Vous avez sûrement eu affaire un jour ou l’autre, quand vous étiez petit, à ce genre de pot-de-colle. Pas forcément un premier de la classe, mais un fayot, ennuyeux comme la pluie, qui arbore cartable en cuir et raie impeccable, vous vend ses Carambars dix francs pièce à la récré, vous dénonce sans complexes à la maîtresse quand il vous voit pomper sur le voisin, et, ne doutant de rien, a encore le culot de vous courir après pour participer à vos jeux et à vos conciliabules avec vos camarades : eh bien, Jean-Marie Messier, c’est un peu pareil. La semaine dernière, dans Paris-Match, il se faisait photographier chez lui, mollement allongé sur un couvre-lit digne d’un hôtel Formule 1 (c’est bien la peine d’être aussi riche !), lisant La Bourse ou la vie, d’Oncle Bernard et Philippe Labarde. "Jean-Marie Messier s’amuse à feuilleter un livre plutôt critique à l’égard du capitalisme dont il est l’un des meilleurs représentants", nous informait la légende. Comme quoi le pote Jean-Marie est super dans le coup. Attention, on dit du mal de lui, mais ne croyez pas qu’il l’ignore ! Lui, si large d’esprit ! Au contraire, ça l’amuse ! Ha, ha, ha ! Que ces gauchistes sont pittoresques !... D’ailleurs, il a intitulé son livre J6M.com (oh, le cauchemar...), parce que "J6M", c’est le surnom que lui ont donné Les Guignols de l’Info, et, nous disait-il mercredi dernier au journal de 13 heures, sur France-Inter, "je trouve ça drôle". Aussitôt on voit clignoter le voyant : "J’ai de l’humour ! J’ai de l’humour !..." Messier veut le beurre et l’argent du beurre : il veut être le patron, le maître du monde, mais sans la sale image qui va avec. "Comme si, entre la Bourse et la vie, il n’avait pas déjà choisi..." ironise Honoré dans Charlie Hebdo, cette semaine.
C’est que Honoré n’a rien compris à la beauté du sacerdoce que représente la fonction de chef d’entreprise. Sur les photos de Match, on voit encore Messier dans sa cuisine, en train de croquer joyeusement dans un sandwich, genre je n’ai pas une minute à moi... Ben voyons. Ce type gagne des millions – il l’a dit, parce que, transparence, main sur le cœur, bla bla, bien conscient, chance immense, bla bla, responsabilité, bla bla… -, et il veut nous faire croire qu’il bouffe des jambon-beurre ?! Pire : non seulement on est censé le croire, mais on est censé l’approuver ? Dites-moi si c’est moi, mais, pour se taper des sandwichs immondes quand on a les moyens de s’offrir les repas les plus fins, il ne faut pas être un peu neu-neu, non ?... La légende de la photo nous prie de noter que "sur le frigidaire, comme dans la cuisine de millions de Français, s’alignent les autocollants des Pokémon". Ah, bon... Je ne les ai pas vus, personnellement, sur la photo, les fameux autocollants. Mais je fais confiance à Paris-Match.
Quant au trou qu’il arbore, on finira par le savoir, à sa chaussette, Messier, toujours sur Inter, déclare solennellement : "Paris-Match m’a piégé... Mais un homme qui s’occupe lui-même de ses chaussettes ne peut pas être foncièrement mauvais !" Mais qui vous soupçonne d’être mauvais, cher ami, voyons ? On lui connaissait cette frénésie à montrer patte blanche ("Créé 13 000 emplois en deux ans… Bla, bla…" : m’emmerdez pas, c’est moi ou le chômage !), mais, quand ça prend de telles proportions, forcément, on est saisi d’une inquiétude : est-ce que, par hasard, il serait encore plus démesurément, encore plus honteusement puissant qu’on se l’imagine déjà, pour avoir autant besoin de nous rassurer ?
Sur Internet aussi, Messier est sur tous les fronts. Le front des CSP endives dynamiques, avec son portail Vizzavi, et le front des CSP contestataires subversifs, avec Powow.net, son site consacré à, ne riez pas, "l’éthique sur le Net" - le trou à sa chaussette virtuelle, en quelque sorte. Un site, croyez-le ou non, avec de vrais morceaux de contestataires dedans ! Il les a engagés pour piloter le site, en leur laissant une marge de manœuvre totale. N’est-ce pas follement excitant ? Ce qui est bizarre, c’est que les contestataires en question, quand on les secoue un peu, se justifient en avançant des arguments gastronomiques : Powow.net leur permet de fuir les MacDo et de "déguster du Langres". Oh, les mecs ! Vous savez pas que votre patron mange des jambon-beurre ?