De nos jours, on aime les vacances intelligentes qui permettent de se dégourdir les jambes, les sinus et le cerveau. Aussi ai-je conçu le projet de me rendre à Davos la semaine prochaine pour mon annuelle escapade intello-sportive. Ça tombe bien, vu que c’est là que se tient un forum international de haute volée où l’esprit affamé ne pourrait manquer de trouver gîte et couvert.
C’est ce que je croyais, avant de faire la douloureuse expérience réservée aux étrangers pauvres et aux requérants d’asile : on a beau être honnête, sympa et propre sur soi, on n’est pas le bienvenu partout.
Par magique Internet, j’ai fait savoir à Claude Schjmatchoum le postillonnant maître de cérémonie, mon intention de débarquer à Davos et qu’il eût à s’activer pour me réserver une suite convenable dans un palace de la station.
Ayant cassé ma tirelire, j’étais prêt à faire de lourds sacrifices pour enfin côtoyer des grands de ce monde ailleurs que sous les paniers de basket.Tu parles !
On m’a répondu, avec une certaine hauteur, que tant que je ne ferais pas état d’un milliard de chiffre d’affaire, d’un prix Nobel, d’un portefeuille ministériel et de quelques accointances avec des pontes de la Mafia libérale, je n’aurais pas ma place parmi la globale aristocratie conviée à l’annuelle montée à l’alpage grison.
Déçu mais pas découragé, je me résolus à avoir recours aux services d’une organisation plus jeune, plus débrouillarde et plus décidée à me faire rejoindre la montagne sacrée. C’est aussi sur le Net que je trouvais l’adresse d’une agence zurichoise, appelée Fuck The Forum, et qui voulut bien me fournir des conseils pour accéder au Nirvana davosien.
Ce qui semblait leur faire souci à ces jeunes, c’était le froid et l’humidité car ils me recommandaient vivement de revêtir plusieurs couches de vêtements chauds, des moonboots, des foulards, des gants de protection, des lunettes de soleil et même un masque à gaz. Ils insinuaient que j’avais à me munir d’un solide gourdin, d’un couvercle de poubelle, d’un casque de motard pour éviter les chocs. Ils avaient un souci tout particulier pour les yeux, et prétendaient que je me baladasse muni de citron pour contrecarrer l’action des gaz lacrymogènes. Alors là, j’ai dit stop !
Des gaz lacrymogènes ! Et aspergés par la police en plus ! Pss... Comme si chez nous, en Suisse, la police allait maltraiter les gens qui se rassemblent peinards pour discuter ! C’est parano de chez Parano ça ! Comme si la police, au pays de la démocratie et de la liberté d’expression, – on suppose mais c’est un vrai délire ! – allait se mettre à déconner et à taper sur les gens ! Sûrement que nos autorités laisseraient faire ! Elles sont si attachées aux libertés fondamentales des citoyens - de tous les citoyens, même les plus petits et les plus démunis - que pour les faire respecter, elles seraient capables d’envoyer l’armée !