Le Phénix, selon la légende, renaît de ses cendres. Le Wap, lui, n’aura pas cette chance. C’est même un anti-phénix : il n’en restera que des cendres, avant même d’avoir vécu.
Depuis le temps que je suis l’actualité autour de l’Internet mobile (quatre ans, en fait), je n’arrivais pas à trancher entre ces deux propositions : soit les opérateurs sont complètement aveugles, et, tels les moutons de Panurge, nous wapifient leur discours sans trop savoir où ils mettent les pieds, soit ils savent très bien ce qu’ils font, savent qu’il faut investir massivement sur le secteur aujourd’hui, puisque demain, ils toucheront zeu maxibig pactole.
Pour inquétante qu’elle est, je commence à pencher pour la première solution. Explication.
Dans un entretien à Reuters, Frank Boulben, directeur général de VivendiNet, structure chargée des développements Internet de Vivendi, « reconnaît que les services WAP (Wireless Application Protocol) de première génération ont plus ou moins échoué, en raison d’un temps de connexion trop long (15 à 20 secondes), d’un débit trop faible (9,6 kbit/seconde) et d’une ergonomie peu séduisante avec un petit écran noir et blanc. »
C’est surtout le « plus ou moins échoué » qui m’a frappé : envolé, le bel optimisme affiché au début de l’été par au moins deux opérateurs français lors du lancement de leurs services. Lire entre les lignes : on s’est complètement planté, les premiers abonnés ne se servent plus de nos terminaux, on n’arrive pas à fidéliser les utilisateurs, bref, c’est la cata.
Le contraire eut été étonnant. Tous ceux qui ont eu un mobile Wap entre les mains auraient pu le dire à ces malheureux opérateurs. Lisibilité médiocre, taux de transfert pas génial, et ergonomie à faire de vous un adepte-minute du yoga (si vous n’avez pas d’assurance contre le massacre volontaire du terminal). Maintenant, il va falloir gérer la crise : que vont devenir les terminaux Wap commandés par France Télécom, SFR et Bouygues ? Et surtout, qui va payer ? Nous, abonnés mobiles ?
La suite ?
« On considère que le vrai décollage sur le volet mobile de Vizzavi, on devrait le connaître avec le GPRS, qui arrive à la fin de l’année dans la plupart des pays d’Europe », déclare Frank Boulben. Genre de fuite en avant.
Il y a quatre ans, lors des premières annonces autour de ce qui allait devenir le Wap, on nous présentait ce protocole comme l’avenir de la téléphonie mobile. Quatre ans de rêve pour les opérateurs et les constructeurs. Aujourd’hui, ils sont repartis pour trois à quatre ans de rêve, puisque « Vizzavi pourrait être présent sur quelque 120 millions de terminaux mobiles (grâce à SFR et à Vodafone) et sur 20 à 25 millions de téléviseurs (avec Canal+ ) d’ici trois ou quatre ans. » Il est vraiment en plein trip, le frangin.
C’est assez pathétique de voir des professionnels se raccrocher désespérément à des promesses (et notamment aux oracles des IDC et autres Forrester) pour mettre en place des « stratégies Internet ». France Télécom a repoussé la date d’entrée en service de son réseau GPRS (il ne devrait ouvrir qu’en juin 2001). Pour ne pas faire de l’ombre au Wap, étant donné que FT s’est mis sur les bras quelques millions de terminaux compatibles, ou simplement parce que le GPRS n’est pas aussi facile que ça à mettre en place ? Chez Vivendi ou chez Bouygues, on reste confiant : le GPRS, c’est pour début 2001. Mais bien sûr.
De faux raisonnements
Dans cette même interview, « il défend la stratégie consistant à privilégier le téléphone mobile en soulignant que le taux de pénétration de cet appareil est "sans commune mesure" avec celui des ordinateurs en Europe. En France seulement, un habitant sur deux sera équipé d’un portable fin 2000 et trois sur quatre le seront d’ici trois ans. »
Encore un écran de fumée, et un raisonnement simpliste. Frank Boulben nous ressort un argument usé jusqu’à la corde : le parc de téléphones mobiles croît plus rapidement que celui des ordinateurs. Si nous mettons Internet sur les mobiles, nous aurons pour Internet des taux de croissance nettement supérieurs à ce que nous connaissons aujourd’hui. CQFD.
Seulement, ça n’a rien à voir. C’est à peu près aussi stupide que de déclarer : les propriétaire de voitures ont souvent des chiens. Si on vend plus de voitures, il y aura plus de chiens sur Terre.
Bref, on est pas sorti de l’auberge. Sitôt vendu à toi, malheureux utilisateur d’un terminal Wap, sitôt envoyé aux oubliettes. Injuste ? C’est la loi du marché, gars !
Le GPRS ? Bof, on a le temps de voir venir. Laissez-donc passer six-huit mois après leur sortie avant d’étudier l’éventualité de vous payer un terminal de ce type, des fois que votre opérateur vous dirait qu’il s’agit « plus ou moins » d’un bide total six mois après le lancement du service.
Alors ?
Internet sur un terminal mobile a certainement un intérêt, mais vouloir faire avec un téléphone la même chose qu’avec un PC n’est pas possible, techniquement et ergonomiquement parlant, même à horizon deux ans. Plutôt que de consacrer des milliards d’euros à s’acheter des licences, opérateurs et industriels auraient mieux fait de réfléchir un peu comment adapter le contenu au terminal, et non pas l’inverse.
Lire la dépêche de Yahoo.