échange, tu me laisses introduire des corps étrangers dans tes pensées. J’en entends déjà qui disent « même pas mal... moi ça ne me fait rien... » A ceux-là, je demande de commencer par regarder ce qu’ils ont à leurs pieds, sur le dos ou dans leur frigo et de vérifier que dans tout ça il n’y a pas de produits dont l’achat n’a pas été influencé par la pub (je sais, c’est un peu douloureux de le reconnaître).
Ensuite, s’il était si simple d’éliminer de son paysage mental les traces de ces messages publicitaires, pourquoi les marques paieraient-elles si cher leur ticket d’entrée dans notre cerveau ?
Alors, rêvons à un internet bio, garanti sans additif intempestif, d’où le désir de dicter à autrui la liste de ses courses ou la nature de ses pensées serait absent.
En ce qui me concerne, sans rien vouloir dicter à personne, ça me plairait de contribuer à répandre l’idée que la pub n’est pas un petit spectacle sans gravité, mais bien un rouage central dans l’exercice du pouvoir par les entreprises.