Patrick Bloche est un brave gars. Il est jeune, beau gosse, bien fringué, il cause bien, il est député et il met la main devant la bouche pour tousser. Il ne serait pas socialiste, il ferait un gendre idéal.
Seulement voilà, Patrick Bloche n’a pas de chance.
C’est un brave gars : il aime la liberté d’expression. Quand il a présenté sa loi, tout le monde l’a prévenu : « avec l’identification préalable obligatoire, vous allez transformer les hébergeurs en garde-chiourme, vous allez flinguer les derniers hébergeurs indépendants et privilégier les grosses structures commerciales, vous allez provoquer le flicage massif des citoyens qui s’expriment sur le réseau ». Il a répondu : « faites-moi confiance, j’aime la liberté d’expression, mon seul but est de permettre l’anonymat sur le réseau ». Liberté d’expression, anonymat, y’a pas à dire, c’est un brave gars.
Simplement il n’a pas de chance. À peine les amendements Bloche adoptés, Valentin Lacambre se retrouvait dans une situation intenable et se voyait contraint de fermer Altern. Le brave gars épris de liberté d’expression venait de provoquer le premier autodafé de l’ère numérique : du jour au lendemain, 48 000 sites, témoignages vivants de 48 000 citoyens du pays des Droits de l’Homme, brûlés, cramés, volatilisés. Que disaient ces gens, que pensaient-ils, quelles étaient leurs passions ? C’est trop tard, vous ne le saurez jamais. Sur le site d’un fan de Rage Against The Machine, on pouvait lire : « Burn, burn, you’re gonna burn ».
« Oups », s’est dit le gars Bloche.
Mais Patrick Bloche est un brave gars. Quand tout le monde l’a mis en garde : « attention, vos "diligences appropriées", c’est la porte ouverte à l’arbitraire, c’est un recul démocratique, vous allez institutionnaliser la censure expéditive et préventive », il a répondu calmement, rassurant : « faites-moi confiance, je suis un démocrate avec tout plein de grands principes républicains, mes "diligences appropriées", c’est juste du bon sens républicain pour protéger les victimes, ce qui est le but de la loi républicaine, n’est-ce pas ? ». Démocratie, république, rien à redire, ce type est un brave gars.
Simplement il n’a pas de chance. Le Conseil constitutionnel a déclaré ses « diligences appropriées » contraires à l’article 34 de la Constitution. Ça c’est moche : quand vous êtes tout rempli d’idéalisme républicain et que vous vous faites bananer par le Conseil constitutionnel au motif que votre texte est contraire à la Constitution, c’est l’humiliation suprême. Pour un député, y’a pas pire : vos collègues qui, eux, sont de vrais républicains, se mettent à jaser sur votre passage : « regardez, c’est le brave gars qu’a agi anticonstitutionnellement ». C’est tellement grave, pour vous dire, qu’on a décidé d’en faire le mot le plus long de notre vocabulaire.
« Oups », a fait le gars Bloche.
Mais comme c’est un brave gars, Patrick Bloche a plein d’amis, juges et hébergeurs, qui se sont empressés d’appliquer sa loi : depuis son adoption à l’Assemblée, on ne compte déjà plus les cas où les « diligences appropriées » ont été appliquées avec zèle. Jugements ineptes. Censure préventive pratiquée par les hébergeurs. Tout un tas de gars attachés à la liberté d’expression, la démocratie et la République, qui se sont empressés d’appliquer avec... diligence une loi républicaine, démocratique et pas du tout liberticide. Pas de chance pour ces amis : cette belle loi est contraire à la constitution.
À ce niveau, c’est plus un brave gars, c’est un chef d’escadrille.