Grâce au réseau, de nouvelles occupations sont nées, comme celles de webmasteur, nethotlineur, netmarketteur, troll, modérateur, chan’op, veilleur etc. Certaines sont des emplois rémunérés, d’autres des plaisirs coûteux, voire des modes de vie. Mais ne parlons pas d’argent ici, le réseau porte l’indélébile marque originelle de la contribution volontaire, n’est-ce-pas ? Les meilleures preuves en sont trouvées en considérant les belles initiatives sans pensée bassement matérielle, dont le charity biz est l’un des incontestables fleurons.
Plus récente est l’occupation éthique en ligne, qui donnera le jour, je n’en doute pas, au beau métier d’internéthicien, ou netéthicien, certains disent sobrement néthicien. L’internet, c’est bien, ça propage du citoyen, de l’éthique, de la déontologie, du non marchand, rien que des valeurs en hausse sur le marché idéologique. Il faudrait être un sacré cynique pour s’en gausser, quelle bouffée d’air pur après les netéconomistes starteupiens. A moins qu’il n’y ait quelques vessies dans ce lumineux spectacle de lanternes ?
L’éthique du marché...
L’internéthicien amateur peut être n’importe quel volontaire, il suffit pour cela d’aller s’indigner où il faut et comme il convient, par exemple « voter » pour donner son avis sur la question de savoir si les entreprises sont beaucoup, assez, pas assez, pas du tout, un pti peu, éthiques. Avec de la persévérance et une bonne autoformation en ligne, on peut jouer dans la catégorie au dessus. On conseillera de débuter par les apprentissages fondamentaux en citoyennique, une discipline récente et en plein expansion, qui a déjà ses écoles de pensée et ses courants. La consultation des sites du net bien pensant habituel permet une bonne première approche.
Côté pro, parmi les biznesses en hausse, l’éthique pour l’entreprise tient une bonne place, comme son camarade citoyen. On trouve de tout sur l’internet, c’est connu, on y trouve donc des sites sur l’éthique d’entreprise, et même un site pour valoriser les placements dans des firmes éthiques (n’oublions pas le h, sinon le retour sur investissement sera difficile, faute de chair après l’os).
Côté militant, c’est moins en hausse, on trouve des initiatives de veille sur les conduites sociales et environnementales des compagnies, spécialement internationales, ou de protestation contre des actions humainement ou écologiquement négatives (remember Danone, Totalfina etc.).
A vrai dire, et comme à l’ordinaire, la notion a été introduite de manière critique, puis récupérée pour la communication utilitaire, et enfin diffusée comme gadget pour cliqueur de vote-blaireau, et élément de conversation de bonne compagnie. Un des aspects irritants est qu’elle avance dans l’ombre de la médiatisation de la bioéthique et autres problématiques d’intérêt général (le vivant), ou particulier (le CNRS a une commission d’éthique scientifique, où nous comptons d’ailleurs un ami écrivain, Mr. Wolton).
L’éthique (du grec, c’est chic) ou la morale (du latin, c’est cheap), est un produit historique de philosophie, banalisé dans la langue des cons pour éviter de dire morale, qui fait cureton et vieillot, un peu comme certains disent technologie (qui fait high tech) pour technique (qui fait lycée de banlieue). Vidée de contenu et de portée, la coque finit par désigner trivialement un comportement social simplement à peu près normal. Normé par qui ? Par soi même, c’est plus pratique.
Je ramasse la crotte du clebs, je suis un maître éthique, je diminue la pollution et le taux de chute. Je discute avec les syndicats, je suis un responsable éthique. Je raconte tout ça sur le net, je suis un nethicien. Je dénonce ceux qui ne font pas, je suis un militant nethique, je note les entreprises sur ce qu’elles font en la matière, je conseille pour les placements en bourse, je suis un expert en éthique appliquée. Social en plus. Car les chômeurs et autres rmistes pourront mettre leurs sous sur des entreprises qui traitent le populo au moins loin possible de ce qui est simplement ordinairement correct.
...et « vice »...
L’entreprise éthique est notée par des analystes spécialistes auto diplômés en citoyennique, sur des critères écologico sociaux (ne pas dépenser trop de papier, ne pas mettre la fiente dans la rivière, respecter les droits élémentaires, ne pas toucher trop beaucoup de pots de vin, ne pas sous traiter avec ceux qui font bosser des enfants etc.).
Il existe des placements dédiés, des fonds éthiques-sic. Un fonds éthique est un produit composé de valeurs « socialement responsables », s’attachant par exemple à la dimension citoyenne des entreprises peut on lire sur le site de la CNP, un précurseur, à la rubrique épargne.
Pour attirer les petits épargnants, on a d’abord conçu des supports financiers constitués de valeurs korrectes. Après, des agences de rating (qui notent l’éthicité de la firme) ont créé des labels. Dès qu’il y a label, c’est bon, plus besoin de démarcher, les compagnies viennent le demander pour pouvoir bénéficier de l’accès à ce segment de marché. Oui, c’est écrit sans rire sur le site du placeur de fonds, les entreprises font l’objet d’une « notation sociale » par des sociétés spécialisées, selon des critères objectifs tels que la gestion des ressources humaines, les relations de l’entreprise avec la société civile, ses clients et ses fournisseurs, le respect de l’environnement. Vive la notation objective. Surtout qu’elle répond à une disposition subjective, car « la sensibilité des gens par rapport à la responsabilité sociale des entreprises est de plus en plus forte » dit le patron d’un site éthiqueteur. On est contents d’y contribuer, avec les pétitions Danone et autres Léonardo ou LSQ, on peut être labellisés internautes éthiques sans douleur. Ce qui est bien dans cette société, c’est que, quoi qu’on fasse, quelque part quelqu’un trouve à y gagner.
Ce n’est pas d’hier, déjà même avant le web, c’est dire, on trouvait des textes et débats sur la nécessité d’une éthique dans la vie des affaires (J. Padioleau, L’Ethique des affaires, janvier 1990). Ce n’est pas rare non plus, quasi toutes les grandes sociétés américaines ont un code de déontologie ou une charte éthique. Pour en savoir plus, on peut lire l’article bien documenté de Thomas Donaldson. Bien que bassement et servilement importée des Etats Unis, selon l’usage, cette initiative courageuse et désintéressée mérite l’intérêt. Les railleurs (ils sont légion, hélas) chipoteront, à leur ordinaire, en évoquant la création d’un nouveau mode de publicité pour les affaires, ou la tentative d’élargissement par voie idéologique du petit actionnariat.
Foin de leurs vaines saillies. Comme l’explique le responsable du site plus haut visé au journal Transfert mi janvier : « aujourd’hui les nouveaux gestionnaires privilégient une politique de long terme, la gestion des ressources humaines (formation, reconversion), la protection de l’environnement, les relations avec les fournisseurs qui peuvent être entachées de corruption. »
D’ailleurs, il nous rassure sur les intentions, ce n’est pas un concurrent : « Quant à nous, nous n’avons pas une approche militante (…) On peut investir dans un marchand d’armes tant que cela ne nuit pas au développement durable. À moins qu’on ait choisi un fonds d’exclusion. Chacun trouve chaussure à son pied. »
Ce nouveau site (qui comporte comme il se doit une rubrique Citoyenne), est en fait l’outil de communication web d’une start-up, une société anonyme capitalisée à près de 5 millions de francs par la Caisse des Dépôts (dans sa pépinière), dirigée par une personne intéressée par l’e-biz et qui anticipe le « développement de ce créneau sur le marché financier. »
Ainsi, c’est une entreprise (auto éthiquetée) qui expliquera l’éthique aux benêts, au bénéfice des autres entreprises (éthiquantes). Se faire conseiller en éthique par une start-up, c’est un peu comme se faire instruire sur la solidarité par le charity biz, on croit qu’on est dans un cauchemar, mais pas du tout...
Ailleurs, on peut trouver des conseils pratiques pour le management éthique, il suffit de taper les mots clé dans un moteur. Il faut introduire la dimension éthique voulue dans l’organisation et le management ; - concevoir (ou actualiser) la charte déontologique ; - accompagner la mise en place éventuelle d’un responsable de l’éthique ou déontologue. Vous voyez bien que c’est un futur métier, vous faites quoi dans la vie ? Directeur de l’éthique, ça en jette... Allons plus loin. Il faut aussi des mesures porteuses de progrès éthique : actes de citoyenneté ; mécénat d’entreprise ; parrainage ; sponsorisation ; économie de partage ; - révéler l’image éthique de l’entreprise et la gérer (attention portée à la prise en compte de l’opinion publique dans la prise de décision stratégique). Oui, prenons garde à l’opinion publique, d’ailleurs on peut aller la manifester pour pas un rond sur des sites ad hoc comme expression-publique, dont on a déjà parlé ici-même.
...si j’ose dire mon très cher frère...
Les bien-pensants se réunissent en Gironde (climat lénifiant) ou à Autrans (le Davos de l’internet français), entre autres. Les éthiciens ont aussi leurs lieux, élevés, pour causer de leurs affaires. L’un d’entre eux est très chouette, allez y voir, c’est le monastère de Ganagobie. Quoi, vous ne connaissez pas ça, pas possible !. C’est en Haute Provence, sur un plateau, un bel endroit, calme, belle vue, tranquillité, sérénité, peu de pluie, la clareté (c’est mieux dit ainsi) d’un ciel bleu, mauve, pourpre, rose, opale. En bas dans la vallée, entre les pommiers et maïs industriels, des néfliers, des grenadiers, des figuiers, les pierres de la Durance, les forêts de yeuses, les oiseaux, sept vies... Céleste.
On y fait des séminaires sur l’entreprise. Oui, les frères bénédictins du monastère sont des spécialistes, il y a une rubrique entreprise sur leur site, et un centre de recherche, carrément. Ah ça c’est pas du bénédictin qui fabrique de la bibine alcoolisée (perd un point au rating). Regarde.
Fruit d’un dialogue original avec des dirigeants et cadres dirigeants soucieux de perfectionner leur management et de bénéficier de solides repères éthiques... Ayant acquis une grande notoriété par la qualité de ses travaux, le Centre Entreprises de Ganagobie est une référence autorisée pour de très nombreuses entreprises. On peut y a aller en séminaire, si je puis dire, pour causer des Entreprises en voie de mondialisation, d’Ethique et Pilotage du Changement, de Créer une intelligence collective , et même, d’Ethique et performances (exclusivement réservé aux participants du MBA d’HEC).
C’est comme ça. Ne croyez pas que ce sont des imbéciles, ils sont gentils, accueillants, cultivés, allez y de ma part, vous aurez une bouteille. Tiens, pas exemple, les intervenants, c’est l’ancien Vice Président de la Banque Mondiale, et responsable d’Eurotunnel (une bonne action, 126 FF il y a quelques années, 1 euro à présent), c’est l’ancien DRH de France Telecom, c’est dom Minguet, le permanent (ancien directeur dans une société financière). Un lieu de rencontre pour qui se ressemble s’assemble, comme les autres. Mais haut de gamme. On peut causer entre soi, et même faire des affaires, mais attention, sans pots de vins.
...versa
L’expansion de l’aire d’intervention de ce genre d’idéologie, qui reprend la notion de culture d’entreprise et y joint de la déontologie sauce millennium, emprunte aussi d’autres voies que la création de société commerciales chargées de mission de service moralo financier. Le symétrique existe aussi, qui voit la prise en main, ou la prise par la main, ou la demande de la main, d’associations consentantes. Illustrations.
L’ISOC France, c’est connu, est le chapitre français de l’Internet Society, bref, une chose ancienne, plutôt ensommeillée et modérée à l’échelle des associations modérées, qui vient de faire sa réunion annuelle à Autrans. Pas de bruit, pas de vagues, pas d’opinion sur ce qui peut fâcher, pas de prise de position, un discours lénifiant qui sent bon le propret, le net, c’est bien, il faudrait que les pauvres puissent en manger et blablabla.
Ca c’était avant l’intromission de l’idéologie marchande. Si on va sur leur site à présent, on trouvera en bas le logo de Bouygues, un sacré internaute, et en haut l’annonce de leur réunion à Autrans, sur une autre annonce, celle de l’organisation avec la Chambre de Commerce de journées sur les nouveaux marchés ou ce genre de chose. Oui, ça change. Le président de cette société à effectif limité est un avocat. Chic, le défenseur de la veuve et de l’orphelin. Enfin, à peu près, un cabinet d’affaire, c’est écrit sur son site. Le cabinet est « Président du Chapitre français de l’Internet Society ISOC-FRANCE et Président de la coordination européenne des Chapitres de l’Internet Society ». On croyait que c’était juste le gars, non, c’est tout le cabinet. Disent-ils. Pour la communication. De même, quand le dit gars envoie un message en forum, il n’oublie pas d’indiquer in fine les coordonnées du cabinet. Une sorte de fusion. L’un sert à l’autre et vice versa.
Le vice président, c’est de même facture en plus petit, normal, il n’est que vice. Lui, il conseille des entreprises en matières variées, notamment commerce électronique. On a les responsables qu’on désigne. Et on achète, avec, leurs représentations de l’internet et de la société, qui sont en rapport avec le rôle qu’ils y jouent.
La FING, elle, c’est la fondation « nouvelle génération ». Ce n’est pas forcément jeune, ni nouveau, mais c’est leur liberté que de s’appeler comme ils veulent. Le délégué de l’association est, bizarre hasard, le vice sus cité. Un homme actif donc. Le président est le fondateur de la start-up Witbe (SA au capital de 7 millions de francs environ). Pour aider la nouvelle génération, il y a des adhérents, surtout des entreprises, ça a les moyens. Et pas qu’un peu, regardez les membres à 50 KF l’an.
Le FDI, forum des droits de l’internet, association sous tutelle, a des membres venux des précédentes, et des membres entreprises aussi. Toujours un peu les mêmes. Ca allège les subventions, et ça crée de la relation en recroisant de nombreuses fois les possibilités de contact.
L’entreprise est plus éthique quand elle verse à des associations à but non lucratif qu’à des intermédiaires pour un marché (en fait, il vaut mieux faire les deux, c’est plus sûr). L’association n’est pas moins éthique si elle à des fonds d’entreprises éthiques, plutôt que de secrétariat d’Etat à l’éthique. Naturellement. C’est ce qu’on appelle un jeu gagnant-gagnant.
Je vous le dis, il y a des emplois à venir là dedans. Si votre gosse ou votre petite sœur ne sait pas quoi faire, conseillez lui cette voie d’avenir, nethicien. Car en plus de la rémunération, il/elle aura cette chose inestimable : la bonne conscience. Quel bonheur de faire écrire une charte éthique que les salariés vont devoir signer personnellement (authentique), ou d’être déontologue officiel de la compagnie. Evidemment, on peut aussi lui conseiller de s’y intéresser sérieusement, et politiquement, puisque les problèmes en question le sont... Mais alors adieu les pépettes.