Ce n’est pas tous les jours, ni même tous les ans, que je trouve dans ma boîte un vrai faux (?) mail de Ministre de la République. Le premier d’entre eux, qui mieux est. Primus inter pares, comme disait Auguste quand il faisait son faux vrai modeste, pour dire je suis le chef. Je vous livre la prose de mon expéditeur, telle que, sans rien garantir de l’authenticité. Bien que…Je suis troublé, tout de même.
Cher Tiresias,
Ouf je suis rentré après la soirée du discours sur l’internet, et je viens te remercier. Ton petit article (je te tutoie comme il faut faire dans les e-mails, m’a-t-on dit) censé me conseiller dans une revue en ligne a finalement achevé de me convaincre, quant aux axes propres à développer la société anonyme de l’information. Certes, je ne te cache pas qu’au début, une irritation sourde me saisit, de quoi se mêle-t-il çuilà, ce Grec, je ne consulte que qui je veux consulter, et si je veux, d’abord ! sinon à quoi bon être Premier, autant être secrétaire des tas.
A la réflexion, phase toujours difficile, surtout après repas de networking et pousse café, je vis les choses autrement. Et puis il est toujours bon d’annoncer qu’on a réfléchi avant d’affirmer quelque chose. Pourquoi s’emmerder quand on peut faire simple et proche du peuple, pourquoi tourner autour du pot quand on peut s’y asseoir tranquille, si un brave garçon, qui connaît le net semble-t-il, m’indique la voie, allons y ! Et si je disais finalement des bêtises, eh, la face du monde en serait-elle changée ? Non, n’est-ce-pas. Il y aurait juste un article dans le Monde, intitulé par exemple « L’ambiguïté maîtrisée du Premier Ministre », avec développements sur le sens profond (mais pas trop) de la chose. Je les connais, les communiquants.
Je demandai donc à mes conseillers et rédacteurs de discours de jeter leur prose au panier, et de me confectionner une petite chose sans prétention à partir de tes indications. Car je suis pragmatique, moi, ça vient je crois du latin pragma qui veut dire action, affaire, bref Bourse quoi (t’as vu, plus .36 aujourd’hui 12 octobre, c’est mieux que rien).
Et vois tu, je m’en suis trouvé fort bien, il ne faut jamais trop compliquer les pragmata, la France aime la rude simplicité du bon sens. Mon auditoire, des gens très gentils ma foi, a apprécié les axes, comme on dit chez moi, ça roule Raoul, héhé. Ils auraient apprécié n’importe quoi, bien sûr, trop heureux que je vienne sans commencer par dire qu’une « importante obligation de dernière minute m’obligeait à les quitter plus tôt que je n’aurais souhaité et blabla ». Enfin, n’importe quoi, façon de parler, hein, je leur aurais proposé la révolution prolétarienne, à l’ancienne avec bourgeois au poteau, Sibérie etc. ils auraient râlé. Mais tu me connais, accroche toi je vais te faire rire, …je n’ai jamais essayé de me faire passer pour une femme de gauche [1]. Haha.
Tu me conseillais de débuter par une niaiserie généraliste quelconque, finalement j’ai préféré répéter cette manière plusieurs fois, tant son effet est agréable avec un parfaite économie de moyens. Au début, classique :
« Votre présence en si grand nombre aujourd’hui est un signe de la vitalité... ».
Bon le nombre était préformé, certes...mais l’auditoire était content.
J’ai dit aussi qu’il fallait « Libérer les énergies, créer la confiance et soutenir l’innovation », « construire une société de l’information partagée, une société de l’information pour tous », « donner un nouvel élan », en effet « il y a urgence car la France est en retard », « Il n’est plus temps de rêver, il est temps de construire », ça ne coûte rien, puis claude Imbert n’aura pas trop à se creuser pour son édito.
Et aussi, tu vas rigoler : « Gardons nous de prendre une convulsion passagère après la fièvre pour une agonie », « Regardez bien au fond du flacon d’où est sorti la bulle internet : vous verrez qu’il y reste encore beaucoup de savon. ». Ils étaient contents comme tout ! On peut vraiment dire n’importe quoi, c’est fun ce job, comme on dit chez toi. Me suis défoncé, et je dois t’avouer que moi aussi, je suis bien content de ma métaphore : le flacon qu’est encore à moitié plein (terme qui a rassuré les investisseurs arsouilles au fond de la salle), la bulle (c’est joli, léger, printanier, on sent la Nature qui bourgeonne et gazouille), le savon (c’est propre, comme de l’argent). Je sème à tout vent...Pas comme Onan hein ! Non, l’Etat a encore beaucoup de savon pour que d’innocents enfants fassent de jolies bulles.
Tu me disais de parler d’action concrète, voilà, j’ai causé d’un projet dont tu appréciera le titre « RESO 2007 », comme l’autre portail, presque, hihi. Un peu novlangue mais je suis sûr qu’un grand éditorialiste comme monsieur Val (ce sympathique chansonnier) appréciera. Et puis avec 2007, on évite le bug de l’an 2000, c’est important.
De parler de sous aussi, et je n’y ai pas manqué, que veux tu, les pauvres veulent en avoir plus, les riches aussi, comment contenter tout le monde ? . « Il est aujourd’hui aussi sûr de payer ses achats sur Internet avec une carte bancaire (...) que sur le minitel », sachant que « Les peurs exprimées par les Français à cet égard comporte une part d’irrationnel » (sic). C’est bon, ça, non, à part la faute ? « Améliorer le financement des projets : les Fonds d’Investissement de Proximité et les mesures en faveur des investisseurs providentiels ». Là, t’es scié, « investisseur providentiel », je l’ai trouvé tout seul ; du moins grâce à la Providence.
De causer de création, « Pour répondre à vos attentes, le Gouvernement a souhaité faire de la création d’entreprises un acte à la fois plus naturel et plus simple ». Il faut prévoir « le relèvement des seuils pour un meilleur traitement des pertes en capital ». Ah ça y en a eu, tu te souviens des startups...
Du haut débit ? Ben voilà : « Notre objectif est que les abonnés à l’internet haut débit soient au moins 10 millions dans les cinq prochaines années ». Ca coûte rien, comme les 30% de réduc d’impôt en 5 ans, c’est que dans 5 ans qu’on a le droit de critiquer si il n’y a pas le compte.
Bonus, j’exonère de responsabilité les intermédiaires techniques (t’es content ? eux vachement) et je définis enfin ce qu’est un acteur, plus besoin de vous casser la nenette pour savoir ce que c’est, d’ailleurs je hais les acteurs, comme le titre du bouquin, sauf certains, regarde je cause de « tous les acteurs (Gouvernement, autorité de régulation, opérateurs, industriels) ». Clair non ? Vla les bons acteurs. Les acteurs de l’internet citoyen, c’est du passé, bon débarras, qui va pleurer ? Quant à ceux de la société civile, me fais pas rire... J’aurais pu dire un mot sur les acteurs du local, j’ai peut être déconné, enfin, pas grave, c’est moi le Premier, après tout.
Voilà, voilà. Evidemment, l’âme humaine étant ce qu’elle est, et les choses ce caleçon (haha), mes conseillers t’ont dans le pif, ma femme n’aime pas trop les Grecs (sauf très anciens, comme Ciceron, ceux de maintenant, c’est plus pareil, hélas, ou bien ceux qui font le sirtaki, tu sais, la musique), mes collègues détestent l’usine et le GPL etc. Enfin c’est la vie, que veux tu, quand c’est ainsi ce n’est pas autrement.
Au fait, tant que je te tiens, t’aurais pas une combine pour de l’Ouzo (non, mais du bon, hein) ? En échange, je te filerai une adresse pour du Napoléon [2] sérieux, qui me sert bien le soir. Comme on dit chez moi, chacun ses oignons et les vaches seront bien gardées. Pragmatique, quoi, et puis je vais te dire, ne répète pas, mais prendre l’homme pour une espèce de con, c’est de l’humanisme pragmatique, d’ailleurs je me suis laissé dire qu’un autre Grec, ou Romain, je me mélange, a dit « tout ce qui rampe se gouverne par des coups » [3]
Bon, time is money, Napoléon m’attend, je te prie de croire etc. etc.