Aujourd’hui s’ouvre, pour cinq jours, le Forum économique de Davos. Infos pratiques pour aller manifester et munitions documentaires...
Que se passe-t-il chaque fin janvier à Davos ?
Le World Economic Forum (WEF) de Davos est essentiellement une bourse de contacts parfaitement organisée, dont les banquets constituent les moments privilégiés. Le "hasard" de la disposition des places autour d’une table peut se transformer en contrat de plusieurs millions. Klaus Schwab, le président du Forum, est réputé pour savoir faire se rencontrer les dirigeants d’entreprises selon leurs affinités réciproques. Ce sont aussi des moments de détente où il est proposé des conférences sur des sujets aussi sérieux et importants pour la face du monde que "les problèmes conjugaux des couples qui ont réussi".
Depuis quelques années, le Forum devenu une pièce centrale dans l’édifice de la mainmise capitaliste sur le monde. Schwab, non sans raison, est fier de pouvoir déclarer que le Forum est le centre du pouvoir parce qu’il a su réunir les décideurs économiques et politiques, en même temps que des représentants de l’ONU, de la Banque mondiale, du FMI ou de l’OMC. La Fondation créée par Schwab est active toute l’année et sur les cinq continents. Elle joue le rôle d’interface entre la globalisation du marché et les gouvernements. Les ONG et autres représentants de la société civile ne peuvent que se faire phagocyter s’ils se risquent à participer à ces joutes capitalistes, quelle que soit leur "attitude critique".
Les conférences du meeting annuel de Davos servent aussi de tribune pour la propagande de la vision globale de l’élite du Nouvel Ordre du Monde. La globale aristocratie perchée au pouvoir mondial prétend avoir une perception consistante de ce qui est "bon" pour l’humanité. Aussi organise-t-elle des "débats" politiques de la pensée unique. Il s’agit surtout de faire entendre la raison ultralibérale aux dirigeants sociaux-démocrates européens, seule "alternative" reconnue par la globale aristocratie, car elle se montre souvent la seule capable de réaliser les plans néolibéraux tout en conservant la paix sociale - les 4/5 des pays de l’Union Européenne ont des gouvernements sociaux-démocrates.
Le sommet annuel à Davos n’est en fait que la pointe de l’iceberg de la frénésie néolibérale ; il est précédé de maints rendez-vous intermédiaires qui sont autant d’occasions de promouvoir et d’incarner localement l’intégrisme économique occidental.
Le World Economic Forum (WEF) est un club dans lequel chaque membre verse une cotisation annuelle de $12 500 ($15 000 pour les banques). Pour faire partie du club, une compagnie doit démontrer vendre pour au moins 1 milliard de dollars annuellement, et les banques, contrôler au moins 1 milliard de dollars en capital. Il y a en fait différentes catégories d’appartenance à la fondation. Par exemple, le Global Growth Companies regroupe les entreprises particulièrement rapides dans leur croissance ; le Regional Membership permet l’intégration d’entreprises qui représentent un intérêt stratégique particulier dans une région spécifique, les "knowledge partners", principalement des consultants de la finance, ou les "institutional partners", comme Sun Microsystem Inc. Ces derniers versent annuellement $250 000 en plus de la cotisation normale. Les entreprises qui envoient un administrateur au sommet annuel s’acquittent, en plus de la cotisation de membre, d’un billet d’entrée de 9 000 francs suisses (36 000 FF), hôtel et nourriture non compris. Les politiciens sont, quant à eux, gracieusement invités. Les journalistes sont triés sur le volet.
Le WEF représente un tel lobby - les 1000 plus grandes multinationales - que c’est lui, en fait, qui impose ses directives aux sous-fifres politiques, même lorsque ceux-ci sont démocratiquement élus. Mais les maîtres du monde ne contrôlent pas seulement le politique ; les médias, les technologies et même la culture et l’art font partie des cibles stratégiques.
WEF-CCI-OMC : trois facettes d’une même entité
La Chambre de commerce internationale (CCI), qui se surnomme elle-même "Organisation mondiale du Monde des Affaires", est aujourd’hui devenue l’organisation mondiale des entreprises, dont les membres sont répartis dans tous les coins du globe. Parmi les membres, on retrouve nombre des plus grandes entreprises du monde, telles Microsoft, Nestlé, BP ou Daimler Chrysler etc. Ces entreprises utilisent la tribune de la CCI afin de soumettre aux gouvernements, aux ONG, à l’OMC ou à l’OCDE leurs positions sur les grands problèmes actuels du commerce international. Des délégations participent à certaines consultations de gouvernements et d’organisations intergouvernementales.
La CCI, l’un des acteurs multinationaux qui s’est engagée à fond pour l’AMI, est également le groupement d’affaires international le plus étroitement lié au Secrétariat de l’OMC. Un début d’explication de l’étroitesse de ses relations avec l’OMC est le fait que l’atelier de travail sur le Commerce International et la Politique d’Investissement de la CCI est dirigé par Arthur Dunkel, directeur général du GATT pendant l’Uruguay Round. Dunkel siège également à la tribune de l’OMC, ainsi qu’au comité de direction de Nestlé, dont le directeur, Helmut Maucher, est aussi un des vice-présidents de la CCI.
L’Europe est représentée par 430 entreprises, dont 72 suisses, 62 allemandes, 61 britanniques, 57 françaises. L’Amérique du Nord a 262 représentants, dont 228 firmes étasuniennes. Le Japon avec 34 multinationales et l’Inde avec 31 sont les pays les plus représentés parmi 131 multinationales asiatiques membres du WEF.
La confidentialité des plans de bataille
Renforçant le caractère de clubs - ou groupes affinitaires - de ses réseaux afin de limiter l’accès à ses activités à ses membres et invités spéciaux, la fondation développe WELCOM - pour World Electronic Community, le premier système électronique permettant de mettre en réseau privé et mondial les membres et les constituants de la fondation. En 1997, il est décidé d’essayer d’en faire un système de vidéoconférence, afin de pouvoir prolonger les contacts éphémères établis lors du sommet, mais surtout de favoriser à la fois une meilleure coopération entre monde politique et business, et la gestion des crises internationales. Aussi ce gouvernement économique mondial se targue-t-il de pouvoir réunir en vidéoconférence les principaux investisseurs étrangers et le premier ministre - avec son cabinet - d’un pays qui viendrait de vivre un changement de majorité politique. Ce projet est dirigé par le neveu de Schwab, Hans-Jürg Schwab ; il n’a pas - encore - abouti. Ce réseau privé et sécurisé devait être développé par Advanced Video Communications, une société créée par le WEF à Boston et que dirige Mark Friedell, en collaboration avec Microsoft, Hewlett Packard, Arthur Andersen, Intel et autres Swisscom - tous membres de la fondation évidemment.
La "pacification" libérale de la planète
La dimension politique a toujours été clairement présente. En 1970 déjà, Schwab invita les chefs des exécutifs européens à une assemblée informelle à Davos pour janvier 1971. Le but était de discuter d’une stratégie cohérente pour les affaires économiques européennes, afin de s’intégrer au mieux dans le marché international. Depuis le choc pétrolier, le Forum des managers n’a en fait qu’accentué l’intégration des dimensions politiques, économiques et sociales dans son giron, le but du Forum étant évidemment de mettre sous pression les gouvernements existants pour qu’ils se soumettent au nouvel ordre économique décrété par la finance internationale. Dès 1973, des forums sont organisés dans différents pays. Ils réunissent des représentants des affaires commerciales et des leaders politiques et économiques de pays spécifiquement choisis. Dès 1977, ce genre de forum est aussi organisé dans des "pays en voie de développement", ce qui permet de les intégrer au commerce mondial. En 22 ans, ce Forum a organisé plus de 500 réunions, dont une trentaine au QG de la fondation à Genève. A partir de 1982, des meetings informels sont organisés à Davos, dans lesquels les membres des cabinets des pays les plus influents rencontrent les directeurs des institutions telles que la Banque Mondiale, le FMI, le GATT (aujourd’hui OMC).
Du fait de son rôle de relais entre les milieux d’affaires et les milieux politiques, on reconnaît à la fondation des rôles essentiels dans le façonnage du village planétaire capitaliste :
dès les années 80, elle joue un rôle substantiel dans les réformes économiques chinoises
catalyseur en 1982 du processus de l’Uruguay Round qui aboutit à la création de l’OMC
après la Chine, le WEF se concentre, dès 1985, sur l’Inde. Il s’agit d’éduquer au capitalisme deux pays qui représentent le tiers de la population mondiale.
deux ans déjà avant la chute du mur, début de la guerre commerciale sur le front de l’Est : discours pendant le forum de 1987 de Genscher, ministre des Affaires étrangères de la RFA, exhortant les Occidentaux à coopérer avec l’Union soviétique de Gorbatchev
réconciliation de la Turquie et de la Grèce sur la question chypriote, suite à une déclaration commune, en 1988, des premiers ministres Papandreou et Ozal
première discussion entre les ministres coréens du Sud et du Nord, à Davos, en 1989
accélération de la réunification de l’Allemagne : en 1990, rencontre à Davos entre le chancelier Kohl et le premier ministre Modrow
contacts bilatéraux en vue de normaliser les relations avec le Viêt-nam, Davos 1990
la première rencontre privée réunissant toutes les fibres politiques de l’Afrique du Sud a lieu au Quartier Général de la fondation à Genève en 1990. Il s’ensuivra la rencontre Mandela - de Klerk en 1992, à Davos
bénéficie d’un rôle de consultant officiel au Sommet de la Terre de Rio en 1992
rencontre Arafat-Peres en 1994 qui conduira à la conférence du Caire de 1997
le sommet joue un rôle majeur de conciliateur dans l’avènement, en 1995, du Mercosur (marché commun entre l’Argentine, le Brésil, le Chili (depuis 1996), le Paraguay et l’Uruguay)
initiateur de la Conférence économique du Proche-Orient/Afrique du Nord au Caire
comme vice-directeur du comité de planification du développement de l’ONU, Schwab est aux premières loges pour réagir à l’accord de Dayton de 1995. Assistent au Forum de 1996 presque tous les leaders des nouveaux pays balkaniques.
Cette année, c’est le Plan Colombia qui est au cœur des festivités. Demandez le programme :
Davos s’en vante, c’est ici que se forgent les consensus entre les pouvoirs publics et privés. Andres Pastrana, président de la Colombie, vient à Davos pour expliquer les "choix difficiles" qui doivent "assurer la croissance et la stabilité de la région". Le choix est celui de la guerre à outrance contre les organisations populaires (autant civiles qu’armées) et contre la population elle-même.
Massacres et assassinats (des milliers par an) ont déjà arraché 2 millions de personnes à leur terres. Et les atrocités s’accélèrent. Les pires sont déléguées aux paramilitaires, mais l’Observatoire des Droits de l’Homme des Nations Unies lui-même dénonce "le flou des limites qui séparent l’Etat des groupes paramilitaires, celles-là n’étant marquées que dans les déclarations publiques ou dans les projets de mesures jamais concrétisés". Il constate que les massacres et les déplacements qu’ils provoquent sont une stratégie "visant à prendre le contrôle des territoires, soit par des menaces soit par des attaques directes contre la population civile". Au profit de qui ? Une dirigeante paysanne répond : "On dit que c’est pour lutter contre la guérilla, mais il y a chaque fois un projet économique derrière." Les indigènes Uwa sont chassés pour faire place à l’Occidental Petroleum, les Embara pour un grand barrage, 500 paysans ont été atrocement massacrés et 30’000 déplacés autour du site de la plus grande mine d’or d’Amérique Latine. Des centaines de Noirs ont été tués pour faire place à une voie de transport interocéanique. Sur le plan agricole, l’éradication de la coca et de la guérilla sont les prétextes pour l’expulsion violente de milliers de petits paysans et indigènes, faisant place à des énormes entreprises agricoles cultivant pour l’exportation : sucre, caoutchouc, bétail, palme africaine. Ce sera la fin pour une paysannerie déjà mise en crise par l’ouverture des marchés aux produits agricoles du Nord, par l’élimination du crédit agricole, par le changement du régime de propriété de la terre.
Les multinationales, membres fondatrices du WEF, y ont le plus grand intérêt. Quarante-deux transnationales qui sont membres permanents de Davos investissent lourdement en Colombie : 30 US, 4 suisses (Novartis, ABB, Sulzer, Nestlé), 2 françaises (Alcatel, TotalFinaElf), 2 allemandes (DaimlerChrysler, Siemens) et 1 anglaise (Rio Tinto Mining). Parmi elles, les "trois cavaliers de l’apocalypse" des OGM : Novartis, Cargill et Monsanto. Monsanto est aussi le fabricant du glysophate ("Roundup"), du défoliant chimique utilisé pour empoisonner la coca (et le reste de la flore, les paysans, etc.). Budget de la fumigation : 300 millions $ par an depuis six ans...
L’intégration de la contestation
En 1998, la CCI lançait la campagne de séduction déclarant que les entrepreneurs étaient prêts à écouter les revendications des organisations "représentatives et démocratiques". Ce qui n’est en fait qu’une méthode pour légitimer la répression brutale de toute la mouvance autonome et radicale. Aujourd’hui, cette stratégie a pris une telle ampleur que les joyeux organisateurs de sommets économiques libéraux ne sauraient avoir l’indécence de ne pas organiser à chaque fois un contre-sommet pour les "représentants démocrates de la société civile". Le but est de pouvoir qualifier les mouvements radicaux d’extrémistes afin de les isoler. Susan George n’a-t-elle pas parlé des "hooligans de Seattle" ? L’intelligentsia de gauche est souvent plus polie que cela avec Schwab et son forum. Il est vrai que Schwab se donne beaucoup de peine pour créer un espace pour la pseudo-contestation et qu’il choisit son vocabulaire. Aussi pouvait-on lire dans le programme pour le Forum de Davos de janvier 2000 les perspectives suivantes :
la mondialisation responsable
prospérité inclusive plutôt qu’exclusive
développement durable
création d’un prix de $1 million destiné à un entrepreneur "social".
Cette année-là, Amis de la terre, Greenpeace et Oxfam ont accepté l’invitation faite par le gouvernement économique mondial de gloser sur ces thèmes censés jouer le rôle de l’arbre qui cache la forêt. Le philosophe Umberto Eco y est aussi allé de son sermon. En 1997 déjà, Viviane Forrester avait présenté son Horreur économique à la face et dans l’antre des démons qu’elle dénonce ! La même année, pour faire allégeance au prétendu souci de Schwab pour la dimension spirituelle, Paulo Coelho, écrivain-gourou dont les oeuvres ont été traduites en 45 langues, prenait la parole sur les hauteurs grisonnes. Deux ans plus tard, il recevait le Crystal Arward décerné par les Cultural Leaders du WEF.
L’embrigadement des techniques, des "arts" et des médias
Depuis 1993, la fondation s’intéresse de plus près à l’industrie elle-même. Aussi instaure-t-elle un sommet industriel en dehors du cadre de Davos. Le premier sommet à lieu à Cambridge Massachusetts, en coopération avec le MIT et l’Université de Harward. Il est destiné au "Global Growth Companies", groupe constituant de la fondation. Il assure à celui-ci de pouvoir utiliser les dernières trouvailles technologiques. Ce sont les entreprises de ce sérail qui se développent rapidement et vendent à travers le monde entier. Afin de s’assurer et d’affermir l’instrumentalisation capitaliste de la science, le WEF s’est aussi doté en 2000 d’un nouveau constituant : les Academies of Sciences.
La fondation crée en 1992 un nouveau réseau, baptisé les "Leaders globaux de demain", qui regroupe des leaders du monde des affaires, de la politique, des académies, des arts et des médias, et dont le critère commun, en plus d’être reconnu "leader" dans l’un ou l’autre de ces secteurs spécifiques, est d’être âgé de moins de 40 ans. Constitué de 200 personnes au début, il est censé en accueillir chaque année 100 de plus. La même année, la fondation sponsorise la création du World Art Forum, qui regroupe 200 "leaders de l’art et de la culture". Depuis 1995, ce forum attribue un prix annuel, le Crystal Award, à la personnalité qui, en plus d’avoir fait une "réelle percée" dans le monde des arts, a aussi apporté une "véritable contribution" dans la compréhension interculturelle.
Pour arriver à ses fins, la fondation ne laisse évidemment pas de côté l’aspect de la propagande idéologique. En 1979 est publié le premier Annual World Competitiveness Report. Il marque le début des activités de recherche de la fondation. Le codirecteur du conseil consultatif de cette publication est, depuis 1996, Jeffrey Sachs, le directeur du Harward Institute for International Development. En 1998 est créé le magasine World Link, journal de la fondation, dont le directeur du conseil éditorial est Schwab. Afin de permettre aux médias d’être plus intensivement en interaction avec les constituants du WEF, l’assemblée informelle des éditorialistes et commentateurs est constituée en 1993. La même année, la fondation met sur pied le Club des leaders des médias, qui comprend les éditeurs en chef des grands groupes de presse. Les journalistes sont bien sûr invités à l’œil au Forum de Davos. S’ils sont déjà triés lors de l’accréditation, deux précautions valent mieux qu’une : tout journaliste connaît les implications d’un repas gratuit pris au râtelier des puissants.
La mobilisation 2001
Le 27 janvier, grande manifestation à Davos. Rendez-vous à 13h30, gare de Davosdorf. La manif sera suivie d’une grande fête avec musique et concerts. Si l’accès à Davos devait être complètement bloqué, rendez-vous au Centre de convergence à Zurich -Rote Fabrik, Seestrasse 395- : quelque chose aura lieu de toute façon ailleurs !
Le 28 janvier les délégués skient, nous aussi…
Si vous montez avec votre voiture, si vous êtes d’accord de conduire une voiture ou un mini-bus ou si vous ne trouvez aucun moyen de transport et que vous souhaitez monter à Davos, appelez le 00 41 79 466 01 28.
Pour d’autres renseignements : écrivez un e-mail à anti-wto@reitschule.ch, ou appelez le 00 41 79 466 01 29.
Sites à consulter :
Un site d’information sur under.ch, le site du réseau des squats genevois
L’antenne suisse d’Indymedia, réseau d’agences de presse indépendantes, sur le pied de guerre avant Davos : Indymedia Switzerland
Le dossier du quotidien de gauche genevois Le Courrier
Le site de la police des Grisons, à l’intitulé si aimable
A lire :
La montagne des vanités, les secrets de Davos, récit, de Lewis Lapham, éditions Maisonneuve & Larose, Paris, 2000.