On dit que l’informatique trouve son origine dans le premier automatisme mis au point par l’homme : le piège à viande.
Pour ceux qui ont manqué le début
Le hasard d’une petite promenade dans les bois avait amené un erectus anonymus à se retrouver nez à nez avec une grosse bête pleine de chair et pleine de dents. Par fortune, la vile proie se trouvait coincée dans un trou, trou dans lequel elle s’était précipitée par mégarde, sans doute coursée par un collègue de notre chasseur primitif, oisif à l’heure de cette singulière et déterminante rencontre. Tandis qu’il assommait nonchalamment l’animal pris au piège à coup de pierres lancées entre deux yeux à moins d’un mètre de là, notre ancêtre eut l’idée qui changerait le monde : SI (je fais un trou avec un pieu au fond et je le recouvre de feuilles pour le cacher) ALORS (le gibier traqué tombera dedans et je trouverai à manger sans coup férir).
L’automatisme venait d’être inventé. Conceptuellement, il ouvrait la voie à l’informatique (traitement automatique de l’information) et à la société de loisirs. Le temps de perfectionner l’un et l’autre, au gré des régimes (tribalisme, tyrannie, monarchie, impérialisme, démocratie), nous retrouvons notre homme - génétiquement parlant s’entend, en train de jouer à la guerre.
Car ce n’est pas le tout de disposer d’un canon, il faut savoir viser dans le mille. Or la chair ciblée, se sachant faible, se planque généralement très loin de là, protégée par un relief et une météo pas toujours dans le sens du massacre. D’où la nécessité de savoir résoudre sur le champ les équations de trajectoires mises au point par quelques penseurs dans la chaleur de leurs études. La balistique offrait là une promotion à l’informatique qui pour être à la hauteur mit les petits plats dans les grands : le pognon coula à flot. Le sang aussi, in fine.
A l’issue de cette Seconde Guerre Mondiale remportée logiquement par ceux qui avaient les meilleures bêtes de sommes (les premiers ordinateurs), on troqua les cibles contre des cœurs de cible : les banques prirent le relais des armées à la tête l’histoire de l’informatique.
Et ainsi les institutions financières calculèrent plus vite les intérêts toujours plus compliqués de leurs clients. Les clients, bluffés, se mirent à colporter dans leur propre usine à dividendes le concept du traitement automatique des données.
Il se posa alors un problème de taille … celle des ordinateurs qui physiquement étaient d’immenses armoires pleines de lampes (éteintes = 0, allumées = 1). Qu’à cela ne tienne, on construisit plus haut les gratte-ciel et on réserva un ou plusieurs étages à un nouveau département : ainsi fut adoubé l’informatique en tant que chevalier du progrès.
Durant les années soixante et -dix, on traita automatiquement toutes les données possibles avec ce qu’on avait, c’est à dire du courage essentiellement (l’informatique sévit dans le monde des affaires depuis 40 ans mais l’écran n’a que 25 ans et la souris est à peine majeure).
Un peu comme le parlement de Strasbourg, rapidement, la seule présence des départements d’informatique justifia leur pré-éminence. Las, les projets utiles commençaient à manquer. Et parallèlement, la contestation du petit peuple, resté sur la touche technologique, se faisait manifeste. Ne manquait qu’une révolution pour aller irréversiblement de l’avant.
Cette révolution eut lieu par l’entremise de la micro-informatique. L’informatique pour les microbes permit en effet à tout un chacun de programmer. En révolution qui se respecte, elle eut d’abord à se défaire de la condescendance des grands de ce monde-là qui ne voyaient qu’un bidouillage là où les pionniers du PC et du Mac parlaient de tâches qui leur facilitent-la-vie-le-tout-en-s’amusant. C’était le bon temps, celui où 1999 était dans le cosmos et 2001, dans l’espace.
En bonne révolution, l’esprit nouveau se mua rapidement en totalitarisme.
Nous vivons sous ce régime depuis (œillade à Vykinge).
Si vous n’avez pas vu la fin
Voyons les choses en face. Une quinzaine d’années après la révolution sus-citée, où en est-on ?
En Occident et dans les pays aux PIB pimpants, chacun peut accéder à l’informatique par le biais de son instrumentation surnuméraire. A l’image de l’exponentiel développement d’Internet, les langages et les champs d’application de l’informatique se sont propagés (ici et là … et ailleurs encore) à la vitesse de la lumière. Chacun pouvant apporter sa pierre à l’édifice, chacun veut apporter sa pierre à l’édifice. Un peu comme si tous ceux qui possédaient un dictionnaire se mettaient à écrire des romans.
Et l’air se remplit d’un nouveau gaz : la prétention de représenter le monde, tout le monde.
Plus ou moins doucement bercés par cette illusion d’avoir à portée de main de quoi représenter notre univers, nous en oublions que le monde ne pourra jamais être représenté totalement. Las, à force d’y croire, on en est convaincus … A l’instar de Pierrot qui a fait un beau gâteau, nous avons tendance à nous satisfaire excessivement de nos réalisations : voilà qu’on se réjouit de l’échec d’un Maître face à une machine qu’on dit profondément bleue, voilà qu’on trouve normal que le soleil, la pomme et l’oracle (Sun, Apple, Oracle) soient des marques déposées. Enfin, nous voilà sur le point de laisser un robot passer l’aspirateur à la maison et prendre le volant à notre place.
Merdre, vous n’avez rien vu, n’est-ce pas ?
Envoi
Tandis que l’attention de tous est attirée par la spectaculaire progression des moyens, la fin se précise dans l’ignorance de ceux qu’elle concerne.
Vous le savez certainement, actuellement, les bases sont relationnelles et les objets, orientés… tout un programme ! On cherche à informatiser tout ce qui peut l’être au quotidien. Pour cela, on use d’analyse, on ruse de conceptualisation (*). Le 100% n’étant pas encore à l’ordre du jour, il est de bon ton d’aider et de s’inscrire dans les 97 % des cas traités … Après tout, 97 %, en attendant mieux dès demain, c’est pratiquement la perfection, non ?
Tout le monde ayant désormais fait un jour ou l’autre son Pierrot, on peut compter sur une sympathie respectueuse de la part de tous ceux qui voient l’informatique déferler dans leur vie.
Tremblez : l’avenir de l’homme ne s’envisage plus sans informatique.
Or voilà : le bonheur individuel réside dans cette proportion non-automatisable (100% - 97% = 3%) se réduisant de jour en jour.
Il serait salutaire de défendre le seuil de non-informatisation du monde.
Vous êtes pré-venus.