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Le CSA
 
vendredi 2 mars 2001
Dominique Baudis

Le CSA n’entend pas renoncer à contrôler l’internet

par ARNO*
 

Le magazine Le Nouvel Hebdo publie dans son édition du 2 mars un entretien avec Dominique Baudis, le nouveau boss du CSA. On espérait du remplaçant de Hervé Bourges un peu mieux que son prédécesseur, pour l’instant c’est carrément décevant : soit Dominique Baudis ne maîtrise pas encore ses dossiers, soit il a déjà été formaté par l’esprit-maison qui règne au CSA, soit c’est aussi grave que pendant l’ère précédente.

- Le CSA contrôle l’internet

Vieille question : le CSA doit-il avoir le moindre contrôle sur l’internet ? On se souvient que le CSA prétendait nous imposer à tous (nous les ch’tits sites indépendants) une déclaration de média audiovisuel auprès de ses services. On se souvient encore des déclarations de Hervé Bourges, criant sur tous les toits que le CSA avait toute autorité sur le réseau.

Avec Dominique Baudis, le CSA se répète : « Dans le domaine d’internet, chacun doit remplir sa mission. Évidemment, les médias audiovisuels relèvent de l’autorité du CSA. Pas question qu’ils s’affranchissent des règles du Conseil lorsqu’ils émettent à destination d’ordinateurs. » Hum, « émettre à destination d’ordinateurs », le gars maîtrise son sujet...

« Je considère que tout ce qui concerne les médias audiovisuels, qui s’adressent à une masse de gens et qui ne sont ni du ressort de la correspondance privée, ni du commerce en ligne, relèvent de notre compétence. Le fait qu’ils ne soient disponibles que sur internet n’y change rien. Car la télévision ne se définit plus seulement par l’existence d’un téléviseur. » Otez-moi d’un doute : est-ce que tout ce qui n’est pas de la correspondance privée ni du commerce en ligne est de la télévision ?

Mais, grâce à son esprit d’ouverture qui le caractérise, Dominique Baudis affine son propos : « Si une chaîne de télévision organise à l’antenne un débat dans le cadre d’une campagne électorale, elle se plie à la réglementation du CSA. Lorsque le programme est diffusé en ligne, les contraintes sont identiques. De la même façon, je considère que les chaînes, qui sont soumises à la signalétique du Conseil pour leurs émissions, seraient en infraction si elles ne les appliquaient pas lors de la diffusion des mêmes documents sur le net. Il faudra toutefois examiner le cas des radios et des télévisions qui émettent directement et uniquement en ligne. » Cette dernière phrase est intéressante : il serait possible d’appliquer un traitement différent aux médias en ligne qui n’existent que sur le réseau et aux médias en ligne qui existent aussi hors du réseau. Il ne reste plus qu’à expliquer ça au Conseil constitutionnel, et à déterminer comment on fait la différence entre le site Web de TF1, le site d’une filiale que TF1 ne manquera pas de monter sur le Web (pour contourner les restrictions appliquées à son site principal), et le site d’une start-up financée par TF1.

On rappellera à tout hasard que la plus récente ligne gouvernementale en matière d’internet prévoit d’exclure le CSA du champ de l’internet. Cela fut très clairement expliqué par le député Christian Paul dans son rapport au Premier ministre de mai 2000 : « S’agissant du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) [...], sa mission, sa composition et ses modes d’action ne peuvent pas prendre en compte la réalité présente et future de l’internet. Une nouvelle modification de la loi de 1986 sera nécessaire pour exclure sans ambiguïté les usages de l’internet – y compris les usages audiovisuels – de son champ d’intervention. L’un des fondements de la légitimité de l’intervention du CSA est la rareté structurelle des fréquences, des canaux ou des opérateurs de "bouquets". Cette rareté, qui confère une influence particulière à quiconque dispose du droit d’occuper une part de l’espace, cette rareté disparaît sur l’internet. Les acteurs de l’internet ne se voient pas attribuer une portion de l’espace public, comme c’est le cas lorsqu’une fréquence est allouée. Enfin, il est impossible de faire la différence entre de "réels" actes de communication publique au sens de l’esprit de la loi de 1986 – médias, publications, communication politique... - et d’autre part, des sites web dont les vocations sont pourtant différentes : communication commerciale [...], diffusion de son CV par un individu, échange via le web entre les membres d’une famille... La régulation par le CSA des seules communications "audiovisuelles" sur l’internet ne fait pas plus de sens, dans la mesure où la continuité entre texte, image fixe, son et image deviendra de plus en plus grande. »

Au dernières nouvelles, clairement, le CSA était renvoyé sur la touche, d’une manière très claire : pas de compétences, pas de légitimité, donc pas d’intervention sur l’internet, même pour des médias audiovisuels en ligne. Mais ça n’empêche pas Dominique Baudis de revenir à la charge.

- Les attributions du CSA

On le sait, la seule raison d’exister légitime du CSA est d’assurer la pluralité de l’information sur une bande de fréquence limitée. L’internet ne souffrant pas de cette rareté des « canaux », le CSA y perd donc toute légitimité.

Du coup, Dominique Baudis s’imagine de nouvelles missions : «  Nous travaillons aussi avec d’autres instances de régulation, qu’il s’agisse de la Commission des opérations de Bourse, du Conseil de la concurrence... Et je présume qu’à l’avenir, ces collaborations se multiplieront dans les domaines les plus divers. ».

« Dans les domaines les plus divers »... et allons donc !

- Quel ministère ?

Concernant l’internet en France, le ministère le plus important a longtemps été celui de l’Économie et des finances, Dominique Strauss-Kahn croyant beaucoup aux start-up... Cependant, Hervé Bourges avait plutôt misé sur la Culture, et avec Catherine Trautmann ils formaient un tandem drolatique en matière d’internet. Entre les formules à l’emporte-pièce de l’un et les « Nous souhaitons que nos concitoyens sachent comment est filtrée, traitée, l’information qui leur est proposée. » de l’autre, la ligne répressive se trouvait du côté de la Culture.

Revirement politique : « Reste à formaliser cela sur le plan juridique. Je vais prochainement rencontrer Christian Pierret, le secrétaire d’Etat à l’Industrie, pour discuter des articles relatifs à la responsabilité du CSA dans la loi sur la société de l’information. ». Voilà maintenant que le CSA marche main dans la main avec l’Industrie ! L’Industrie qui, comme chacun le sait, est particulièrement attentive à la pluralité de l’information en ligne et à l’accès des citoyens à l’expression publique...

- Forum des Droits de l’Internet

Reste l’épineux problème du Forum des Droits de l’internet (qui se met en place en ce moment) : Christian Paul, son initiateur, en avait clairement exclus le CSA, et le nouveau lieu concurrencera forcément le CSA au niveau de l’expertise de l’internet.

Mais Dominique Baudis a déjà sa petite idée... « Un forum des droits d’internet - un lieu de concertation et de débats entre les acteurs du net, les entreprises et les internautes - est nécessaire. Il arrive un moment où des règles doivent être édictées, et des sanctions prises lorsqu’elles sont transgressées. Si on établit des règles sans se donner les moyens de les faire respecter, elles tombent vite en désuétude. »

Là encore, le CSA ne renonce pas facilement à son pouvoir : le Forum, présenté partout par Christian Paul comme un simple espace de discussion sans aucun pouvoir (en particulier aucun pouvoir répressif), pourrait donc édicter des règles et prendre des sanctions. Nous v’là bien...

- Pour conclure, j’ai gardé pour la fin cette petite friandise... « Nous avons des expériences communes à partager, dans un pays qui n’a pas de culture de régulation. »
Mais de quel pays peut-il bien parler ?

 
 
ARNO*
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Vainqueur 1982 du concours « Chateau de sable » du Club Mickey des Pingouins à Sainte-Cécile.

15 juillet 2003
 
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