Toujours aussi moderne, toujours aussi souriant, Wanadoo, l’avatar de France Télécom, nous propose le retour à une très vieille économie où le tiers-monde a le droit de lever le doigt, mais pas pour demander la parole.
Il est presque jeune, il a l’air insouciant, il est parisien, il prend un métro tout gris, mais ça ne lui plombe pas le moral. Normal, il est en train de tourner dans un film de pub et il joue le rôle d’un client Wanadoo dont la vie est transformée par la magie de la vie point com.
Il est presque vieux, il a l’air sage, il est indien, il marche dans une rue indienne pleine de couleurs, mais son environnement n’a pas l’air de beaucoup le concerner non plus. On lui a demandé de lever le doigt et de marcher droit devant lui parce qu’est ce que prévoit son rôle dans le story board du film de pub Wanadoo. Ces deux personnages occupent alternativement l’écran, la tension dramatique ne cesse de croître. Quel rapport entre ces deux individus que tout semble séparer ? Vont-ils se rencontrer ? Pourquoi l’indien lève-t-il le doigt ? Et, surtout, quel produit veut-on me fourguer ?
La suite nous montre notre indien, toujours le doigt levé, dans un avion, pendant que le jeunot poursuit son inexorable quête d’un monde meilleur dans les rames de la RATP. Première observation, le pauvre prend un moyen de transport pour riches et le riche (vous avez des doutes sur la composition sociale majoritaire des 7/8 % de français internetisés ?) un moyen de transport pour pauvres. La mondialisation selon France Télécom serait donc une vraie révolution sociale qui abolirait ces clivages dépassés remontant à l’époque d’avant la nouvelle économie.
La succession de plans rapides ne nous montre pas tout. L’indien a-t-il payé sa place dans l’avion ? Comment a-t-il pu déjeuner en gardant l’index levé ? Sa voisine lui a-t-elle balancé une gifle en réponse à l’insistante obscénité de son doigt tendu ? Mais tout ça, on s’en fout. Ce film se situant dans un registre symbolique, c’est à ce niveau-là qu’il faut le regarder. Et ce qu’il raconte est particulièrement chargé, entre autres de mauvais souvenirs datant du temps où le blanc dictait sa loi au monde sans faire semblant de respecter le point de vue des autres peuples.
En effet, notre indien finit par rencontrer le dynamique cadre jeune sortant de son métro, il arrive à l’instant précis où le petit gars a besoin de renouer son lacet de chaussure. Et c’est là que le coup du doigt prend tout son sens : l’indien s’est tapé les huit heures d’avion pour venir s’occuper des chaussures de notre héros du travail. Et nous apprenons alors que c’est grâce à la magie de Wanadoo que cette rencontre a été possible. Comme je sens moi-même venir une faiblesse dans le laçage de ma chaussure gauche, je pense souscrire rapidement un abonnement à Wanadoo.
Donc, le déploiement de réseaux à travers la planète et les gigantesques investissements avec lesquels on nous gave depuis plusieurs années n’auraient pour finalité que de permettre aux riches d’identifier plus facilement les pauvres qui vont venir s’occuper de leurs pieds.
« Mais vous déformez nos pures intentions… »
J’entends d’ici les protestations du service com de la maison point com. « Oui, vous savez, nous avons voulu représenter de façon symbolique le rapprochement entre les peuples, peut-être l’exemple est mal choisi, mais mettez-vous à notre place, on aurait pris un africain, on nous aurait taxé de racisme, un américain, ça aurait trop évoqué le côté business de la mondialisation… En fait l’indien, ça plaisait à tout le monde, c’est tendance l’indien, comme le violet et la mode néo-bab, et puis j’avais promis à ma soeur qui séjourne dans un ashram du côté de Madras de profiter d’un tournage pour lui rendre visite. »
C’est clair, il n’en sont pas à une invraisemblance près chez France Télécom. D’ailleurs, est-ce que vous avez déjà essayé de rattacher des lacets de chaussure alors que quelqu’un pose son doigt dessus ? C’est beaucoup plus compliqué.
De toute façon, ne comptons pas sur nos amis de France Télécom pour nous dire quelles sont les vraies raisons de s’abonner à Wanadoo. Quoique, ça ne manquerait pas de classe : « Ados, arrêtez de vous parler dans la rue à la sortie du collège, FT a inventé pour vous la cour de récré à péage ! » ou encore « Votre femme vous a quitté ? Vous craignez de vous faire piquer vos video X par le mec au pitbull qui rôde près du distributeur de cassettes ? Entrez, entrez dans la plus grande expo de photos de cul jamais organisée ! » ou « Vous en avez marre de jouer les rats de laboratoire dans le labyrinthe planifié de votre hypermarché ? Venez faire la même chose sur internet, le système a encore été perfectionné. »
Mais peut-être que, finalement et à bien y réfléchir, la pub n’a pas été inventée pour dire la vérité...