A Leuco-Site, nous aimons tout le monde, et en particulier Dominique Wolton. Pour des raisons assez complexes à expliquer, mais disons qu’en substance, de fétides irresponsables comme nous ne peuvent qu’être frigidifiés de respect devant le professionnalisme de tels professionnels.
Plus sérieusement, et bien que le débat soit des plus réchauffés, le comité central communalisto-koulak de LS a décidé qu’une enquête de fond était indispensable pour savoir qui exactement déporter (et quand). Et, comme me le disait Legnôme : « après tout, il y a peut-être du vrai dans ce que raconte ce brave homme ».
Aussi, je me suis pris par la main et j’ai lu jusqu’au bout une des ses merveilleuses interventions qui a le mérite d’être brève et rare en redites. Ce qui permet de bénéficier de la substantifique moelle de notre brave confrère.
Voilà comment s’articule son raisonnement :
Internet n’est pas un vrai média car ce n’est pas un média de l’offre (comme la télé).
Comme ce n’est pas un vrai média, qu’est ce que c’est ? Réponse : le cheval de Troie des (néo-)industriels.
Quoi faire : réglementer. Et délivrer les cartes de presse ad hoc.
On remarque déjà que le point 3 ne se déduit pas des deux précédents. Pour y arriver, il faut ajouter en passant quelques considérations sur les pédophiles, et même la mafia (http://mafia.org). Je ne reviendrais pas sur cet amalgame ridicule (combien de sites pédophilo-nazis sur le net à mettre en perspective avec combien de sites qui ne le sont pas ?), des gens de bien meilleure foi que moi l’ont déjà fait sur Uzine2.
Le point 2 relève aussi de l’amalgame. Il est d’abord bien évident les médias traditionnels ne sont pas des moyens pour d’énormes groupes de communication pour se faire des gonades en métal précieux. Ensuite, si effectivement, les ricains contrôlent l’information (le software en plus de la quasi-totalité du hardware), ce n’est certainement pas pour laisser n’importe qui faire et dire n’importe quoi. S’ils poussent à la dérégulation, c’est évidemment pour construire des oligopoles de la communication. Et si effectivement les naïfs irresponsables ™ du rézo peuvent paraître leurs alliés objectifs dans cette optique, il ne faut pas pour autant user d’une poussiéreuse rhétorique stalinienne : ils se contentent d’utiliser des potentialités libertaires du médium. D’ailleurs, je doute que M. Time-Warner brûle un cierge tous les soirs aux inconséquents d’Uzine2 et leurs épigones.
Et ce sacré fripon de Dominique, se contente avec une subtilité de pachyderme apathique, d’essayer de surfer sur la vague de l’esprit anti-libéral, pour nous faire croire qu’il joue au rôle du petit contre les gros ™. Il botte ce faisant très fort en touche à ce petit jeu du poujadisme toutes catégories en s’en prenant aux élites du net (forcément) méprisantes envers le populo. Sans compter que, tout bien considéré, il donne de plus nets signes d’allégeance envers M. Bouygues que moi-même envers Ted Turner. Mais je n’ai pas du bien comprendre les enjeux ™. Que je suis con !
Mais c’est évidemment le point 1 avec lequel je me délecte, point 1 qui constitue le fond de commerce de ce sacré Dominique, et qu’il a le bon goût de résumer en quelques lignes (au lieu des bouquins indigestes qu’il a déjà commis sur le sujet).
Avant de commencer, je voudrais faire remarquer que dans l’article incriminé, l’intervieweuse (la sémillante Catherine Mallaval) se contente de lui dérouler le tapis rouge sans songer un seul instant à relever ses insanités. D’autant qu’il se permet de critiquer les journalistes qui n’auraient pas suffisamment crié au loup (à l’Internet, veux-je dire). Mais non, on est entre confrères, dans un média traditionnel (un vrai, quoi), et on se garde bien de faire preuve d’esprit critique et de risquer de chagriner le micro-mandarin. Comme quoi, maître Dominique n’a pas trop de bile à se faire. Enfin, passons.
Donc, voilà le Wolton en plein flag’ de woltonnerie : Qu’est-ce qu’un média ? Eh bien c’est quelque chose qui émane d’une logique de l’offre : c’est le cas d’un journal, d’une radio, d’une télé, qui propose à un public, qui prend ou pas. Allons bon ... Remarquons évidemment que ce polisson de Wolton est bien le seul à définir un medium de cette façon. Et qu’il aurait pu aussi bien définir un medium comme étant quelque chose qui arrive dans une boite dotée d’une télécommande (et d’une kro dans l’autre main), c’eut été encore plus clair. D’ailleurs, Uzine2 sur le fond, reste dans une optique d’offre ; celui que ça n’intéresse pas ne va pas sur le site. Un argument ridicule, mais le meilleur reste à venir.
Ensuite : tout média repose sur une vision construite ou en tout cas préconstruite d’un public. Ca veut dire qu’on sait (par quel miracle ? Cartomancie ? Marc de café ?) qu’on sait ce qu’est le public. Et donc ce qui est bon pour lui. Wolton a encore une vision bien paternaliste d’un public infantile qu’il faut prendre part la main. Pour tout dire, un mépris assez faramineux suinte de ses propos sans qu’il semble bien s’en rendre compte, et sans que Mme Mallaval songe à le reprendre. Le problème, avec Internet, c’est que potentiellement, les gens comme Dominique, deviennent inutiles.
Evidemment, papy Wolton ne présente pas les choses comme ça, il ne dit pas explicitement : Toi, demeuré, moi, grand sorcier qui va te donner ta pâture, car moi, initié par les dieux aux obscurs secrets du monde (d’ailleurs, il le sous-entend tout de même très fort : L’égalité d’accès à l’information ne crée pas l’égalité des compétences face à l’information). Non, il préfère nous parler de déficit démocratique et d’accroissement des inégalités. Ce n’est pas qu’il ait complètement tort, mais comme d’habitude avec lui, il bétonne sec l’amalgame, ce qui est pour le moins troublant de la part d’un ponte du CNRS, et nous parlerons plus loin de ce problème. Ce qui est certain, c’est qu’implicitement, le Wolton prétend défendre un certain type de social. Ou plutôt veut nous faire croire que les media traditionnels (et en particulier la télé) raffermissent ou tout du moins maintiennent le lien social. C’est d’ailleurs le fond de son offre à lui. En proposant au public une certaine idée du monde autour de laquelle il peut se rassembler, la télé empêche que le chaos ne s’instaure dans nos démocraties démythifiées.
Evidemment, de pareilles assertions demandent à être démontrées. C’est ce que frère Wolton a essayé dans pas mal de ses bouquins sans parvenir à convaincre d’autres personnes que les illettrés et les cuistres qui pullulent dans les services de com’ de TF1. Sans compter qu’on peut se demander si ce public n’est pas en fait créé de toute pièce par les media. En bref, le genre de « raisonnements » lamentables nourris au sein d’une sociologie à deux balles.
Sans compter que comme 90% des sociologues ou apparentés, Wolton est un partisan du status quo et défend une conception conservatrice, si ce n’est réactionnaire du social. Il est bien entendu impossible que le dit social soit en train de se modifier, et que le système hierarchico-paternaliste qu’il nous présente soit en voie d’obsolescence. Et que le meilleur moyen que cette évolution ait lieu est peut-être une utilisation sans cesse croissante d’Internet. Par exemple. En fait, Wolton est très cohérent avec lui-même : les média traditionnels soutiennent et réconfortent un social tout aussi traditionnel ; dans ces conditions, Internet, lié à un social plus éclaté, est évidemment le loup dans la bergerie du social de papa. Dans cette optique, les arguments de Wolton poussent à encore plus d’Internet de la part de gens qui n’ont pas forcément envie de traîner ad vitam aeternam pareil boulet. Mais je ne suis pas bien certain que ce soit le but de sa diatribe.
Bref , tout bien réfléchi, il énonce des évidences, et quand il n’y arrive même plus, des contre-vérités.
Mais venons en à une critique bien plus fine et intelligente d’Internet, celle de S. Halimi dans le Diplo d’aout. Quels sont les arguments qu’il oppose à la techno-béatitude ?
Une paranoïa anti-étatique qui va de pair avec une croyance délirante dans les qualités de la société civile. Il faut bien reconnaître qu’Halimi n’a pas complètement tort, il suffit pour en avoir confirmation de se promener sur les pages coup de gueule de trop nombreux techno-neuneux. Mais certains internautes ont aussi demandé à l’Etat de prendre ses responsabilités devant les nouveaux media émergents (un hébergeur de service public par exemple). En bref, quid de la citoyenneté à l’heure d’Internet ? Vaste débat, mais qui existait, il y a déjà 15 ans, alors que l’Internet grand public en était à ses balbutiements. Certes, les animaux sont peut-être malades de la peste, mais de là à charger l’âne-Internet de tous les péchés ...
Internet ne bénéficie qu’aux individus relativement aisés et instruits. C’est tout à fait exact. Mais ce n’est certainement pas en le réglementant à tort et à travers qu’il va se répandre dans toutes les couches de la population. Bien plutôt (par exemple) en baissant le prix des PC. Ce qui est certain, c’est que le reproche de servir de porte-voix à l’élite (mais quelle élite ?) n’a pas fini d’être reproché au réseau.
Corrélativement, l’usage d’internet ne peut qu’accroître le fossé entre les insiders et les outsiders. C’est vrai, et discréditer encore plus les classes laborieuses (pour parler comme Halimi). Et naturaliser l’état de marché et ses inégalités structurelles. D’un autre coté si Internet est promis à un avenir de medium de masse, cette distance devrait se résorber. Mais à vrai dire, je ne pense pas qu’Internet devienne jamais un medium de masse, mais cédera plutôt le pas à une sorte de super-télé, vaguement interactive qui satisfera bien plus les industriels et les beni-oui-oui à la Wolton. Dans l’intervalle, essayons de profiter au maximum de la chance qui nous est échue, et soyons autant que faire se peut acteurs plutôt qu’enfants pas assez sages dont il faut tout de même bien s’occuper.