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vendredi 20 octobre 2000

Internet comme machine de guerre

par Cathexie
 

« En attendant les flics, la cybernétique », pouvait-on lire sur les affiches de Nanterre, en 1968. Or l’internet, fils de ladite cybernétique, pourrait bien représenter au contraire une mutation sans précédent dans l’expression de l’esprit humain en général et dans la lutte contre ses policiers, douaniers et usuriers en particulier.

1.
En suivant Guy Debord, on peut considérer l’âge de l’information et de la communication comme l’entrée de l’humanité dans l’ère du « spectaculaire intégré » — à la fois concentré dans son mode de production et diffus dans son mode de consommation —, c’est-à-dire la substitution du monde représenté au monde vécu. Le monde de plus en plus globalisé se fragmente en individus de plus en plus isolés face à des instruments de pouvoir de plus en plus perfectionnés dont la finalité est le conditionnement des esprits, l’assujettissement des corps, l’aliénation du temps libre ou serf, la destruction de la distance objective ou subjective. Cette vision n’est que partiellement exacte — la première preuve résidant dans le fait que vous êtes en train de lire ce texte — et, poussée dans sa logique extrême, elle aboutit à une vision gnostique (ou névrotique, comme l’on veut) d’un monde définitivement et irrémédiablement dominé par le Mal.

2.
Il serait erronné de ne voir dans la morne réalité de l’Occident globalitaire que la seule extension de l’idéologie capitaliste aux marchandises nouvelles que sont hélas devenus l’information, les loisirs, les divertissements, la culture, etc. L’élément déterminant des quatre derniers siècles n’est pas le surgissement de l’Etat national-bourgeois ni l’établissement du marché mondial, mais l’ensemble des techniques qui ont permis l’émergence de ces phénomènes. La loi norme et décide, le capital circule et s’échange : seule la technoscience opère la transformation réelle du monde.

3.
Que les mutations technologiques récentes se soient épanouies dans le cadre du système capitaliste ne relève pas d’un rapport de cause à effet, mais plutôt de synergie : l’un et l’autre se procurent les moyens de leur renforcement mutuel. A l’investissement risqué dans la recherche et le développement répond l’optimisation de la circulation du capital, l’amélioration des moyens de production et l’élargissement des offres de consommation. Du point de vue philosophique et historique, l’inscription marchande de la technoscience n’est pas la problématique essentielle : on peut très bien imaginer la technique sans marché, mais non l’inverse dans la mesure où le marché ne s’est développé qu’à proportion des innovations technologiques permettant la réalisation concrète de son principe d’équivalence universelle, lequel suppose l’abolition physique des contraintes de temps et d’espace. Au degré le plus élémentaire, la gestion biologique et psychologique d’un stock suffisant de producteurs et de consommateurs est la condition première de l’extension de l’échange.

4.
Le fait majeur des cinq derniers siècles est le suivant : entre 1500 et 2000, l’humanité est passée de 500 millions d’individus regroupés en isolats politico-culturels à 6 milliards d’individus placés en interconnexion technologique permanente, 80 % de cette évolution quantitative et qualitative s’étant accomplis au cours du seul XXe siècle.

5.
La propension de la technique à s’organiser en « système autonome » est un topique de la réflexion philosophique et sociologique, qui a notamment été popularisée par les travaux de Jacques Ellul. Rappelons sa définition du système : « Le système est un ensemble d’éléments en relation les uns avec les autres de telle façon que toute évolution de l’un provoque une évolution de l’ensemble et que toute modification de l’ensemble se répercute sur chaque élément […] Les éléments composant le système présentent une sorte d’aptitude préférentielle à se combiner entre eux plutôt qu’à entrer en combinaison avec des facteurs externes […] Les facteurs agissant modifient les autres éléments et l’action n’est pas répétitive, mais constamment innovatrice. Les inter-relations produisent une évolution […] Le système en tant que globalité peut entrer en relation avec d’autres systèmes, avec d’autres globalités ». La technique présente ainsi les cinq caractéristiques propres à un système dynamique ouvert : autonomie, unité, universalité, complexité et totalisation. Ces qualités se sont trouvées récemment optimisées par l’invention de l’informatique, dont l’objet est précisément de produire un langage formel permettant la mise en relation instantée de l’ensemble des éléments d’un système ou de plusieurs systèmes entre eux.

6.
Selon la théorie des systèmes, les phénomènes émergents — c’est-à-dire les qualités nouvelles d’une totalité ne préexistant dans aucune de ses parties — surgissent lorsque sont franchis certains seuils de complexité. La conscience humaine, par exemple, proviendrait d’un accroissement du nombre de neurones et connexions synaptiques dans le cerveau d’une lignée de primates individualisée voici quelques 3 ou 4 millions d’années. L’avènement du cyberespace, pensé et organisé comme système, augmente la probabilité que l’humanité parvienne à de tels seuils de complexité, donc que des phénomènes émergents traversent la planète au XXIe siècle. A condition de maintenir la complexité, c’est-à-dire l’interconnectivité des agents individuels : ce que les Etats et les marchés ne désirent pas nécessairement, puisqu’une large partie de leur pouvoir procède de la fragmentation.

7.
La dimension systémique de la technique a été souvent interprétée comme la « preuve » de son caractère potentiellement inhumain, cette crainte étant alimentée par l’archétype mythique, puis littéraire de la créature qui échappe à son créateur ou de l’innovation qui se retourne contre ses bénéficiaires : ravages du Golem, punition de Prométhée, boite de Pandore, damnation de Faust, folie de Frankenstein, déshumanisation du monde orwellien, domination des robots, etc.. Inversement, le système technicien alimente l’imaginaire utopique (cette fois progressiste et optimiste) de la régulation mécanique parfaite de l’univers, de la société et de l’individu : la cité du soleil de Campanella, le dieu-horloger de Leibniz, la mathesis universalis de Descartes, l’homme-machine de La Mettrie, le gouvernement des experts d’Auguste Comte, etc. L’internet n’échappe pas à ces interprétations naïves ou caricaturales : flicage de la planète pour les uns, démocratie du village mondial pour les autres . En vérité, l’internet sera — est déjà — l’un et l’autre à la fois, c’est-à-dire un territoire de lutte où s’entrechoqueront des valeurs nées à l’âge des scribes.

8.
Le caractère systémique de la technique découle de la nature de l’esprit humain qui la conçoit : dès lors que, dans l’évolution de notre espèce, le langage a permis la transformation de la mémoire et de l’expérience individuelles en mémoire et expérience collectives, dès lors que l’écriture a dissocié de la tradition orale la transmission des savoirs et la théorisation des expériences, la technique ne pouvait se développer que de manière cumulative, tendant vers l’amélioration de ce pour quoi elle est destinée (efficacité, opérativité). Dès le paléolithique, on constate par exemple que les nouvelles techniques de taille de silex se répandent rapidement à tous les groupes humains, supplantant des habitudes plus anciennes, mais plus rudimentaires, donc moins efficaces. Toutefois, bien qu’elle soit orientée vers des finalités pratiques bien précises en tant qu’expression de notre rationalité instrumentale, la technique n’évolue pas pour autant de manière strictement « progressiste ». Nous avons plutôt affaire à un buissonnement complexe comparable à l’évolution du vivant, certains rameaux se développant prodigieusement quand d’autres stoppent momentanément ou définitivement leur croissance. L’innovation de l’internet consiste dans l’accumulation et l’interconnexion tendancielle de tous les éléments accumulés dans les mémoires humaines et stockés dans les mémoires artificielles. Mais ces mémoires mortes ne seront que des alignements binaires de signes sans les consciences vives appelées à les féconder.

9.
L’internet sera soumis aux lois d’évolution : variation-stabilisation (physique) ou mutation-sélection (biologie). Ce qui sera sélectionné ne sera pas le meilleur, ni le pire : cela sera le mieux adapté au nouvel environnement biocybernétique.

10.
A titre métaphorique, on pourrait dire que le rapport de l’homme à la technique est comparable au rapport de l’homme au langage : nous sommes physiologiquement et génétiquement prédisposés à l’utilisation du langage articulé, nous héritons d’une langue particulière que nous n’avons pas choisie mais qui conforme notre manière de pensée, nous en ignorons certains mots et syntagmes, nous en redécouvrons d’autres, nous en inventons même qui se répandront peut-être ou bien seront à leur tour oubliés, nous pouvons changer de langue sans pouvoir changer le mode d’organisation du langage humain. Dira-t-on pour autant que l’homme est « prisonnier » du langage, « aliéné » par l’autonomie de ce mode d’expression, « impuissant » devant son évolution, « soumis » à son implacable logique systémique ? L’homme n’a jamais eu la possibilité de « choisir » son système technicien : par définition, nous héritons toujours de l’ensemble des techniques qui nous ont été transmises. En revanche, à chaque génération, un individu ou une communauté est libre de refuser cet héritage ou d’y exercer un droit d’inventaire.

11.
La colonisation du « monde vécu » par la rationalité instrumentale (Marcuse, Habermas) n’obéit donc pas à une fatalité, mais répond plutôt à une facilité : pour la grande majorité des Occidentaux, il est ainsi plus pratique d’avoir un téléphone que de n’en pas disposer, plus rassurant d’user des antibiotiques que de laisser son corps se défendre tout seul, plus efficace de prendre un calmant que de se livrer à un exercice de relaxation, plus désirable de parcourir le monde que de rester enfermé chez soi, etc. A partir d’un certain seuil de contreproductivité, la somme de ces comportements individuels aboutit presque toujours à des nuisances collectives, qui produisent en retour une modification des comportements individuels. Que nous jugions de tels comportements souvent médiocres — toujours plus de jouissances faciles, de confort tiède, de liberté égoïste, d’agitation vaine — n’est plus un problème technologique, mais axiologique : le tort en incombe à une idéologie dominante qui se sastifait d’une masse d’individus égaux dans la nullité d’une vie privée de substance. L’internet n’a pas ici vocation à supplanter d’autres modes d’éducation : le cyberespace n’est pas un lieu de formation des individus, mais un lieu d’échange des individus déjà formés par une culture une religion ou une idéologie particulière, des expériences personnelles ou collectives, des situations subies ou construites, etc.

12.
Si Debord n’a pas entièrement tort, si le pouvoir traverse désormais notre corps comme notre esprit, l’internet pourrait bien représenter la plus gigantesque machine de guerre jamais levée contre le spectaculaire intégré. Son autotransformation en plurivers de pensées et de désirs dressés contre la normalisation tiède du globe dépend de toi et de moi.

 
 
Cathexie
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l’écrit témoin
29 mai 2006, message de willy mautesse
 

Recycler les tournures d’esprits pour les faire évoluer vers des postes de travail voués à des décentralisations successives,avec des passages d’examens consultables « ordinateur sur table » !

MON SITE « L’ECRIT TEMOIN » DANS VOTRE RUBRIQUE DES « BONNES ADRESSES »

« L’écrit témoin », est une suite de réflexions sur le manque d’appel à l’inspiration qu’inculque « l’industrialisation » de récitations inanimées.

HARO SUR LA NORMALISATION DES ESPRITS PAR LES MACHINES !
La raide interprétation de la notion de l’égalité des chances est suivie de trop près, tant dans l’enseignement que dans la formation continue que constituent les médias !
Les monologues de l’instructeur récitent à la lettre un programme banalisé. Quels que soient la discipline et le niveau, le récitant instructeur est interchangeable avec ceux du même diplôme que lui, chacun d’eux n’ayant à requérir des élèves que de réciter, au plus près, la dernière leçon, sans chercher à comprendre quoi que ce soit d’autre qu’une suite mnémotechnique. Comprendre les implicites ? : pas question ! : la « Société de Consommation » oblige à la normalisation !
Chaque semaine, L’écrit témoin s’insurge dans un nouveau concert de billets et de forum contre une facette différente de la « comédie humaine » Les billets ont deux pages, au sein d’un encadrement de 18 connotations, invariantes, dont l’Editorial général, suivi du rappel des billets précédent et des réactions des Lecteurs aux billets de la semaine avant. Chaque billet hebdomadaire consiste en une photo 1900 accompagnée ou non de textes poétiques, ainsi qu’un exposé en langue aussi vulgarisée que possible. Il s’agit pour chaque billet de critiquer un reflet des types de comportements de consommateurs ne connaissant d’autres raisonnements que ceux des stéréotypées récitations consultables dans de la mémoire informatique.
Mes deux idées majeures sont que, 1° des considérations humanistes doivent dominer toute forme de récitation quelles qu’en soient les origines, en la consignant sur ordinateur, l’instruction devenant ainsi transcendée en de successives décentralisations de répertoires « ordinateur sur table », et que, 2° dès les premiers fondements de l’enseignement celui-ci doit s’exercer sous forme de dialogue, au lieu d’un monologue instructif, de façon à donner des bases suffisamment ductiles pour cultiver les inspirations, imaginations et prises de responsabilités.
Le site de « L’écrit témoin » est : http://users.skynet.be/willy.mautesse

 
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> Internet comme machine de
26 février 2002, message de so
 

bonjour,
je me presente, etudiante en ecole d’architecture je prepare actuellement un memoire de quatrieme annee sur la deterritorialisation. je n’ai pas necessairement besoin de relier la deterritorialisation a la pensee de l’espace d’un point de vue architectural, et d’ailleurs je me suis naturellement orientee vers un theme plus sociologique qui doit porter sur les "taz".
mes reflexions me conduisent a penser les actions de luttes millitantes modernes comme une (ou des) machine de guerre au sens ou l’entendent Deleuze et Guattari dans "mille plateaux", donc a une organisation non organisee se rapprochant du mode nomade (c’est la ou on peut se rappocher du texte d’Hakim Bey sur les zones autonomes temporaires). ma bibiographie est assez courte, il s’agit de "histoire politique et barbeles" de Olivier Razac, "l’espace critique" de paul virilio, "l’insecurite du territoire" de Paul Virilio et "capitalisme et schizophrenie 2, mille plateaux" de Gilles Deleuze et Felix Guattari. Je fais egalement des recherches sur les textes publies sur differentes pages de sites proches des mouvements millitants anti-globalisation et libertaires, et j’ai observe pendant six mois les relations electroniques d’une mailing-list du meme milieu, m’interessant plus au manieres de s’organiser sur un espace de type mailing-list plutot qu’au contenu meme des messages.

toutes ces lectures doivent etre mises en relation avec l’observation du "no-border, no-nation, f*ck the police" de strasbourg en juillet prochain, prenant cet evenement comme exemple reel de zone temporaire autonome, si toutefois on peut nommer ainsi ce rassemblement.

ma demande d’aide intervient la, comment construire le memoire, quelle problematique donner a cet ensemble d’evenements ? est-ce que l’observation de tous ces evenements n’est pas vain ? et dans ce cas que dire de la deterritorialisation ?

j’aimerai bien avoir un avis exterieur parceque la, j’ai mal au crane. aïe :(.

signe So qui sait plus penser

Répondre
> Internet comme machine de créativité, willy mautesse, 28 juillet 2006

J’ai découvert une matrice trilogique qui se veut vouloir recycler les convenances consensuelles de toujours et une nouvelle forme de société qui rendrait créatif précisémment grâce à l’informatique, si le marketing ne procure pas des inquisitions menant au chantage par catalogage.

Mautesse

 
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> Internet comme machine de guerre
26 octobre 2000, message de Lefayot
 

Cher Cathexie,

Ton article est très bien, mais à mon avis légèrement entaché d’un réformisme koulak assez préjudiciable.

S’il est vrai que le déterminant de l’histoire récente n’est pas tant l’extension du système marchand que l’émergence de la techno-structure, et s’il est important de le souligner, il faut éviter de faire preuve d’un angélisme de mauvais aloi.

En effet, et contrairement à ce qui est évoqué vers la fin de l’article, internet (ou en général la technique – ou plutôt les objets techniques) ne seront pas ce que nous en feront in fine. La possibilité de feedback des utilisateurs finaux sur l’amont - la production - est en pratique assez faible, ne fusse que parce que l’offre précède toujours la demande comme on a un peu trop tendance à l’oublier.

De surcroît, l’autonomisation de la techno-science fait système, ainsi que tu l’as rappelé. Dans ces conditions, l’argument selon lequel les consommateurs plébiscitent tel ou tel artefact parce que ça leur simplifie la vie est plutôt tautologique. En effet, que signifie « faciliter la vie », sinon, permettre une meilleure efficience au sein d’un univers d’artefacts techniques ? On s’en serait douté. Ainsi dans le cas de l’internet, le nombre de nouveaux utilisateurs croit (de manière plus que linéaire) de plus en plus vite à mesure que le nombre d’usagers « installés » est important. Jusqu’au moment où vivre sans internet présentera de telles contraintes qu’il deviendra impossible de faire l’impasse dessus.
Résumons-nous :
* Dans un premier temps, un petit nombre de mordus s’intéressent à Internet.
* Dans un second temps, via la pub et un phénomène de rivalité mimétique, le nombre d’usagers croit, mais pas très vite encore.
* Par un phénomène de feedback, le nombre d’usagers ne cessent d’augmenter, jusqu’au moment où il est impossible de ne pas être connecté (nous entrons dans cette phase).

Au final on ne voit pas où a été le « pratique » de la démarche. Le pratique pose la question de l’efficience, laquelle est intimement liée au cadre de référence (le monde) au moment T. Cela pose aussi la question du désirable (pourquoi vouloir aller se balader sur les routes, et donc pourquoi avoir une voiture ?). Et le désirable ramène encore au référent (n’est désirable que ce qui a été désigné comme tel).

Evidemment, certaines techniques ne « marchent » pas (le DCC disons), mais ce n’est pas très grave : d’autres sont là pour alimenter la boucle. Autonomisée, la techno-science vomit sans fin ses items, et s’il est possible à la rigueur de choisir tel ou tel objet, il est pratiquement impossible de ne pas choisir du tout, surtout lorsque l’un d’eux se voit érigé au rang de norme (on remarquera l’emploi non innocent de ce terme). L’important c’est que ça débite.

Enfin, et c’est à mon avis le plus gênant, comparer la techno-science au langage revient insidieusement à naturaliser la techno-science, et à en faire une fatalité dont il faudrait prendre les bons cotés (le plus drôle, c’est qu’une des prétentions de la TS est de s’affranchir de la nature). Or si la TS est un fait culturel (la TS n’existe qu’en Occident, il faut le rappeler), le langage est – au moins en première instance – un phénomène naturel, justement. Et si la possibilité d’un langage articulé existe chez tout homo sapiens, la même fatalité ne s’applique pas à la TS.

Il n’y a pas de fatalité, mais un simple effet systémique qui veut que plus la TS s’insinue dans les interstices de la vie, plus elle s’insinue. Et plus le temps passe, moins il y a possibilité de faire machine arrière.

Pour finir j’ajouterais que l’Internet n’est à mon avis pas destiné à un avenir kitsch et grandiose : ni outil de paix parmi les hommes tous frères (même pour les très solvables), ni matraque soft à bigbrotherisation, il ne deviendra à mon avis qu’un truc très ennuyeux comme la télé, pas sexy du tout, mais de ce fait extrêmement prégnant et fondamental dans la vie quotidienne.

Lefayot

Répondre
> Internet comme machine de guerre, 26 octobre 2000

Cher Lefayot,

Sur l’offre et la demande
Ton objection est juste en ce qui concerne l’appareillage matériel et logiciel nécessaire à la circulation de l’information. Mais la production et la consommation de cette information elle-même se trouvent bel et bien horizontalisées par l’internet, ce qui permet plus de feed-back qu’à l’âge vertical de la communication. Un exemple : Nike peut beaucoup plus facilement acheter le silence de trente chaînes de télévision que de trois cents millions d’individus connectés à l’internet sur la manière dont ses chaussures sont fabriquées dans le tiers-monde. Encore faut-il, me diras-tu, que de telles informations soient dénichées sur le net, parmi des milliards d’autres : c’est ici le rôle des communautés virtuelles que de créer des réseaux auto-organisés de contagion de l’information — puis, mais c’est un autre débat, de passage du virtuel au réel.

Sur le désir et sa référence
Ta remarque est là encore très pertinente. Je doute cependant que la technoscience parvienne jamais à réduire nos désirs à sa nécessité propre, c’est-à-dire à la reproduction de l’efficience. En l’occurrence, c’est plutôt la question du capitalisme qui est ici ouverte : un immense détournement de nos désirs vers la marchandise et le spectacle désirables.

Sur la naturalité de la technique
La métaphore du langage tend en effet à naturaliser la technique, pour cette raison que la technique me semble avoir partie liée avec notre destin biologique. Elle est en effet un produit de notre esprit-conscience (le " mind " des sciences cognitives), qui est lui-même l’un des points d’aboutissement (provisoire) les plus étonnants de l’évolution : à la fois déterminé par des contraintes génétiques et totalement ouvert aux expériences du monde. Si la conscience est dès l’origine conscience et refus de la mort, alors la technique est une forme de la vie, comme son langage est un langage de notre existence. (On retrouve ici le désir évoqué ci-dessus, au sens brut et premier de désir de survivre). En tant que seconde nature, elle n’est guère plus tendre avec nous que la première. Mais l’humanité s’adaptera aux catastrophes technologiques comme elle s’était adaptée aux catastrophes naturelles : en les subissant souvent, en les maîtrisant parfois.

Sur la fatalité
La fatalité et l’effet d’entraînement systémique dont tu parles ne sont-ils pas au fond deux désignations du même phénomène, l’une datant de l’âge mythologique, l’autre de l’âge technologique ? L’effet systémique est certes de nature probabiliste, mais quand la probabilité tend vers O ou vers 1, elle tend du même coup à se confondre avec la fatalité.

Sur l’avenir de l’internet
Contrairement à toi, j’y vois plutôt qu’un simple " truc " surajouté aux autres dispositifs de communication. Son caractère intrinsèquement interactif — contrairement à la radio et à la télé, par exemple, où tu absorbes passivement des informations — et sa dimension englobante — absorption des autres médias par la numérisation – en font l’embryon d’une sorte de " média total " dont le contrôle n’aura plus aucun sens, contrairement à celui des médias partiels, en situation de concurrence, donc de luttes de pouvoir politique et économique. Ceux qui rêvent aujourd’hui de brider l’internet sont ceux qui voient en lui une menace potentielle sur les positions de force qu’ils occupent déjà dans le spectaculaire intégré.

Cathexie

Répondre
> Internet comme machine de guerre, Lefayot, 30 octobre 2000

Cher Cathexie.

Ce que vous dites est vachement beau et pour un peu j’en oublierais que vous avez tort.

Pour ce qui est du mieux de l’information qu’offre le net, c’est un sympathique leurre. Au temps de la télé dominante, la vérité pouvait exister sur des petits dazibaos ronéotypés qu’il était (tres) difficile à trouver. A l’epoque de internet-all-over-the world (c’est pour demain), la vérité se trouvera sur un site parmi 12345678945613, et ça presentera toujours autant de difficultés à la trouver. Sans compter que les gens regarderont TF1.com, et qu’on ne regarde de toute façon pas TF1.com pour être informé. D’ailleurs, même maintenant, qui utilise le net comme moyen d’information (moyen alternatif, veux-je dire ?). Tout cela pour dire que le probleme n’est pas tant la difficulté technique pour trouver l’info (encore que ce ne soit pas à négliger), mais le simple désir de vouloir le faire.

Pour ce qui est désir, justement, ce que je veux dire, c’est que - selon moi - le désir n’existe pas de manière transcendante. Pour désirer quelque chose (ou quelqu’un), il faut déjà qu’il ait été désigné comme tel. Par qui ? C’est une bonne question à laquelle je ne vais pas répondre pour le moment. Mais cela me permet de dire que sur ce plan, le capitalisme n’a rien perverti du tout, mais a simplement fait sur une échelle industrielle sur qui était fait artisanalement avant (pointer les objets de désir).

Quant à la technique qui serait notre « destin biologique », je m’esclaffe avec une hilarité propre à me dessouder les articulations. Déjà l’emploi des mots « destin » et « biologique » est un programme à lui tout seul. Soyons sérieux : si c’était vraiment le cas, la techno-science existerait ou serait au moins émergente dans toutes les cultures. Ce qui n’est evidemment pas le cas. On peut même dire que le developpement de la techno-science en un lieu donné passe par l’aculturation des autochtones. Alors evidemment, on pourrait emettre l’hypothèse, que l’homo sapiens possède un gène de la technique qui n’a pu se développer que dans un contexte favorable, celui de l’Occident (avec un grand ’O’, SVP). Et la marmotte elle met aussi le chocolat dans le papier alu ... Bon, sans rire, il faut en finir avec la mystique, avec le sublime, quels qu’ils soient, et cesser de se dessiner des jolis arrières-mondes. L’émergence de la TS est strictement contingente ; du fait de l’inertie et de l’effet cumulatif, elle tend à s’imposer comme une sorte d’évidence naturaliste. C’est une escroquerie intellectuelle ! Autant conclure à la naturalité de l’alphabet (latin) sous pretexte que bientôt tout le monde en utilisera un ...

Pour ce qui est du futur de l’internet, on ne s’est pas bien compris. Je pense aussi qu’il est promis à un bel avenir, et qu’on n’a même pas idée des applications qui « tourneront » dessus, pour la simple raison qu’il s’agira de services qui n’auront de pertinence que dans l’espace d’un internet « developpé ». Ce qui est d’ailleurs la meilleure des raisons pour foutre tous nos cyber-gourous sur le bûcher. Je voulais simplement dire que - comme la télé - il permettra à une armée de sociolaugues d’enfiler des banalités avec le jargon ad hoc, mais que du point de vue de l’utilisateur, il sera au quotidien d’une banalité à pleurer. Qu’y a t’il de moins sexy, de moins spectaculaire que la télé de nos jours ? C’est d’ailleurs pourquoi la mode (finissante ; ouf !) du cyberpunk est une couillonade qui ne pouvait avoir inspirer qu’un tri-neuroné comme Dantec (ou ses épigones).

La bise à toute la famille

Lefayot.

Répondre
> Internet comme machine de guerre, 30 octobre 2000

Cher Lefayot,

Sur la surinformation

Oui, il sera difficile de trouver une information sur 1,277,654,678,987 autres. Toujours est-il qu’aujourd’hui, lorsque vous cherchez une info sur un moteur, TF 1 ou CNN n’ont pas énormément de moyens disponibles pour que leur version soit prioritaire sur n’importe qu’elle autre. En d’autres termes, l’info. alternative est plus facile à dénicher que celle des samizdats et dazibaos papiers et passés. Encore faut-il en effet en avoir le désir...

Sur le désir

Nous sommes 100 % d’accord : pas de transcendance, pas d’arrière-monde. Et des objets vendus de manière industrielle (ce que l’on appelait le « fétichisme de la marchandise » à l’époque où les gros mots étaient autorisés).

Sur la technique

Pas d’accord du tout. Bien sûr, il n’y a pas « un » gène de la technique, pas plus qu’il n’y a « un » destin technicien. Mais a) la technique est bel et bien émergente dans toutes cultures (asiatiques, européennes, africaines, etc.) et cela depuis les origines de l’humanité ; b) son développement historique est codifié par des récits religieux, idéologiques et culturels qui peuvent lui être favorables ou défavorables (seul l’Occident a donné naissance à ce complexe technocientifique ayant pour vocation de coloniser le monde, donc de détruire tout ce qui menace d’échapper à un projet de mobilisation totale des ressources et des énergies disponibles) ; c) elle traduit la situation biologique de l’homme dans le monde, à savoir la condition de survie d’un être dépourvu de défenses naturelles (griffes, crocs, fourrure, vitesse de course, etc.), dont les sens comme les instincts sont largement émoussés par rapport à ceux des animaux (odorat, goût, ouïe, phéromones) et dont le seul vrai signe distinctif est la complexification prodigieuse du cerveau, qui a permis l’émergence de la conscience et du langage articulé. Je n’en déduis pas de cela qu’il faut accepter tout nouveau développement technologique comme une fatalité !!! Mais inversement, je doute de la pertinence des discours (eux aussi très à la mode) selon lesquels tout serait « socialement construit » : le petit homme moderne a beau croire dur comme fer à son autonomie, il est aussi le fruit tardif d’une évolution qui ne l’a pas attendu. Mais c’est un autre débat. Concluons avec Spinoza : « Plus je me sais déterminé, plus je suis libre ».

Sur l’internet

Oui, l’internet deviendra sans doute d’une banalité consternante (ce qu’il est déjà pour partie) dans son usage majoritaire (comme, hélas, tout usage majoritaire devient vite banal dans la mesure où le nombre fixe la norme, et la norme appelle l’ennui). Non, il ne se résumera pas à cela : même si les cybergourous ont tort d’y voir une fantasmatique « nouvelle genèse », je pense que la simple comparaison avec les autres médias atteint vite ses limites. Où est l’interactivité de France 2 ? Où sont sur Europe 1 les forums comparables à celui où nous parlons ici ? Vous aurais-je jamais connu — du moins échangé avec vous des arguments — si nous avions seulement été tous les deux lecteurs isolés du Monde ou du Figaro ? Où pourrais-je m’exprimer sans argent si je n’appartiens par ailleurs à aucun des clans et réseaux bien établis de l’édition papier ? Où trouverais-je des infos gênantes sur les multinationales ou les Etats qui surveillent les médias dominants ? Comment serais-je informé de manière quasi-instantanée des mobilisations sociales/informationelles qui m’intéressent aujourd’hui ? Etc.

Bien à vous,

Cathexie

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> Les robots produisent-ils du jus de crâne ?, Marcel Hovelacque, 21 février 2003

La méthode Coué fait des ravages ?!
L’ironie veut que ces mêmes soixante-huitards se soient réappropriés la cybernétique quelques années après...confusion volontaire ?

Soyons sérieux : même Norbert Wiener, le "papa" de la cybernétique est revenu sur ses propos de jeunesse de façon on ne peut plus claire, soulignant le danger des interprétations abusives dont les lignes de cette page sont un exemple classique de "remaché".

Soupir...il faut bien que jeunesse se fasse, comme disait l’autre...

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> Internet comme machine de guerre
23 octobre 2000, message de Grosse Fatigue
 

Mouais.

Internet, c’est surtout une machine à bientôt faire du fric.

La guerre, c’est plus sale qu’un clavier.

Faut pas abuser des citations de Debord, car, comme son nom l’indique ("Deux Bords"), on peut bien lui faire dire ce que l’on veut, et les Situs se récupèrent facilement... De Baudrillard à la Nouvelle Droite en passant par les publicistes débiles (sic) à la Beigbeder...

GF

 
en ligne : Grosse Fatigue
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> Internet comme machine de guerre, 25 octobre 2000

Il me semble qe je n’abuse pas de citations de Debord, qui fut en effet à son tour — et très logiquement — détourné par ceux que vous citez et par tant d’autres. La publication de ses œuvres chez Gallimard indiquait déjà combien il avait changé (de bord).

Je ne pense pas que l’internet ne deviendra qu’« une machine à faire du fric » — après tout, l’imprimerie fut aussi colportée par des marchands de Bible. Au moins peut-on s’entendre sur une évidence : si nous y sommes présents, c’est bien pour qu’il en aille autrement ; et si nous n’avons certes pas la force de frappe d’une multinationale, il nous reste l’effet de synergie de nos résistances dispersées, c’est-à-dire l’intelligence collective naissante de la contestation.

Cathexie

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