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Les « diligences appropriées » anticonstitutionnelles

par ARNO*

Les « amendements Bloche » ont été contestés par l’opposition auprès du Conseil constitutionnel.

L’article incriminé de ces amendements était rédigé ainsi :

« Art.43-8. - Les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services ne sont pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services que :

« - si, ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu ;

« - ou si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées. »

La saisine par plus de 60 députés ne s’attaque cependant spécifiquement à cet article (l’opposition ayant systématiquement tenté de durcir ces dispositions).
Le gouvernement, dans ses observations ne tente d’ailleurs pas davantage de défendre ce point précis.

De fait, dans son communiqué de presse, le conseil indique qu’« [il] a rejeté, pour l’essentiel, le recours dont l’avaient saisi plus de soixante députés ». En revanche, il indique avoir censuré d’office quelques dispositions, et en particulier celle relevant des « Amendements Bloche » : « Ont été enfin censurées d’office, comme trop imprécises au regard des exigences imposées à la loi par l’article 34 de la Constitution en matière de détermination des crimes et délits, les dispositions de l’article 1er de la loi déférée qui mettaient en jeu la responsabilité pénale des personnes fournissant des prestations d’hébergement (serveurs), lorsque "ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite... elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées". »

Jugement très fort de la part du Conseil : dans l’article 1er, l’alinéa portant sur les « diligences approriées » est déclaré constaire à la Constitution.

« Considérant que l’article 1er de la loi déférée insère dans le titre II de la loi du 30 septembre 1986 susvisée un chapitre VI intitulé : "Dispositions relatives aux services de communication en ligne autres que de correspondance privée" et comprenant les articles 43-7 à 43-10 ;

« Considérant qu’il résulte de l’article 43-8 que "les personnes physiques ou morales qui assurent, à titre gratuit ou onéreux, le stockage direct et permanent pour mise à disposition du public de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par ces services" ne peuvent voir leur responsabilité pénale ou civile engagée à raison du contenu de ces services que dans deux hypothèses ; que la première vise le cas où "ayant été saisies par une autorité judiciaire, elles n’ont pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu" ; que la seconde est relative à la situation où "ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées" ;

« Considérant qu’il y a lieu de relever que l’article 43-9 inséré dans le nouveau chapitre VI du titre II de la loi du 30 septembre 1986 par l’article 1er de la loi déférée impose par ailleurs au prestataire d’hébergement "de détenir et de conserver les données de nature à permettre l’identification de toute personne ayant contribué à la création d’un contenu des services" dont il est prestataire ;

« Considérant qu’il est loisible au législateur, dans le cadre de la conciliation qu’il lui appartient d’opérer entre la liberté de communication d’une part, la protection de la liberté d’autrui et la sauvegarde de l’ordre public d’autre part, d’instaurer, lorsque sont stockés des contenus illicites, un régime spécifique de responsabilité pénale des "hébergeurs" distinct de celui applicable aux auteurs et aux éditeurs de messages ; que c’est toutefois à la condition de respecter le principe de la légalité des délits et des peines et les dispositions de l’article 34 de la Constitution aux termes desquelles : "La loi fixe les règles concernant : ...la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont applicables..." ;

« Considérant qu’en l’espèce, au troisième alinéa du nouvel article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, le législateur a subordonné la mise en œuvre de la responsabilité pénale des "hébergeurs", d’une part, à leur saisine par un tiers estimant que le contenu hébergé "est illicite ou lui cause un préjudice", d’autre part, à ce que, à la suite de cette saisine, ils n’aient pas procédé aux "diligences appropriées" ; qu’en omettant de préciser les conditions de forme d’une telle saisine et en ne déterminant pas les caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager, le cas échéant, la responsabilité pénale des intéressés, le législateur a méconnu la compétence qu’il tient de l’article 34 de la Constitution ;

« Considérant qu’il y a lieu, en conséquence, de déclarer contraires à la Constitution, au dernier alinéa de l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi déférée, les mots "-ou si, ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées". »

- Explication

Le Conseil se réfère (naturellement) à la Consitution de 1958, dont l’article 34 indique que « La loi fixe les règles concernant [...] la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leurs sont applicables. »

Pour comprendre ce texte, on peut se référer à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (qui a toujours valeur constitutionnelle). L’article 5 indique que « Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. » ; et l’article 8 que « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires. ».

La loi ne peut donc que définir ce qui est interdit, et cela d’une manière très précise. En effet, le citoyen ne peut agir librement dans la société que s’il sait quelles sont les limites de cette liberté. Si la loi est imprécise, elle laisse le citoyen à l’arbitraire et à l’interprétation : on pourrait donc commettre des crimes ou des délits sans le savoir, parce que la loi n’est pas assez explicite. La précision de la loi, c’est donc l’un des fondements de l’État de droit.

Dans la version des amendements Bloche votée par le parlement, ce sont bien entendu les « diligences appropriées » qui posent le plus problème : on ne peut pas considérer comme un délit le fait de n’avoir pas « fait ce qu’il fallait faire », sans plus préciser ce qu’on attend de l’hébergeur. Le premier alinéa, indiquant qu’il doit répondre promptement à l’injonction de l’autorité judiciaire, est très clair : l’hébergeur sait quel comportement on attend de plus avec précision. En revanche, des « diligences appropriées », personne ne sait ce que cela signifie.
Les politiques interpellés sur ce sujet n’ont jamais été bien précis non plus, indiquant au mieux qu’il s’agit d’une mesure « de bon sens » ; ne pas avoir « exercé son bon sens » ne saurait pas être un délit défini par une loi !

Le mode de saisine de l’hébergeur (« ayant été saisies par un tiers ») est également jugé trop flou, et contrevient à la Constitution. En effet, sans plus de précision, l’hébergeur ne savait pas à quel moment il devait commencer à entreprendre des démarches (les « diligences appropriées ») : sur simple courrier électronique, suite à un courrier postal, le tiers doit-il s’identifier ou une simple lettre anonyme suffit-elle, faut-il le constat d’un huissier, cette saisine doit-elle être validée par une personne assermentée (officier de police, huissier de justice, représentant d’une association de protection des droits d’auteurs...)...?

- La traduction constitutionnelle des critiques des associations

Il faut noter que cette décision du Conseil constitutionnel répond exactement aux critiques faites (formulées alors en termes moins juridiques) par les associations d’usagers de l’internet lors des débats sur ces amendements.

En effet, celles-ci n’ont cessé de dénoncer l’imprécision d’un texte qui livrait les hébergeurs et les auteurs de sites Web à l’arbitraire pur et simple. Elles ont systématiquement dénoncé les « diligences appropriées » comme étant la porte ouverte à la censure préalable et « sur simple demande », malgré les dénégations des politiques.

- Est-ce terminé ?

Verrons-nous revenir ces « diligences appropriées » ou une forme de responsabilisation des hébergeurs quant au contenu qu’ils hébergent ?

Dans l’immédiat, non : il faudrait pour cela relancer tout le processus législatif ; ce que le gouvernement ne peut faire pour corriger l’invalidation d’un seul alinéa...

En revanche, on attend pour bientôt une loi globale, la Loi sur la Société de l’Information (LSI), qui traitera des problèmes liés au réseau dans un contexte plus général. Dans le cadre de cette loi, on ne présager d’un retour de cette responsabilité des hébergeurs.

Notons cependant que, habituellement, un gouvernement qui vient de subir l’humiliation d’une invalidation par le Conseil constitutionnel (à tout le moins, pour ceux dont la rédaction des textes législatifs est la profession, voter un texte anticonstitutionnel est une preuve d’amateurisme et d’incompétence) rase les murs et n’y revient pas...

De plus, s’il veut y revenir, il lui faudra alors préciser et expliciter ce qu’il entendait auparavant par « diligences appropriées ». Soit, d’un côté, ces diligences correspondent à ce que les associations craignaient, et le gouvernement devra explicitement voter un texte répressif (et il faudra à la gauche plurielle pouvoir l’assumer devant ses électeurs), soit il s’agissait d’une coquille vide, une déclaration d’intention creuse et inutile, et l’expliciter sera tout aussi ridicule.

- Que devient le texte ?

Le Conseil constitutionnel n’a supprimé qu’une seule phrase (celle concernant les « diligences appropriées ». Tout le reste des amendements Bloche est conservé en l’état.

Il est donc clairement indiqué que la responsabilité des hébergeurs quant au contenu hébergé est abolie, légalement : « [les hébergeurs] ne sont [pas] pénalement ou civilement responsables du fait du contenu de ces services », ces hébergeurs doivent seulement répondre aux injonctions de l’autorité judiciaire (ce qui semble évident dans le cadre de l’État de droit).

Les déclarations des lobbies répressifs qui continuent d’indiquer que les hébergeurs sont responsables de ce qu’ils hébergent sont donc mensongères. Un juge qui condamnerait un hébergeur parce qu’il n’aurait pas coupé un site avant la décision d’un juge contreviendrait à la loi.

Toutes aussi fausses sont les déclarations de certains répressifs qui, comme certains patrons de maisons de disques, déclarent qu’on ne peut plus désormais faire fermer un site illicite : il suffit d’obtenir la décision d’un juge (dans le cas d’un référé, cela peut être très rapide) et l’hébergeur devra obéir à cette décision.

Bonne nouvelle sur ce point.

En revanche, il reste le problème de l’identification des auteurs des sites. Obligation inutile et dangereuse, et qui continue, indirectement, à faire peser une responsabilité sur les hébergeurs.

Malgré l’invalidation par le Conseil constitutionnel, les amendements Bloche contiennent donc toujours des points parfaitement liberticides.

 
 
ARNO*
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Vainqueur 1982 du concours « Chateau de sable » du Club Mickey des Pingouins à Sainte-Cécile.

15 juillet 2003
 
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