1. Tout lecteur de journal, de magazine, de site Internet, en possession
de l’e-mail d’un journaliste, gracieusement porté à sa connaissance par
l’éditeur qui l’emploie, peut désormais fustiger la paresse
incommensurable de celui-ci, qui recopie servilement depuis dix ans des
dépêches de l’Agence France Presse. Avant Internet le lecteur ne lisait
pas les dépêches de l’Agence France Presse. Depuis Internet les lecteurs
destinataires des dépêches de l’Agence France Presse sont plus nombreux
que les journalistes.
2. Tout journaliste rédigeant un article dans lequel il évoque les
activités d’une entreprise, d’un groupe d’intérêts, d’une secte, d’une
éminente personnalité, ou s’interroge sur le bien fondé d’un produit,
critique un artiste, voire un homme politique, s’expose désormais à
recevoir dans les heures qui suivent plusieurs centaines, voire
plusieurs milliers de messages de protestation. Parfois même il pourra
s’agir d’injures. Dans les cas extrêmes de menaces.
3. Dans les deux cas de figures précédents, le rédacteur en chef ou le
directeur de la publication qui emploient ce journaliste imprudent,
sinon malintentionné, pourront eux aussi être les récipiendaires des
messages qui lui sont destinés.
4. Tout texte publié sur Internet par un journaliste, dûment identifié,
n’est pas susceptible de bénéficier du délai de prescription de trois
mois, prévu par une loi datant de 1881, aux termes de laquelle une
personne - physique ou morale -, s’estimant mise en cause à tort par la
presse, cesse de pouvoir demander un droit de réponse, poursuivre
l’auteur du texte incriminé du chef de diffamation, ou exercer toute
autre forme de demande de réparation qui sera examinée par un tribunal.
5. Tout journaliste doit désormais savoir, admettre, sinon se féliciter,
que le vibrant plaidoyer qu’il dédie au « devoir de mémoire », en saluant
les initiatives courageuses de M. Steven Spielberg, figurera quelques
semaines plus tard sur le portail d’un site révisionniste localisé
outre-Atlantique. Site dont l’activité est protégée par le 1er
Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.
6. Les communiqués de propagande rédigés à flux tendu par les
entreprises et les officines qu’elles commanditent à cet effet sont
accessibles gratuitement sur Internet. Tout lecteur attentif, et
passionné par l’information, pourra sans peine, et pour son plus grand
profit, les retrouver sous la plume des journalistes dont il parcourt
les écrits. Qu’ils soient publiés dans un support traditionnel ou sur
Internet.
7. Tout journaliste s’étant vu reconnaître par ses pairs une compétence
que ses employeurs daignent à l’occasion saluer fera montre d’une
parfaite impassibilité quand l’analyse des visites effectuées par les
internautes sur les pages du site qu’il honore de ses contributions
attestera que le score qui est le sien, notablement inférieur aux normes
imposées par les responsables de la publicité, légitime l’interruption
immédiate de sa collaboration.
8. L’extrême ergonomie que perfectionnent sans cesse les moteurs de
recherche autorise tout lecteur attentif, et patient, à établir, pour
son usage privé, une cartographie extrêmement précise et fiable de
l’itinéraire d’une information. Il constatera ainsi, avec un étonnement
bien compréhensible, qu’une dépêche émanant de l’un des bureaux ayant
pour fonction de procéder à la préparation des esprits au caractère
inéluctable de la mondialisation aura pu être reproduite à 248
exemplaires en vingt-quatre heures, dans des termes identiques, par des
vecteurs aussi peu suspects de collusion qu’une agence para-publique
d’information technologique, un magazine dédié à l’éveil musical de la
jeunesse ou une plate-forme revendicative de chasseurs en colère.
9. Tout lecteur attaché à la défense et à la promotion de la langue
française tirera le plus grand profit de l’usage régulier des très
nombreux lexiques, recueils de citations et autres bases grammaticales,
accessibles gratuitement sur Internet, qui lui permettront d’édifier, à
son usage privé, une base automatisée dans laquelle trouveront place les
incorrections, solécismes, citations approximatives, estimations
chiffrées fantaisistes, contresens, personnages fictifs, dont
l’irrésistible prolifération menace son entendement, et pourrait même
finir par le détourner de la lecture.
10. L’hypothèse d’une conservation indéfinie d’écrits ou de déclaration
non maîtrisés ne pouvant désormais plus être prise à la légère, tout
journaliste désireux de recueillir les propos d’un industriel, d’un
homme politique ou du chargé de communication d’une Organisation non
gouvernementale trouvera le plus grand avantage à s’abstenir
formellement de citer les propos des personnes qu’il interrogeait
autrefois. La mention du lien hypertexte renvoyant à l’unité
d’intervention en charge de la communication desdites personnalités
entrainera ipso facto un gain de temps appréciable dans la rédaction de
tout article. Ce dont l’employeur dudit journaliste ne manquera pas de
lui savoir gré.
11. De nouvelles formes de minorités, autrefois « non visibles », accèdent
désormais à une audience mondiale sur le réseaux des réseaux. Le
caractère primordial pour la croissance exponentielle dudit réseau que
représente la floraison journalière de communautés d’une extrême variété
incitera tout journaliste à se livrer à des recherches extrêmement
approfondies, sur tous les continents, avant d’évoquer l’apparition
d’une nouvelle communauté regroupant deux, voire trois, passionnés du
bouturage virtuel. Il est en effet à craindre, ce que l’on conçoit
volontiers, que les membres de ladite communauté en émergence ne
saisissent dans les plus brefs délais toutes les instances en capacité
de réparer le préjudice qu’aura pu représenter - tant l’absence de
signalement du phénomène -, qu’une mention désinvolte, hâtive, voire
tendancieuse, de l’émergence d’une nouvelle communauté, hier encore « non
visible ». Dont les perspectives de croissance, comme les bienfaits dont
elle pourrait inonder l’humanité, auraient ainsi encouru le risque de ne
pas être portés à la connaissance de plusieurs milliards d’êtres
humains.
12. Tout journaliste qui négligerait les devoirs que lui impose ce
nouveau codex ne devra témoigner ni surprise ni indignation quand son
employeur lui signifiera qu’il entend se passer de ses services. Pas
plus qu’il ne devra s’émouvoir quand, après s’être employé vainement à
retrouver un poste, il apprendra que le dossier recensant ses graves
carences professionnelles et manquements à l’idéologie de l’information
du XXIème siècle est commercialisé par une firme internationale, aux
services de laquelle recourent désormais toutes les entreprises dont la
vocation affichée est de vendre de l’information.