« Internet, c’est comme les petits pois en conserve : il y a la boîte, et il y a les petits pois. Internet est une boîte, une boîte très développée technologiquement. Mais une boîte. Les petits pois, ce sont les programmes audiovisuels qu’on y diffuse. Ce n’est pas la même chose si l’on y met des carottes (par exemple du téléphone) ou encore des navets (c’est-à-dire de la vente par correspondance). Les petits pois doivent respecter certains critères que ne connaissent ni les carottes ni les navets. De là la nécessité d’identifier des règles et des responsabilités. Si les petits pois sont mauvais, on n’accuse pas la boîte : voilà la différence entre le support et les différents services qu’il peut proposer. » (Hervé Bourges, propos recueillis le 29 novembre 1999 par Le Journal du Net)
Vous qui faites des pages Web pour le plaisir de communiquer, d’échanger, de vous exprimer, vous qui visitez les dizaines de milliers de sites réalisés par des amateurs passionnés, vous qui savez que les serveurs les plus visités dans le monde sont ceux qui hébergent les pages créées par les citoyens (Geocities, Tripod, Altern, Multimania et tant d’autres), vous avez un énorme avantage sur Hervé Bourges : vous êtes plus compétent que lui...
En effet, l’homme qui souhaite réguler les contenus sur le réseau des réseaux ignore parfaitement de quoi ce réseau est constitué. Il ignore, tout simplement, que l’immense majorité des pages créées, mises en ligne et visitées chaque jour, sont le reflet de l’expression de simples citoyens.
Il fait la démonstration de sa sidérante culture du Web lors d’un colloque au Palais Bourbon, le 18 février 1999. Décrivant les contenus de l’internet, il explique que « pour l’instant, 80% du trafic Internet est consacré à la correspondance privée [mails] », « le commerce électronique se situe pour l’instant quelque part dans les 20% restants, avec d’autres services [...], qui sont les services audiovisuels ».
Si je compte bien, 80% + 20%, ça ne laisse pas des masses de place pour le Web indépendant et les millions de citoyens qui, à travers le monde, utilisent l’internet comme unique moyen d’accès à l’expression publique.
Détaillant ce qu’il croit être le contenu de l’internet, M. Bourges poursuit : « on y trouve aussi bien... — du courrier électronique, — le catalogue de La Redoute, — de nouveaux services qui s’apparentent à des échanges de télécommunication avec visiophone, — des services qui sont assez comparables (sauf en rapidité et en qualité visuelle) avec les services du Minitel, — des chaînes de télévision et des stations de radios, — et probablement d’autres services encore qui restent à inventer ». Ca c’est une vision enthousiasmante de l’internet : moitié visiophone, moitié Minitel, aussi attrayant que le catalogue de La Redoute !
Mais vous et moi avons remarqué, surtout, qu’il manque quelque chose : nous ! Nous faisons ou consultons des sites Web amateurs, nous enrichissons les sites que nous visitons par l’échange d’idées, de critiques, nous constituons la principale source d’information du réseau... faut-il supposer que nous sommes les « autres services qui restent à inventer ? »
Une bonne partie du fond du problème est là : si M. Bourges n’a aucun scrupule à vouloir réglementer ce qui est, avant tout, la seule forme d’expression publique librement ouverte aux citoyens, c’est qu’il n’a aucune idée de ce qui fait, historiquement, quantitativement, qualitativement et économiquement l’internet. C’est-à-dire nous... Pour lui, l’internet se limite à des conversations privées, des sites marchands et des services audiovisuels. Rien de plus.
Sur ce point, on notera encore la participation, au Sommet des régulateurs du 30 décembre, de Dominique Wolton, qui viendra dire tout le mal qu’il pense des « mythes » de l’internet. Un autre visionnaire, qui ne voit dans l’internet qu’une collection de services audiovisuels aux mains des multinationales américaines avec, au mieux, quelques sites d’organisations humanitaires. Pour lui non plus, les citoyens n’ont jamais utilisé le réseau pour s’exprimer. Sur le réseau, le citoyen ne s’exprime jamais, c’est au mieux un « utilisateur », au pire un consommateur.