L’affaire Altern (la condamnation de l’hébergeur Valentin Lacambre contre Estelle Hallyday et la mobilisation de l’internet qui a suivi) a profondément choqué le pouvoir politique. Il a découvert, soudain, l’importance que pouvait prendre une mobilisation des citoyens sur le réseau, alors qu’il en était encore à se lamenter sur le supposé « retard français ».
À une décision de justice inadaptée, aux revendications venues d’en bas, ils n’ont pas réussi à répondre rapidement : l’amendement Bloche, adopté à la suite de cette affaire, est bien venu du réseau avant d’être totalement perverti pendant les discussions parlementaires.
Or le pouvoir politique déteste être pris de vitesse, apparaître ainsi dépassé par les événements et se voir imposer sa politique par la base populaire. La maturité du réseau et son poids démocratique l’ont, pour le moins, surpris.
Avec la mise en place d’une autorité de régulation, le pouvoir tente de reprendre la main. « À l’occasion du dépôt par Patrick Bloche, député de Paris, de deux amendements au projet de loi sur la communication audiovisuelle, nous avons pu entamer le débat sur les fondements législatifs de cette liberté d’expression » (Catherine Trautmann, Assemblée nationale, 5 octobre 1999). « J’en veux pour preuve l’amendement proposé, avec le soutien du Gouvernement, par Patrick Bloche, député, qui permet de clarifier les conditions de responsabilité des intermédiaires techniques sur l’internet » (Elizabeth Guigou, même occasion). « J’avais eu l’occasion de m’exprimer sur le réseau à l’occasion de l’affaire Lacambre, dont nous avons tous désormais tiré les enseignements... » (Dominique Strauss-Kahn, même lieu, même date).
« Entamer le débat », « clarifier », « tiré les enseignements », c’est explicite : le pouvoir n’avait pas commencé la réflexion, la situation n’était pas claire pour lui. Situation, on le comprend, inconfortable. Surtout si l’on note que, dans leurs déclarations, s’ils se réjouissent d’avoir soutenu l’amendement Bloche, les membres du gouvernement souhaitent l’« améliorer » ; en réalité, revenir sur son principe même et donner une responsabilité à postériori à l’hébergeur.
C’est dans ce cadre qu’il faut voir la volonté d’imposer une autorité de régulation à l’internet. Cette approche du dossier est dangereuse : le gouvernement veut faire quelque chose dans le seul but, justement, de faire quelque chose. Une nouvelle autorité, simplement pour reprendre la main dans le débat... c’est un peu léger !
À cet empressement soudain, répondons par cette affirmation tirée du rapport du CSA en préparation au Sommet des régulateurs : « il n’y a pas urgence à réguler ». Une loi globale sur la société de l’information et l’internet est en cours d’élaboration, la première phase de consultation vient à peine de se terminer, aucun débat parlementaire n’a commencé : quel besoin alors de vouloir nous imposer, de force, une autorité de censure de l’internet ?