La notion de « bien commun » est au fondement des luttes engagées depuis plusieurs années contre l’ultra-libéralisme et la mondialisation. Les citoyens combattent de plus en plus résolument l’exploitation effrénée par des oligopoles transnationaux de ressources fondamentales. Le contrôle et l’exploitation de ces ressources appellent plus que jamais un large débat démocratique. L’émergence de nouvelles formes de citoyenneté répond de fait à une « crise de la représentation » qui affecte de plus en plus nettement l’ensemble des pays développés. Toutefois, et conjointement, de nouvelles formes de « gouvernance » continuent à faire obstacle à cette capacité de peser sur des choix décisifs, aujourd’hui largement déniée aux citoyens par les nouvelles élites managériales qui s’obstinent dans leur projet de marchandisation de l’ensemble des activités humaines.
On peut compter au rang des nouveaux modes de « gouvernance » contemporains l’inflation de colloques, séminaires, forums, congrès, sommets, auxquels participent, enthousiastes quand bien même elles y sont parachutées en service commandé, les nouvelles élites managériales, pour peu qu’elles aient acquis leur brevet de nuisance sociale dans l’une quelconque des écoles de formation dédiées au terrorisme économique, mieux connues du grand public sous la benoite appellation « d’écoles de commerce ». L’observation de ce marché en très forte croissance, que se partagent quelques grands groupes mondiaux, majoritairement anglo-saxons, présente, nonobstant la légitime répugnance que l’on peut éprouver à se commettre avec des ennemis résolus du genre humain, l’intérêt de ne rien celer des logiques, méthodes, outils et stratégies d’acteurs des chantres fanatiques de la dérégulation et du démantèlement des services publics.
Les coûts d’inscription à ces « forums » en éloignent nécessairement la quasi-totalité des citoyens engagés dans les luttes contre la mondialisation libérale. Les participants à ces grand-messes confidentielles doivent en effet s’acquitter de plusieurs centaines, voire milliers d’euros, pour se voir dispenser durant quelques heures ou quelques jours la « doxa » que leur assènent les chevau-légers de la pensée unique. Que l’on se rassure néanmoins, ce sont bien évidemment les entreprises ou institutions qui se sont attachées leur force de travail, id est leurs savoir-faire (bien réels, que l’on ne s’y méprenne pas), qui règlent la facture. Note qui sera imputée, au titre de la « formation », sur les frais généraux de leur société.
(Ce qui, accessoirement, en dit déjà long sur l’estime en laquelle tiennent lesdites élites la formation de leurs contemporains. Du moins celle des ilotes qui n’estiment pas fondamental de consacrer l’essentiel de leur existence à une initiation à marches forcées aux subtilités infinies de l’ingénierie financière et toutes autres sciences ésotériques dont la maîtrise garantirait seule d’échapper à la soupe populaire.)
Exemple. A quelques semaines d’échéances électorales majeures en France, un très discret congrès, organisé à Paris par la société Euroforum France [1], propriété de l’entreprise américaine IBC, « groupe mondial de communication professionnelle », va permettre à des représentants de grandes entreprises et des fonctionnaires de nombreux ministères ou collectivités territoriales de débattre de la privatisation prochaine de pans entiers du « Domaine Public » français. Et plus précisément de se voir offrir des expertises « à forte valeur ajoutée », dispensées par quelques mercenaires des professions qui contribuent à rendre possible la marchandisation sans cesse croissante des biens et des services, hier encore dévolus à la puissance publique.
Des nouvelles élites managériales
Banquiers, avocats d’affaires, juristes, consultants, experts en toutes choses... Soit autant d’indispensables courroies de transmission (et grassement rémunérés à ce titre), de la dérégulation, qui constitue l’alpha et l’omega de ces discrètes rencontres. On comprend dès lors que la société Euroforum France, qui a bien évidemment obtenu de la puissance publique sa labellisation en qualité « d’organisme de formation », puisse juger bon d’adorner ses plaquettes promotionnelles de l’incipit ci-après : « Garantie de qualité. Ce stage est organisé par Euroforum France. Nous sommes spécialisés dans l’organisation de stages professionnels pour les entreprises, les collectivités locales et les institutions. Nous organisons ainsi plus d’une centaine de formations par an dans tous les secteurs d’activité : industrie, énergie, télécoms, multimedia, juridique, ressources humaines... (...) Depuis plus de vingt ans dans le monde, les réactions des participants à nos stages montrent combien ils apprécient l’orientation pratique et pédagogique adoptée et le souci constant de la qualité des contenus. »
Il est malheureusement fortement à redouter qu’hormis par le biais de quelques publications confidentielles aux tarifs d’abonnement exorbitants, le citoyen ordinaire, les organisations issues de la société civile, voire les syndicats, n’ont pas l’ombre d’une chance d’être avisés de projets qui les concernent pourtant au premier chef. Tant les enjeux ainsi évoqués, les figures de la nouvelle « gouvernance » politico-économique qui s’élaborent discrètement à l’occasion, vont influer à l’horizon des toutes prochaines années sur les composantes les plus triviales de notre vie quotidienne.
Ceci sans même évoquer l’hypothèse que lesdites problématiques puissent, par l’effet d’un accident malencontreux, trouver à alimenter les débats convenus auxquels va donner lieu la prochaine élection présidentielle française. Les enjeux de ce Congrès mériteraient pourtant une plus large audience que celle qui va lui être impartie, de par les modalités qui président à son organisation. Qu’on en juge.
Heurs et malheurs du « Domaine Public »
Nous nous étions accoutumés, et ce depuis des siècles, à considérer les espaces de toute nature définis comme relevant du « domaine public » comme un « bien commun ». Ports, aéroports, voies navigables, réseaux ferrés, autoroutes, réseaux de distribution de l’énergie ou réseaux de communications contribuaient, sous l’égide de l’autorité publique, à délivrer les services indispensables, non seulement à toute activité économique, mais à la satisfaction des besoins vitaux de toute personne résidant sur un territoire donné. L’Etat construisait, gérait, aménageait, développait ces infrastructures fondamentales.
Cette notion a vécu. Marché, concurrence, dérégulation, décentralisation, sont désormais les maîtres-mots qui ordonnent les mutations radicales affectant un domaine public en passe d’être affermé, dans des proportions et selon des modalités hier encore inimaginables, à des acteurs économiques qui entendent en retirer un profit maximal. Les conséquences de cette dévolution du domaine public d’hier à « l’incontournable » marché, encore mal perçues, n’en sont pas moins considérables pour les habitants des zones concernées. Confer, pour tout citoyen.
Ce sont, de fait, des orientations fondamentales en matière d’aménagement du territoire, de développement économique, de transport, d’accès à des services vitaux, de politique environnementale, qui vont échapper de plus en plus clairement à la délibération démocratique pour être décidées, dans la plus grande opacité, par des entreprises fermement décidées à orienter ces choix dans la stricte optique des bénéfices qu’elles en attendent.
Nous assistons de fait à une double évolution. Une importante décentralisation du domaine public tout d’abord. L’Etat est en passe de transférer la propriété d’un grand nombre de domaines publics à des collectivités territoriales. C’est l’une des conséquences, passée quasi inaperçue, de l’adoption des projets de lois sur la Corse et sur la démocratie de proximité, élaborés par le gouvernement de M. Lionel Jospin.
Une privatisation croissante du domaine public ensuite. Les investisseurs privés ne sont plus seulement encouragés à développer une activité sur le domaine public, mais aussi à prendre en charge la gestion de domaine public. Des décrets adoptés en septembre 1999 et juillet 2000 permettent ainsi, par exemple, à un opérateur privé de gérer un terminal portuaire.
Conséquence notable : le transfert de propriété des ports et aéroports. Hier encore dévolue à la puissance publique, elle va désormais être transférée à des acteurs privés. Et ce sont de nouveaux « Etablissements publics intercommunaux » (EPCI), institués par la loi sur la démocratie de proximité, qui vont devoir peu ou prou déterminer la nature et les modalités de ces transferts. A l’image de la mise sur le marché de partie des considérables patrimoines fonciers et immobiliers du ministère de la Défense, de l’Administration pénitentiaire ou de l’Assistance Publique engagés depuis plusieurs années (terrains militaires, casernes, bases aériennes, prisons vétustes, hopitaux...), ces dévolutions auront un impact majeur sur l’urbanisme, les schémas d’aménagement, l’activité économique, les transports..., des zones concernées.
Le retour des « Eléphants blancs »
Ici, en outre, l’impact des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication ne saurait être négligé. A l’heure où les collectivités territoriales sont fermement invitées à imaginer de « nouvelles modalités de valorisation du Domaine Public par l’occupation privative » (sic), les opérateurs de télécommunications les pressent instamment depuis quelques années de financer, sur fonds publics, des « plates-formes » technologiques, réputées indispensables à la croissance de la Société de l’Information. C’est ainsi qu’un grand nombre de collectivités territoriales françaises ont déjà investi plusieurs milliards de francs dans la construction de « réseaux à haute capacité ». Ils sont destinés à fournir aux entreprises les ressources et les services leur permettant d’entrer de plein pied dans la « Nouvelle économie » numérique. Accessoirement, une furieuse bataille juridique s’est engagée depuis lors aux fins de déterminer... la répartition des bénéfices attendus de l’édification de ces miraculeuses « plates-formes ». Dont nombre de spécialistes du secteur conviennent qu’elles rappellent fâcheusement l’édification des monstrueux « éléphants blancs » qui ont signé les grandes heures de « l’industrie industrialisante » dans le Tiers-Monde des années soixante... Au plus grand profit des groupes industriels du Nord qui vendaient « clé en main » des « usines à gaz » délirantes à des potentats corrompus à cet effet. Et au grand dam des populations concernées, que ces « cathédrales » ont contribué à maintenir dans le sous-développement.
Cette « mutation de la domanialité publique » est présentée par ses thuriféraires comme la « démonstration de la recherche de compétitivité du marché des transports français, dans un cadre concurrentiel international, dont les exigences techniques sont de plus en plus élevées. »
Le programme du Congrès précité n’entretient en effet aucune équivoque sur les logiques animant les « gestionnaires, opérateurs, occupants et investisseurs du Domaine Public », conviés à « l’appréhender dans toute son ampleur »...
Les organisateurs dudit Congrès se proposent en effet d’apporter, notamment, des réponses aux questions ci-après :
« (...) Par quels moyens valoriser le Domaine Public, à court et à plus long terme ? Faut-il reconvertir ou céder les friches ? Pourquoi un gestionnaire devrait-il considérer l’occupant comme un client ? Autorisation d’occupation temporaire (AOT) avec droits réels : comment concilier droit de la concurrence et principe de non discrimination entre les occupants ? Comment les attribuer en toute légalité ? Redevances : comment les calculer ? Comment financer les investissements privés sur le domaine public ? »
Ces questionnements mériteraient un large débat démocratique. Il appert malheureusement que le développement de la moderne « gouvernance » des sociétés développées limite ce type de débat à un cercle très restreint « d’élus », missi dominici dont les entreprises ou les institutions qui s’attachent les compétences (et la docilité), ont les moyens de s’acquitter du coût d’inscription au Congrès « Domaine Public 2002 », qui se chiffre à 1569 euros...
Rien d’étonnant donc si le cénacle qui se pressera les 21 et 22 mars prochain au Pavillon d’Armenonville se limitera aux « Gestionnaires de dépendances du domaine public portuaire, fluvial, routier, aéroportuaire, autoroutier. Industriels occupant le domaine public. Responsables des financements structurés dans une banque. Avocats. Notaires », destinataires privilégiés de la plaquette d’inscription audit Congrès.
Nul doute au demeurant qu’à quelques semaines d’un rendez-vous électoral capital, les ateliers dudit Congrès se dérouleront dans cette confidentialité élective de bon aloi qui témoigne en creux de cette « crise de la représentation » qui mine le « vivre ensemble » contemporain depuis une vingtaine d’années.
L’identité des intervenants pressentis au Congrès atteste pourtant de l’importance des enjeux : Direction du Transport Maritime, des ports et du littoral. Ministère de la Défense. Autorité de Régulation des Télécommunications. Réseau Ferré de France. Gaz de France. Mission de Contrôle des Autoroutes. Société des Autoroutes Paris Rhin Rhone. Port Autonome de Dunkerque. Chambre de Commerce et d’Industrie de La Rochelle. Natexis Banques Populaires. Etude Thibierge et Associés. Cabinet Chevrier & Pretnar. Cabinet Grange.
« Libéralisation » et groupes de pression
Mondialisation oblige, deux acteurs internationaux de poids participeront aux débats du Congrès « Domaine Public 2002 ». Ainsi de l’Association Internationale Villes et Ports (« Cities & Ports »). Dotée d’une représentation française implantée au Havre, AIVP compte 180 adhérents dans 35 pays. Son « Comité scientifique international » lui permet de faire valoir son « expertise » auprès des « instances internationales » (concernées par l’évolution de la domanialité publique).
A l’image de ce type de littérature, trop méconnue, la plaquette de présentation d’AIVP ne laisse, elle non plus, planer aucun doute sur les motivations de ses adhérents : « La concurrence entre les ports est de plus en plus vive. Au gré de l’évolution de la conjoncture économique et des stratégies mondiales des compagnies maritimes, certains ports deviennent des escales majeures ou au contraire sont mis à l’écart des grandes routes maritimes. La seule performance des terminaux portuaires n’est plus suffisante pour convaincre armateurs et chargeurs. L’offre de service des villes portuaires doit être la plus complète possible. Dans ce schéma les collectivités locales sont de plus en plus sollicitées ; le secteur privé également. L’enjeu est d’imaginer une vision commune de développement et d’aménagement d’un territoire dont les espaces les plus stratégiques relèvent souvent de la domanialité publique. Entre protection indubitable qu’elle assure aux espaces nécessaires à la collectivité et les rigidités à permettre certaines évolutions indispensables, un équilibre est à trouver. Développement de zones logistiques multimodales, réhabilitation urbaine de friches portuaires, construction de terminaux toujours plus performants ; généralisation des NTIC..., tous ces projets sont indispensables à la ville portuaire moderne. Ils nécessitent la poursuite de l’évolution législative :
les occupants du domaine public doivent pouvoir bénéficier d’une lisibilité à moyen terme qui nécessite d’offrir davantage de droits réels ;
les collectivités locales doivent obtenir des garanties sur un retour sur investisement en terme d’emploi ou de valeur ajoutée ;
les ports doivent pouvoir poursuivre une politique foncière cohérente ;
les citoyens doivent pouvoir bénéficier d’une qualité de vie nouvelle sur des friches portuaires réhabilitées. »
Pour sa part, l’UCCEGA-Les Aéroports Français, créée en 1938, regroupe 118 membres. Des Chambres de Commerce et d’Industrie pour 20%, des établissements publics comme Aéroports de Paris (ADP), des syndicats mixtes, et des Sociétés d’économie mixte (SEM), qui exploitent près de 150 aéroports en France métropolitaine et Outre-mer, soit la totalité du trafic commercial français. En 2000, le trafic des aéroports membres de l’UCCEGA a représenté 133 millions de passagers, 1,79 millions de tonnes de fret et 2 millions de mouvements commerciaux d’aéronefs. L’UCCEGA s’est notamment fixé pour objectifs de :
«
représenter les intérêts de ses membres auprès des assemblées parlementaires et des pouvoirs publics, des compagnies aériennes ou des fournisseurs,
de donner son avis sur les projets de lois et de règlement portant sur l’organisation et les conditions d’exploitation du transport aérien en général,
d’assister ses membres pour des conseils en matière juridique, économique et financière.
Pour ce qui concerne plus largement le développement du trafic aérien, l’UCCEGA et ses membres possèdent quelques participations dans le capital de compagnies aériennes (notamment Air France). Ils ont facilité la création de compagnies aériennes régionales (Brit’Air), et aident au dévelopement des lignes. L’Union (...) s’est attachée ces dernières années à promouvoir le développement et l’image de l’aviation d’affaires. »
Comment imaginer dans ce contexte que des préoccupations de développement durable, de démocratie participative, d’aménagement raisonné du territoire, de préservation de l’environnement, puissent empreindre de quelque manière les problématiques que développeront les participants à ce congrès ? A nouveau, ici, comme dans les centaines d’événements similaires qui sont le quotidien banal des nouvelles élites managériales, seul le concept de « retour sur investissement » aura droit de cité.
Des orientations fondamentales quant à l’évolution de notre cadre de vie, les services de base qui en conditionnent le déroulement, l’accès à des ressources vitales, vont être promues, définies, validées, en l’absence de tout réel débat démocratique.
On se saurait trop recommander à tout citoyen soucieux de ce type d’enjeux de s’attacher à l’analyse de ce type de manifestation, aussi rébarbative et éloignée en apparence, tant de son habitus quotidien, que de son cadre de références habituel.
La démocratie réduite aux octets
Et ceci d’autant plus qu’un récent communiqué de presse, accueilli par une indifférence blasée des medias, hormis quelques titres spécialisés dans les nouvelles technologies, a apporté une nouvelle pierre (de taille !) à l’édifice des nouveaux « appareils de gouvernance » contemporains. La relation, audacieuse en apparence, avec l’évocation d’un anodin Congrès, si elle ne s’impose pas d’évidence aux yeux d’un observateur, n’en éclaire pas moins d’un jour cru une autre dimension de ladite « gouvernance ». En l’espèce l’affermage d’un élément fondamental de la démocratie, le débat parlementaire, aux puissances économiques qui vont y trouver un « relais de croissance » absolument inespéré !
Un article du magazine 01net, édité par le groupe Tests, propriété de Vivendi Universal, annonçait sobrement le 14 décembre dernier que « Le Sénat met ses amendements en ligne » :
« Grâce au site du Sénat, les internautes curieux, les journalistes et les professionnels du droit auront désormais accès aux amendements déposés par les sénateurs ou par les groupes politiques. »
Cette annonce, passée elle aussi inapercue, ouvre pourtant des perspectives vertigineuses ! On sait depuis belle date que le Sénat, à l’image de l’Assemblée nationale, mais plus encore le Sénat de par sa « composition sociologique », se montre trop souvent des plus perméable aux invites et pressions de tous lobbies, fort attachés à convaincre les représentants du peuple de l’importance de prendre en compte les intérêts bien compris de toutes les puissances économiques dont l’activité pourrait se voir entravée par l’adoption, incongrue, de dispositions de nature à porter atteinte à la croissance infinie (des bénéfices) qui constitue l’incontournable ontologie de notre temps.
La chronique en la matière abonde en exemples, le plus souvent catastrophiques, de la « perméabilité » des édiles chenus du palais du Luxembourg aux sollicitations tout à fait intéressées des représentants de l’industrie, de la finance, sans oublier l’agriculture, qui ne manquent pas une occasion de leur transmettre tous types d’amendements rédigés par leurs soins, de nature à préserver leurs prébendes. Et ceci quand bien même lesdites prébendes sont à l’évidence constitutives d’atteintes majeures à l’environnement, la morale publique, la justice, et tous autres colifichets dont l’évocation prête ordinairement à sourire aux abords des jardins du Luxembourg.
La messe semblait dite de longue date, qui assigne à juste titre à la perméabilité des édiles à ce type de sollicitations amicales, une part de responsabilité dans l’apparition des très fameuses « crise de la représentation », et autre « crise du politique », savants concepts qui ont le mérite d’assurer la subsistance depuis des années d’une impressionnante camarilla de sociologues, sondeurs, publicistes, éditorialistes et autres amis du genre humain, et d’une démocratie tempérée par le « cercle de la raison »...
On aurait bien tort de sous-estimer l’impact de cette très anodine annonce, ointe de la très Immaculée « Transparence », conjointe attitrée des très saintes « Nouvelles Technologies », couple infernal qui nous mitonne en de très obscures officines, néanmoins généralement sises dans les beaux quartiers (d’affaires), un mirifique « avenir radieux »...
Car si l’article précité du magazine O1net se hasarde à augurer que :
« Les citoyens curieux pourront, en interrogeant le moteur de recherche du site, entrer dans les arcanes de la lente construction d’un texte de loi »,
seule une très miséricordieuse confraternité nous retient de stigmatiser comme elle le mériterait pareille affirmation, non seulement des plus hypothétiques, mais de surcroît propre à celer les véritables enjeux (et dangers aussi manifestes qu’immédiats), de ce mirobolant « grand bond en avant » technologique des édiles chenus du palais du Luxembourg !
Nul citoyen, même féru de démocratie participative et de nouvelles technologies, nulle association issue de la société civile, n’auront le temps, les ressources, les connaissances, le savoir-faire (comme le faire-savoir), nécessaires, qui leur permettraient de peser de quelque façon sur ce nouveau processus de délibération parlementaire « en ligne », très pure figure de la « modernité politique », qui va en revanche, et sans coup férir, faire le lit des fourriers les plus féroces de la marchandisation générale des activités humaines !
Ce sont en effet des salves soutenues d’applaudissements, sur fond de sympathique déflagration de bouchons de champagne, qui ont salué cette nouvelle inouïe (même pour eux), dans les locaux très chics de la multitude d’officines de lobbying qui s’égrènent des beaux quartiers parisiens de l’Ouest parisien aux tours de la Défense...
Bringues à tout casser (et primes exceptionnelles) depuis la mi-décembre dans les cabinets de lobbying, groupes de pression, et toutes autres bandes armées vouées à la maximisation du taux de profit par tous moyens avouables et surtout non avouables ! Les édiles chenus sont faits comme des rats ! Le premier « papy » qui va s’aviser de porter atteinte aux intérêts bien compris de l’une des innombrables associations de malfaiteurs dédiées à l’assomption du commerce et au « Return on Equity », va désormais se faire flinguer illico en ligne par les camarillas de « chatteurs » en costumes Armani, douillettement installés dans leurs bureaux paysagers de la Défense, et connectés 24 heures sur 24 aux bases de données professionnelles qui leur fournissent en temps réel « drafts » de directives communautaires en gestation à Bruxelles, documents de travail de l’OMC ou de la Chambre de Commerce Internationale...
On n’ose imaginer l’ampleur comme la nature des représailles qui vont immanquablement s’abattre sur le moindre sénateur qui se sera avisé, distrait, colère, inconscient à n’en pas douter, de proposer un amendement à un quelconque projet de loi, qui porterait atteinte au Dieu-profit, comme à la plus insignifiante prébende du plus obscur de l’un quelconque de ses quelques dizaines de milliers de concélébrants ! Inévitablement, une quelconque officine d’intelligence économique stipendiée à cet effet par un arrogant capitaine d’industrie inondera dans les heures qui suivent le site Internet du Sénat de quelques kilotonnes de messages courroucés, enjoignant notre papy de mettre un terme à l’attentat inqualifiable qu’il s’apprêtait à perpétrer.
Ceci sans préjudice de l’expédition massive à ses électeurs (assurée dans les meilleurs délais par de quelconques clones des spadassins précités), d’une narration exhaustive de ses errements funestes, et des dégâts incommensurables que ne manquerait pas de provoquer un pourtant fort improbable acharnement à nuire (à la bonne marche de l’industrie et du commerce).
Ici aussi, à nouveau, la soumission programmée des représentants du peuple aux diktats de la finance, l’inévitable bradage qui va s’ensuivre du bien commun aux appétits des grands prédateurs, ne fait pas davantage débat. Ou plutôt sont « constitutivement » soustraits au débat démocratique.
Nous sommes ainsi bel et bien entrés dans l’ère de la marchandisation de la délibération démocratique. Celle de son affermage aux bandes armées qui apportent une énergie incommensurable à la faire disparaître. Ce préalable obligé à la disparition des « biens communs » accompli, ne restera plus qu’à se partager les dépouilles. Les grands fauves ont faim.